La France face à la bombe à retardement des compétences

Automatisation, compétences et baisse de l’investissement dans l’éducation sont-il les germes d'une nouvelle crise pour l’économie française ? Par Vikas Pota, directeur général de la Varkey Foundation.
Vikas Pota, directeur général de la Varkey Foundation.

Même si l'économie française fait partie de celles qui se relèvent le plus lentement de la crise financière ces cinq dernières années, certains signes indiquent qu'elle commence à retrouver un niveau stable et modeste. Toutefois, à peine les choses ont-elles commencé à s'améliorer que l'économie est confrontée à de nouvelles menaces : une multitude de rapports récents ont souligné les nouveaux risques susceptibles de générer un vrai désastre.

Le premier facteur de risque, et celui qui pourrait avoir l'impact le plus considérable, est l'automatisation. Des études récentes dans d'autres économies développées montrent que l'impact potentiel de l'automatisation des tâches est énorme, et que jusqu'à la moitié des emplois actuels étaient dépassés, y compris de nombreuses fonctions administratives, de bureau et de production. La France n'est pas immunisée contre cela, et une étude de l'OCDE estime que 30 % des emplois sont menacés - ce qui représente un problème grave étant donné que le taux de chômage en France est toujours relativement élevé, oscillant autour de 10 % (par rapport au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, dont ce même taux est de 4 %). En effet, l'automatisation commence déjà à avoir un impact en France, et la préférence des sociétés françaises pour l'automatisation pourrait être liée au droit du travail rigoureux en France.

Taxer l'automatisation pour financer un revenu universel ?

Plusieurs solutions radicales ont été proposées, y compris la taxation de l'automatisation afin de financer un Revenu universel de base pour les travailleurs licenciés. Le Président Macron privilégie l'idée de reconvertir les travailleurs en masse pour mettre en place une nouvelle économie numérique, mais ce changement est controversé et peut s'avérer difficile sans une assistance de grande envergure ; en outre, ses projets de reconversion numérique pourraient également entraîner leur lot de problèmes. La restructuration peut faire partie intégrante de l'évolution d'une économie, lorsqu'elle est exécutée à un rythme raisonnable : mais elle requiert une main-d'œuvre possédant une base de compétences élargies, approfondies et flexibles, capable de réagir avec ingéniosité dans un contexte économique en pleine évolution. Malheureusement, la main-d'œuvre française semble de moins en moins en mesure de relever le défi, et cela pour diverses raisons.

Premièrement, compte tenu du vieillissement de la population et de la faible participation des personnes âgées de plus de 50 ans à l'économie, la France est relativement exposée à une pénurie de main-d'œuvre. Un autre rapport publié par le World Economic Forum montre qu'elle est mal classée en termes de Déploiement du capital humain par rapport à ses autres indicateurs de statut économique, ce qui signifie qu'elle n'est pas assez performante dans l'application et l'accumulation des compétences au sein de la population adulte, notamment concernant les femmes, les jeunes et les personnes plus âgées, peu impliqués dans l'économie. Selon ce rapport, les causes du faible développement incluent, en autres, « l'insuffisance des possibilités » et la nature changeante du travail à l'échelle mondiale. Par ailleurs, bien entendu, les lois françaises rigoureuses en matière de travail, ainsi que les difficultés associées à leur réforme, peuvent constituer un obstacle à la croissance requise pour créer de nouveaux emplois. Ensemble, ces facteurs représentent plusieurs risques émergents pour l'économie française.

