L'EPR de Taishan, symbole d’une volonté énergétique et industrielle

La première réaction en chaîne du réacteur 1 de la centrale de Taishan marque, enfin, le début de l’ère EPR dans le nucléaire civil mondial. Les deux unités de la centrale chinoise, construite par Areva et EDF en lien avec l’entreprise d’État CGNPC, vont monter en puissance. Leur mise en service commerciale est prévue dans quelques semaines. Par le Dr. Nicolas Mazzucchi, chargé de recherches à la Fondation pour la Recherche Stratégique et auteur de "Énergie, ressources, technologies et enjeux de pouvoir" (éd. Armand Colin, 2017).
(Crédits : CGN)

Taishan, réussite d'une technologie française, bond en avant générationnel, est avant tout un symbole d'une politique industrielle et énergétique forte de la part de Pékin. L'énergie, en Chine, est un sujet de sécurité clé, ainsi qu'une des conditions indispensables au développement économique. Sans des approvisionnements réguliers, prévisibles et aux coûts maîtrisés, la Chine n'aurait pu connaître un tel décollage. Plusieurs ères techno-économiques s'y sont ainsi succédées.

L'ère actuelle est marquée par la volonté de limiter la part du charbon dans le mix énergétique national pour augmenter celle des énergies bas carbone. Une stratégie de long terme est apparue il y a des années : combiner une source de production fiable et de forte capacité, le nucléaire, avec des énergies locales de complément alternatives, l'éolien et le solaire en particulier. La Chine démontre au travers de cette politique industrielle de l'énergie son pragmatisme, refusant d'opposer nucléaire et renouvelables. Taishan n'est ainsi qu'une tête de pont avec de nombreuses autres centrales en cours de construction. Fait marquant, la Chine a fait le choix de disposer d'au moins une centrale de chacune des grandes technologies de dernière génération. Taishan est ainsi fondée sur l'EPR (français), Sanmen et Haiyang sur l'AP1000 (américain), Tianwan sur le VVER-1000 (russe).

Même après Fukushima, bonne santé relative du secteur

Certes nous ne devons pas être dupes. La Chine développe de ses propres solutions technologiques, dans le secteur nucléaire comme dans les autres, afin de pouvoir satisfaire sa demande pour ensuite se lancer à l'export. De nombreux modèles sont en cours de développement ou d'installation dans des centrales chinoises (les Hualong 1 et CAP-1400 notamment). Bien qu'il s'agisse d'un concurrent qui s'établit, il faut saluer la politique industrielle chinoise, bâtie sur une analyse objective de la situation énergétique mondiale. D'une part la transition du secteur électrique - même s'agissant des économies les moins avancées aux prises avec des problématiques d'accès à l'énergie - vers des solutions bas carbone est obligatoire. D'autre part, il y a un besoin naturel et incompressible pour des unités localisées de forte capacité, le moins dépendantes possible des contraintes naturelles. Enfin la maîtrise de l'énergie passe également - c'est un point souvent oublié - par celle de ses coûts.

Il importe ainsi de disposer d'unités de production électrique dont les niveaux et le prix de production de l'électricité soit les plus prévisibles possible. Cette analyse est corroborée par la permanence de la demande, de la part de pays primo-accédant d'ailleurs, en matière de nucléaire civil. Certes, la renaissance nucléaire telle qu'espérée dans les années 2007-2010 n'a pas eu lieu au niveau escompté. Toutefois, même après Fukushima, la poursuite de nombreux programmes - voire la relance de certains mis en sommeil comme ce pourrait être le cas en Indonésie - atteste de la bonne santé relative du secteur. L'Agence internationale de l'énergie prévoit ainsi toujours une croissance de la demande en énergie nucléaire de l'ordre de 1,6% annuels sur 2016-2040 soit autant que celle du gaz et presque autant que l'hydroélectricité.

La Chine, enfin, a compris, comme rappelé d'ailleurs par le CEO de Toshiba-Westinghouse au moment de la mise en faillite partielle de l'entreprise : le secteur du nucléaire ne peut fonctionner qu'avec une entreprise intensément soutenue par son Etat. Le soutien économique, diplomatique, technologique de Pékin vis-à-vis de CGNPC et CNNC, ses deux principaux atomiciens, est sans faille, permettant à ces deux structures d'envisager une entrée sur le marché mondial, là où quelques années auparavant celui-ci apparaissait verrouillé par les acteurs historiques. La Chine a ainsi pu planifier la montée en puissance de ses compétences et les maintenir.

La leçon à tirer pour la France, après plusieurs années de reconstruction de la filière nucléaire est la suivante : le nucléaire civil, loin d'être une technologie du passé, est au contraire un pôle d'excellence potentiellement rentable économiquement et géopolitiquement. Son savoir-faire actuel, malgré les ratés des EPR européens, demeure parmi les meilleurs au monde, notamment en termes de sureté. Il faut donc rapidement que les pouvoirs publics prennent la mesure des chantiers engagés en France, sur la nécessité d'investir massivement dans la rénovation du parc de centrales, ainsi qu'à l'étranger, sur les possibilités de développement dans de nombreux pays. Trois éléments fondamentaux sont ainsi à trouver : la volonté, les moyens et la constance dans ceux-ci. Sans cela, et les décisions que la France doit prendre maintenant, le risque est grand que la France ne profite pas des efforts dont la Chine commence à tirer parti.

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