La guerre en Ukraine éloigne de Moscou ses anciens partenaires

OPINION. Un an de combats conduit à un nécessaire bilan portant sur chacun des belligérants, le délabrement de l'économie ukrainienne, et les conséquences inévitables pour la société russe, mais aussi pour des pays qui étaient réputés proches de Moscou. Par Gérard Vespierre (*) Président de Strategic Conseils.
Gérard Vespierre.
Gérard Vespierre. (Crédits : Valérie Semensatis)

Au-delà des conséquences internes au pays, se développent des conséquences externes dans « l'étranger proche » de la Russie. Derrière cette expression apparaissent trois pays qui, depuis l'invasion, s'éloignent ostensiblement de Moscou, à savoir, l'Arménie, l'Azerbaïdjan et le Kazakhstan. Sont ainsi impliquées deux zones stratégiques de la périphérie russe, le Caucase et l'Asie Centrale.

Le désarroi arménien

Depuis 2020 et la guerre lancée par l'Azerbaïdjan, l'Arménie s'inquiète de plus en plus du rôle mineur joué par son allié russe. Pourtant membre de l'OTSC, Organisation du Traité de Sécurité Collective voulue par le Kremlin, l'Arménie n'a obtenu nul support de Moscou. Elle avait même signé un accord bilatéral avec Moscou concernant la base militaire que la Russie a gardé en Arménie. Totale ingratitude de Moscou alors qu'Erevan l'avait toujours soutenu à l'Onu dans son annexion illégale de la Crimée.

La Russie se limite à être une force de paix et d'interposition, afin de ne pas compliquer ses relations avec Ankara, diplomatiquement très présent dans le conflit ukrainien. Cette prudence russe vis-à-vis de la Turquie ne peut qu'attiser la rancœur de l'Arménie contre la Russie.

Erevan l'exprime en accueillant fin septembre 2022, Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants à Washington. Fin Décembre, l'Arménie refuse de participer à une réunion organisée à Moscou en vue de la préparation d'un traité de paix avec l'Azerbaïdjan.

La distance de l'Azerbaïdjan

Quelques semaines avant le déclenchement de cette guerre, Azerbaïdjan et Ukraine avaient annoncé le renforcement de leur alliance stratégique en cas d'attaque par un pays tiers, non nommé mais plus à l'est... Figurait dans ce ressentiment vis-à-vis de Moscou, la livraison par la Russie de missiles anti-aériens S-300 au rival arménien.

L'Azerbaïdjan a donc été un des premiers pays du Caucase a apporté son soutien à l'Ukraine. Deux jours après le début des hostilités, Bakou donnait l'ordre à sa compagnie pétrolière présente en Ukraine de ravitailler gratuitement les ambulances en carburant. Quelques jours plus tard, les avions azerbaïdjanais apportaient médicaments et matériels médical. Il y avait la volonté de délivrer un message à Moscou, en soutenant un « ancien satellite du Kremlin ». Sous emprise soviétique pendant des décennies, l'Azerbaïdjan a cherché depuis à garder et augmenter sa liberté face à Moscou. C'est à travers ce tissu transparent de l'Histoire qu'il faut lire le soutien de Bakou à Kiev.

Depuis l'invasion russe, les exportations de gaz de l'Azerbaïdjan vers l'Europe ont augmenté de 30 %. Elles devraient doubler d'ici à 2027. En s'écartant de l'Est, Bakou se rapproche de l'Ouest.

La distanciation du Kazakhstan

Le pays le plus significatif dans son éloignement de Moscou est le Kazakhstan. A lui seul, il représente 15% de la surface de la Russie. Ses richesses énergétiques sont impressionnantes, le pays occupe le 11e rang mondial pour ses réserves de pétrole conventionnel, le 15e pour le gaz, et le  2e rang mondial pour le minerai d'uranium. Impressionnant panorama. Ces données, et en particulier la dernière, en font un partenaire stratégique de la France.

Le Kazakhstan poursuit son évolution avec le président Tokaïev. Confronté à des émeutes en janvier 2022, il a bénéficié de l'envoi de 2.500 soldats russes. Mais l'invasion de l'Ukraine a rebattu les cartes. Le Kazakhstan a rapidement envoyé de l'aide médical à... Kiev. Cet automne, il n'a pas reconnu l'annexion des quatre Oblasts ukrainiens par la Russie. Astana a même recueilli des dizaines de milliers de Russes fuyant leur pays et sa conscription.

Ces dernières années l'Union européenne est devenue le premier client du Kazakhstan devant la Chine. Cette distanciation vis-à-vis de Moscou s'accompagne d'une importante communication. Elle se déploie autour du Forum économique d'Astana, et sera complétée, dès cet été, par le Forum international d'Astana. Cette nouvelle manifestation, prévue les 8 et 9 juin, est destinée à être un lieu de rencontres et d'échanges au moment où le monde se fragmente et se fragilise.

Grâce à sa position géographique unique, le Kazakhstan est en capacité de créer un pont entre l'Asie et l'Europe. Il peut créer le nécessaire dialogue qui doit répondre aux défis sans précédents, climatiques, énergétiques, économiques, auxquels le monde est depuis peu confronté. Telle est la philosophie qui va présider à ces échanges orientés autour de quatre thèmes: politique étrangère, sécurité et développement durable, énergie et climat, économie et finances. Astana souhaite ainsi démontrer et renforcer son ouverture vers le monde, afin de ne pas rester immobile devant les initiatives belliqueuses de son voisin russe.

Perspectives nouvelles

L'invasion de l'Ukraine rebat non seulement les cartes entre l'Europe et la Russie mais également entre les anciennes républiques de l'URSS et Moscou. Trente années d'indépendance ont laissé entrevoir à l'Arménie, à l'Azerbaïdjan et au Kazakhstan des perspectives nouvelles, au-delà de leur ancien horizon. La très douloureuse guerre ukrainienne même brandie par certains à Moscou comme modèle que la Russie pourrait appliquer chez d'autres provoque en réalité des réactions de rejet ou d'éloignement dans le premier cercle des partenaires de la Russie.

Les conséquences du 24 février 2022 sont en train de changer toute l'Eurasie.

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(*) Analyste géopolitique, fondateur du média web « Le Monde Décrypté »

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Commentaires 3
à écrit le 24/02/2023 à 19:58
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j'ai écouté les interventions des pays européens au sein du conseil de sécurité à l’occasion de l'anniversaire de l’opération de Russie en Ukraine et j’étais sidéré par la mauvaise foi des européens. c’était la surenchère entre eux dans la mauvaise f...

à écrit le 23/02/2023 à 17:38
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L'analyse est juste, mais c'est une évidence. Il faut rajouter que les dirigeants de la Russie se sont montrés non seulement comme méchants et agressifs, mais aussi comme stupides, irrationnels et incapables. La Russie ne peut rien proposer à ces pay...

à écrit le 23/02/2023 à 14:32
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Quand on est pas sous influence, on se permet d'être juge et parti; ce qui n'est pas le cas quand on appartient a des coalitions !

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