Un défi pour le système éducatif français

Par conséquent, le système éducatif a fort à faire pour créer une population de jeunes plus actifs, compétents et flexibles. L'éducation française sera-t-elle capable de relever ce défi de taille ? La réponse n'est pas claire. Un nouveau rapport de l'OCDE publié la semaine dernière, qui examine les tendances éducatives au cours des dix dernières années, a révélé plusieurs marqueurs inquiétants. Les dépenses de la France sont inférieures à la moyenne par élève dans l'éducation primaire, et son augmentation des dépenses éducatives publiques proportionnellement au PIB était inférieure à la moyenne de l'OCDE entre 2008 et 2014 ; de plus, en 2014, elle était en retard par rapport à la majorité des pays de l'OCDE en termes de dépenses publiques consacrées à l'éducation par rapport aux dépenses totales du gouvernement. En outre, il existe relativement peu de dépenses ou de financement privé consacrés à l'éducation française (le niveau de dépenses est inférieur de 5 points de pourcentage par rapport à la moyenne de l'OCDE et bien inférieur au pourcentage dans des pays tels que le Royaume-Uni, le Japon et les Etats-Unis). Si l'on considère la manière dont ces facteurs ont affecté les élèves, le nombre d'enfants par classe en France a légèrement augmenté ces dernières années, alors qu'en moyenne dans l'OCDE, il a légèrement diminué. Le nombre d'enseignants par classe en France est bien inférieur à la moyenne de l'OCDE. Même si le salaire des enseignants est légèrement plus élevé que la moyenne de l'OCDE par rapport à celui de travailleurs d'instruction similaire - à environ 90 % du salaire moyen des diplômés du tertiaire - les salaires de départ de chaque type d'enseignant étaient moins importants que la moyenne de l'OCDE.

L'image globale dépeinte par ces marqueurs est que l'éducation n'est pas prioritaire. Cela pourrait s'expliquer par le fait que, contrairement à ce que l'on pourrait croire, l'enseignement n'est pas particulièrement valorisé par la population dans son ensemble. En 2013, le Global Teacher Status Index (Indice du statut des enseignants dans le monde) de la Varkey Foundation indiquait que le statut des enseignants en France était légèrement inférieur à la valeur médiane dans les pays examinés, inférieur à celui des Etats-Unis et du Royaume-Uni, et bien inférieur à celui des acteurs économiques émergents tels que la Corée du Sud et la Chine. Seuls 23 % des participants français ont déclaré qu'ils inciteraient leurs enfants à devenir enseignant. En comparaison, en Chine, où les enseignants sont le plus, près de 50 % des participants chinois ont déclaré qu'ils encourageraient leurs enfants à devenir enseignant, malgré le faible salaire des enseignants par rapport à la plupart des pays de l'OCDE. Cela est dû en partie au fait que la Chine a mis en place un jour férié officiel pour célébrer les enseignants : pour que cette profession soit valorisée, il est nécessaire de reconnaître publiquement leur profession et de célébrer leurs accomplissements.

Si ces tendances se poursuivent - et tout laisse à penser que ce sera le cas - le système éducatif français sera de moins en moins en mesure de créer une main-d'œuvre capable de faire face à un avenir économique incertain dans lequel il devra tirer parti d'une large gamme de compétences techniques et créatives. Toutes les expériences internationales, de la Finlande à la Corée du Sud, sont la preuve qu'il est impossible de créer un excellent système éducatif sans des enseignants motivés, correctement formés et récompensés de manière juste. Pour que la France réussisse dans un monde automatisé et relève le défi qui s'y rattache, elle aura besoin de capital humain. C'est la manière dont elle traite ses enseignants qui déterminera, à terme, si le pays pourra surmonter les difficultés à venir.

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(*) Vikas Pota est directeur général de la Varkey Foundation.

