L’éthique pour encadrer la "blockchainisation" de la finance

Alors que deux missions d'information sont constituées au sein de l'Assemblée nationale sur les enjeux règlementaires de la blockchain et des cryptomonnaies telles le bitcoin, le débat se déplace sur ce que rend possible cette technologies. Finalement, la blockchain ne sera que ce que l'on décide d'en faire. Et il devient essentiel d'apporter un cadre et une gouvernance éthique. Par Jérôme Beranger, co-fondateur et CSO du label ADEL (Algorithm Data Ethics Label), chercheur (PhD) associé à l’Inserm 1027 de l’Université Paul Sabatier de Toulouse.
(Crédits : Letsgofrance)

Avec l'émergence d'Internet, des réseaux sociaux, du Cloud Computing, des objets connectés, des systèmes experts auto-apprenants, de l'automatisation des échanges de données, de l'Intelligence Artificielle (IA) et maintenant de la Blockchain, sur laquelle se fondent les « fameux » Bitcoin (1), l'information est aujourd'hui plus abondante que jamais.

Désormais, la finance moderne est devenue presque inconcevable sans l'usage des données numériques personnelles. Ainsi, on assiste à un développement important de la e-finance, dirigée par les pure players, qui permet de souscrire et gérer des contrats en ligne, appelés Smart Contracts (2) via une plateforme ou une application Smartphone, sans jamais avoir besoin d'aller en agence. De plus, les Chatbots permettent d'optimiser la relation professionnel-client et simplifient les processus pour l'utilisateur, en proposant un canal disponible (7j/7, 24h/24). Enfin, les banques, les bourses, les gestionnaires d'actifs, ou encore les acteurs du post-marché testent différentes Blockchains et applications qui permettent de réunir des informations sur leurs clients et leurs transactions afin de mieux les identifier et se prémunir des usurpations d'identité, de la fraude, voire du blanchiment d'argent.

Dès lors, le secteur de la finance est rentré dans un écosystème digital avec des offres 100% en ligne qui modifient les prestations, la nature des produits et des services, le règlement-livraison de titres, le Trade Finance, la gestion de flux financiers, les opérations sur titres, la gestion d'actifs structurés et de la relation client, et crée de nouvelles chaines de valeurs (voir encadré ci-dessous).

Dans ces conditions, l'évolution des Nouvelles Technologies de l'Information et la Communication (NTIC) engendre des répercussions considérables à tous les niveaux : elle transforme le monde dans son ensemble, mais aussi les organisations et les institutions, qu'elles soient publiques ou privées. Elle modifie les interactions sociales, les comportements économiques et même les individus. Une telle période est propice aux conflits de valeurs humaines, aux défis, aux divergences et aux oppositions de points de vue, voire d'affrontements. Cette révolution numérique comporte également des risques éthiques autour des données numériques à caractère personnel en ce qui concerne : l'intégrité, la fiabilité, la sécurité, l'accessibilité, le respect à la personne, la confidentialité, la disponibilité, la traçabilité, l'auditabilité, la réputation, la réglementation et la régulation.

Dès lors, une série de questions s'impose à nous : l'évolution des mentalités et les progrès technologiques vont-ils ébranler les systèmes de valeurs, des règles et des principes humains devant l'importance croissante de l'information ? Le droit à l'accès et à la légitimité de cette information sont-elles remises en cause ? Comment les Big Data impactent-elles les pratiques financières ? A quels changements peut-on s'attendre ? Le citoyen possède encore le contrôle de ses données ? Où sont-elles stockées ? Qui est réellement « propriétaire » de la donnée ? Ces NTIC ne vont-elles pas de reléguer au second plan la pratique financière ? Dans quelle mesure les pratiques professionnelles autour du numérique doivent-elles répondre à un critère d'objectivité, de neutralité et / ou de rationalité ? Est-ce que la Blockchain est vraiment sûre et respecte-t-elle la vie privée ? Met-elle fin à l'anonymat sur Internet ? Si la gouvernance est décentralisée, qui décide vraiment ? S'il y a des litiges durant la transaction des actifs numériques, vers qui l'usager devra se tourner ? A la Blockchain ? Qui est responsable des nuisances et problèmes susceptibles d'être causés par des structures autonomes ? Qui mettre en cause lorsque ces applications sont employées pour des finalités criminelles ou illicites ?

L'important n'est pas nécessairement la Blockchain en tant que telle, mais plutôt ce qu'elle rend possible. Finalement, cette technologie ne sera que ce que l'on décide d'en faire. C'est pourquoi il devient essentiel d'apporter un cadre et une gouvernance éthique au sein même de la Blockchain, d'un point de vue macroscopique au niveau de la plateforme de gestion de l'écosystème Blockchain, et d'un point de vue microscopique au niveau d'une majorité des nœuds ou « mineurs » impliqués dans le réseau décentralisé d'échanges.

