L'ombre de Keynes plane sur le Brexit

« Quand les faits changent, je change d'avis » : telle était l'une des maximes de Keynes qui était un pragmatique accompli. Quelle aurait été son attitude face au Brexit ? Pour ou contre, il aurait de toute façon été partie prenante aux négociations afin de tenter d'en extraire le meilleur accord possible en dépit des conditions fort défavorables auxquelles est confronté son pays. Par Michel Santi, économiste (*).
Michel Santi.
Michel Santi. (Crédits : DR)

De fait, ayant représenté la Grande Bretagne lors de la Conférence de paix de Versailles en 1919, puis ayant dirigé la délégation britannique à Bretton Woods au milieu des années 1940 et ayant présidé à la refondation de notre système monétaire, John Maynard Keynes était un négociateur hors pair. Il fut, en effet, un des seuls du parti des victorieux de 1918 à stigmatiser les réparations irréalistes imposées à l'Allemagne vaincue. Il exhorta de même la délégation britannique à faire preuve de flexibilité et de compréhension vis-à-vis des tentations isolationnistes américaines, en encourageant ses collègues à faire preuve d'empathie avec leurs alter ego américains.

L'objectif prioritaire : préserver absolument l'Union

Les négociateurs britanniques actuels devraient s'en inspirer et comprendre que l'objectif prioritaire des dirigeants européens est de préserver absolument l'Union, et de décourager par la vertu de l'exemplarité toute autre tentation d'un autre pays de vouloir la quitter. En ayant la capacité de regarder au-delà de leur simple copie concernant le Brexit, les Britanniques comprendraient que la symbolique du deal est aussi cruciale que le deal lui-même ! Sachant que c'est, pour le coup, les deux parties en présence (l'Union européenne et la Grande Bretagne) qui se doivent de faire l'effort de s'intéresser aux positions adverses afin de faciliter un accord équilibré dont la perspective semble, hélas, s'éloigner jour après jour.

Pour ce faire, la Grande Bretagne se devra de persuader Bruxelles qu'elle restera un partenaire commercial de qualité, et un allié politique indispensable. Là aussi, Keynes prodigue de précieux enseignements.

Le Brexit, tout premier test de déglobalisation

Lui qui, en 1945, considérait que la meilleure stratégie pour son pays n'était pas de constamment mettre en avant sa contribution à l'effort de guerre, mais plutôt d'embrasser et de faire délibérément face au monde nouveau qui s'ouvrait après la Seconde Guerre mondiale. Un homme ou un femme de la trempe de Keynes manque donc cruellement dans la conjoncture des négociations complexes et ardues du Brexit, car il est aujourd'hui crucial que l'ensemble des négociateurs prennent conscience de l'importance de la relation sur tant de niveaux entre l'Europe et son voisin britannique. Et des enjeux majeurs du Brexit car - de fait -, nulle nation n'a jusque-là quitté une zone de libre échange et, ce, précisément depuis Bretton Woods !

Le Brexit représente donc le tout premier test de déglobalisation auquel doit face faire l'humanité dans un contexte d'hypercomplexité. Car, en outre, nulle autre zone de libre échange n'est autant intégrée (tant au niveau du commerce, des services, du flux des capitaux et de la libre circulation des personnes) que l'Union européenne.

Keynes et son agilité mentale auraient donc navigué allègrement à travers le champ de mines qu'est le Brexit, même s'il y a fort à parier qu'il en aurait été un farouche opposant. Il mettait très souvent en garde contre la tentation de sacrifier les acquis du présent pour des perspectives futures meilleures, mais très incertaines. Dès l'âge de 21 ans, il avait en effet noté notre infime capacité de prédiction.

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(*) Michel Santi est macro économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.
Il vient de publier "Fauteuil 37" préfacé par Edgar Morin. 
Sa page Facebook et son fil Twitter.

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Commentaires 4
à écrit le 23/10/2018 à 7:35
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Keynes a contribué à affaiblir le Traité de Versailles et affermir le parti nationaliste et national-socialiste en Allemagne. Le Traité de Versailles a été l'outil du parti de la guerre à arriver au pouvoir et non pas la cause. Et Keynes, involontair...

à écrit le 23/10/2018 à 4:37
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Citer Keynes est un bon exemple dans la situation actuelle, n'en deplaise a Machiavel, qui, il faut s'en souvenir n'etait pas un cador en economie, mais de delires litteraires. Il faut souhaiter qu'Albion reste dans l'actuelle Europe. "Faites de v...

à écrit le 22/10/2018 à 23:52
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« la Grande Bretagne se devra de persuader Bruxelles qu'elle restera un partenaire commercial de qualité, et un allié politique indispensable. » Bruxelles ne veut pas de simples promesse. Ce que voudrait Bruxelles, c’est que la GB continue a se so...

à écrit le 22/10/2018 à 15:25
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"« Quand les faits changent, je change d'avis » : telle était l'une des maximes de Keynes" "Un changement en appelle un autre" Nicolas Machiavel. Et si nous nous mettions à chercher à vivre ensemble au lieu de mourir ensemble au sein du conso...

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