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REFERENCES

  • https://www.oecd.org/economy/france-economic-forecast-summary.htm
  • https://www.pwc.co.uk/services/economics-policy/insights/uk-economic-outlook.html
  • https://www.oecd.org/els/emp/Policy%20brief%20-%20Automation%20and%20Independent%20Work%20in%20a%20Digital%20Economy.pdf
  • https://oecdobserver.org/news/archivestory.php/aid/1672/France:_Jobs_and_older_workers.html
  • https://reports.weforum.org/global-human-capital-report-2017/dataexplorer/#economy=FRA
  • https://www.oecd.org/education/education-at-a-glance-19991487.htm
  • https://www.varkeyfoundation.org/teacherindex
  • https://www.chinadaily.com.cn/culture/2015-09/10/content_21841450.htm
  • https://www.varkeyfoundation.org/homepage

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Commentaires 14
à écrit le 09/10/2017 à 10:41
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Quelle horrible vision de société. Et si le but de la vie n’était pas d’être un brave toutou à son mémaître — lire, un salarié — n’ayant aucun but ou désir propre autre que servir à la guerre économique qui anime nos bien aimés capitalistes ? Rien...

à écrit le 09/10/2017 à 10:36
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"Premièrement, compte tenu du vieillissement de la population et de la faible participation des personnes âgées de plus de 50 ans à l'économie, la France est relativement exposée à une pénurie de main-d'œuvre". Etonnant cette phrase ,cela donne l...

à écrit le 09/10/2017 à 10:27
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Il y a beaucoup de travailleurs compétents en France. Trop souvent ils sont sous la dépendance hiérarchique d'un "c'est moi le chef"

le 09/10/2017 à 11:53
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C'est vrai qu'il n'y a aucune critique du modèle français de gestion des ressources humaines. Alors que la promotion au mérite a été supprimée, que les profils psychologiques ont supplantés les compétences techniques dans les recrutements en usant de...

à écrit le 08/10/2017 à 23:12
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La france pour s en sortir et faire concurence aux pays en developement a forte main d oeuvre mal renumerez .doit allez vers la robotique,: set si elle doit forme des ensegniants pour cela et bien les paye aussi, et pour aconpagnier cela elle doit pr...

à écrit le 08/10/2017 à 20:03
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certains trouvent ca inhumain qu'il y ait moins de gens au fond des mines a cause de la mecanisation.......... ca ne regarde qu'eux! une taxe sur l'automatisation c'est bien, ca fabriquera d'autant plus de chomeurs que les boites iront ailleurs........

à écrit le 08/10/2017 à 18:51
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« L’impact potentiel de l'automatisation des tâches est énorme » Rien de nouveau à cela, ça fait plus d’un siècle que cela se produit de manière récurrente, Avec des pics dus aux révolutions technologiques, suivis de phases d’optimisation ou de régr...

à écrit le 08/10/2017 à 17:30
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Les effets catastrophiques du bac+2, merci Jospin, sont de plus en plus visibles et je pense que ce dernier devrait être traduit en Haute Cour de justice pour haute trahison :-)

le 09/10/2017 à 9:53
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Ainsi que Macron pour la fin de l'État de droit (rapide le garçon), Hollande pour sa non-gestion des places manquantes dans les universités, Sarkozy pour l'explosion de la dette publique, Chirac pour les essais nucléaires, ... Pas mal de politiques ...

à écrit le 08/10/2017 à 14:51
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Qui est donc ce Vikas .... qu'il enlève ses œillères !! Heureusement que ce genre de discours ne passe pas partout ! 🐥

à écrit le 08/10/2017 à 11:05
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C'est vrai que les (big ?) données ci-dessous sont particulièrement défavorables à la France : Magazine L'Expansion, 09/2012 : les ingénieurs français d'IBM se sont montrés bien plus efficaces que les collègues des autres pays (Inde, notamment...) d...

le 08/10/2017 à 12:39
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D'accord avec vous nos écoles d'ingénieurs sont au top. On a vraiment tout pour réussir sauf des politiciens à la hauteur.

à écrit le 08/10/2017 à 9:59
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ça sent l'exercice de propagande par un organisme bidon basé à Londres.

à écrit le 08/10/2017 à 9:39
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Le résultat est comme la dernière étude européenne montre, les artisants français sont les moins bons et les moins qualifié dans tout l'UE.

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