Les attentes des professionnels de la finance face à cette « datafication » de leur métier sont multiples comme une meilleure : intégration dans les pratiques quotidiennes, sécurité des données récoltées, formation et accompagnement, cadre juridique adapté, fluidité assureur-assuré, clarification de la gouvernance, interopérabilité et fiabilité des outils informatiques.

Ainsi, la question éthique devient primordiale ! Elle permet d'être une réponse absolue, d'apporter des éclairages et de relever des antagonismes. Elle n'est pas une science exacte qui, par l'intermédiaire de théorèmes et d'axiomes aboutirait à une vérité universelle, mais elle peut espérer y tendre. Elle apporte des orientations qui ne recherchent pas un consensus mais surtout révèle tous les antagonismes existants.
C'est donc dans ce contexte qu'une analyse éthique sur les bonnes pratiques des systèmes algorithmiques (intégrés dans les systèmes d'information, les objets connectés, l'IA et les Blockchains), s'impose à nous afin de rétablir un rapport de confiance entre les acteurs de la finance, les utilisateurs de ces données numériques et la société. C'est pourquoi, nous préconisons l'idée d'une éthique du numérique qui se déploie dans un dialogue et qui s'applique à la fois : aux données, aux algorithmes et aux pratiques qui y sont associées.

En définitive, il est indispensable d'établir des attentes et des préconisations éthiques spécifiques à la finance 4.0 (3) et d'instaurer de nouveaux systèmes de valeurs morales et humaines. Cela passe par un nouveau cadre de confidentialité des données personnelles, en se concentrant plus sur la responsabilisation de l'usage de la Data par les organismes qui les collectent, les croisent, les analyses et les exploitent, et un peu moins sur le consentement individuel au moment de l'acquisition. La prise en compte de cette nécessité s'est traduite par la création du label éthique ADEL (Algorithm Data Ethics Label)  autour du traitement des données numériques notamment dans le secteur de la finance, afin de donner du sens, de la sécurité, de la transparence et de la confiance auprès des structures et des entreprises vis-à-vis de leurs clients. Cette initiative se fonde sur le principe de l'Ethics by Design, c'est-à-dire, intégrer des exigences et des bonnes pratiques éthiques dès la conception des traitements algorithmiques des données numériques.

Enfin, nous sommes en droit de nous interroger sur le devenir d'un monde où chaque système algorithmique ou objet autonome disposera de ses propres modalités d'exécution et règles (éthiques ou pas), et où chaque individu pourra définir ses propres modalités de transactions voire sa monnaie ? Dès lors, il nous parait inéluctable de se demander quelle gouvernance algorithmique il faudra mettre en place dans un proche avenir ?

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Notes :

1/ Les Bitcoin est une monnaie cryptographique et système de paiement « Peer-to-Peer » qui fait de plus en plus parler d'elle depuis quelques semaines, notamment pour son cours de valorisation financière extrêmement volatile).

2/ En français, « contrats intelligents », sont des programmes autonomes qui exécutent automatiquement les conditions et termes d'un contrat, sans nécessiter d'intervention humaine une fois démarrés.

3/ Le concept d' « industrie 4.0 » a été énoncé pour la première fois lors du salon de la technologie industrielle à Hanovre, en 2011. Il correspond à une nouvelle manière d'organiser les moyens de production à partir de bases technologiques telles que l'Internet des objets, les technologies relatives aux Big Data, et les systèmes cyber-physiques. L'objectif est de mettre en place des entreprises dites « intelligentes » (Smart Factories) capables d'une plus grande adaptabilité dans la production et d'un usage plus efficace des ressources dont elles disposent.
  https://www.adel-label.com/

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Encadré :

Concevoir des produits et élaborer une tarification : par un meilleur traitement des données internes, corrélation avec des données nouvelles provenant de capteurs individuels et environnementaux ;
Lutter contre la fraude : via une approche croisée avec le profilage des personnes, les data personnelles et contextuelles ;
Mieux connaitre les clients et le marché : par le croisement des données On-Line et Off-Line ;
Réaliser une base de données partagées : pour les banques et les acteurs financiers qui souhaitent s'échanger des documents qui sont légitimes et valides (Cf. Gain de temps pour la vérification) ;
Proposer des services adaptés : via le croisement de bases de données, de capteurs, et de réseaux sociaux ;
Permettre au client d'être plus acteur : en ayant l'accès à ses informations personnelles, la possibilité de rajouter des documents, de choisir quelles données il souhaite partager avec telle ou telle personne.

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Commentaires 2
à écrit le 06/03/2018 à 23:24
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peut etre que les algorismes personnel Avec un code personnel .les ordinateurs seront inviolable, cela vaut le coup deseye celui qui trouveras le premier ces algorismes inviolable un :feras fortune :deux ;rentras service a tous le monde des particuli...

à écrit le 06/03/2018 à 10:25
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Éthique et finance ? lol "Même les voleurs de grand chemin ont disparu: les uns, habitués au plein air, exercent la profession de pickpockets sur les champs de course; les autres se sont adonnés à la haute banque. " Alphonse Allais

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