La résistance des juges prud'homaux face au "barème Macron" est-elle justifiée ?

LE TRAVAIL DANS TOUS SES ÉTATS. Ce « barème Macron » avait pour but de sécuriser la rupture des relations contractuelles aussi bien pour l'employeur que pour le salarié. Or, en 2018, six Conseils de prud'hommes (CPH) ont refusé de l'appliquer. Le problème: l'instauration de ces barèmes ne leur permet plus d'apprécier le préjudice subi par les salariés au cas par cas. Par Myriam Delawari-de Gaudusson, associée au cabinet d'avocats De Gaulle Fleurance & Associés.
En 2018, six Conseils de prud'hommes (CPH) ont refusé d'appliquer le « barème Macron » en invoquant des textes européens.
En 2018, six Conseils de prud'hommes (CPH) ont refusé d'appliquer le « barème Macron » en invoquant des textes européens. (Crédits : REUTERS)

Les « ordonnances Macron » du 22 septembre 2017 prévoyaient de modifier en profondeur le droit du travail français. D'une part, au niveau des relations collectives de travail avec, entre autres, la suppression du Comité d'entreprise et du CHSCT au profit du Comité social et économique (CSE). Et d'autre part, à celui des relations individuelles de travail avec une mesure phare : l'instauration de barèmes d'indemnités applicables en cas de contentieux devant le juge prud'homal. L'idée était d'encadrer les indemnités accordées par les juges en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Un barème est ainsi fixé en fonction de l'ancienneté et de la taille de l'entreprise avec une grille indiquant les montants minimum et maximum que les conseillers prud'homaux peuvent accorder aux salariés.

L'idée de départ: sécuriser la rupture des relations contractuelles

Ce « barème Macron » avait pour but de sécuriser la rupture des relations contractuelles aussi bien pour l'employeur que pour le salarié. En effet, le dirigeant d'une entreprise était sensé pouvoir anticiper les conséquences financières d'un licenciement requalifié par les juges comme étant sans cause réelle et sérieuse. Or, avant l'instauration du « barème Macron », le calcul de ce risque était impossible. Du côté du salarié, ce dispositif devait harmoniser les décisions prud'homales afin d'offrir plus d'équité dans les indemnités perçues par les salariés au niveau national.

Cependant, six Conseils de prud'hommes (CPH) ont refusé d'appliquer en 2018 le « barème Macron » en invoquant des textes européens. Selon le CPH de Troyes, le barème violerait la Charte sociale européenne et la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT). Il ne permettrait pas « aux juges d'apprécier dans leur globalité les situations individuelles des salariés injustement licenciés et de réparer de manière juste le préjudice qu'ils ont subi ». Pour le CPH d'Amiens, l'indemnité accordée à un salarié injustement licencié « ne pourrait être considérée comme étant appropriée et réparatrice du licenciement sans cause réelle et sérieuse et ce, dans le respect de la convention n° 158 de l'OIT ». Dans la même veine, le CPH de Lyon énonce que « l'indemnisation du salarié est évaluée à hauteur de son préjudice », suivi en ce sens par le CPH de Grenoble.

Le problème : la situation du salarié pas suffisamment prise en compte

La réaction des juges prud'homaux est claire : l'instauration de ces barèmes ne leur permet plus d'apprécier le préjudice subi par les salariés au cas par cas. Ces derniers se retrouvent enclavés dans des barèmes trop restrictifs qui ne prennent pas suffisamment en compte la situation personnelle du salarié. De ce fait, ils en reviennent à la jurisprudence antérieure et indemnisent le salarié à hauteur de son préjudice. Les conseillers prud'homaux font ainsi fi de la législation française, pourtant validée par le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel (CE, ord. réf., 7 déc. 2017, n° 415243 ; Cons. const., 21 mars 2018 n° 2018 761 DC).

C'est à Paris que l'application du barème prud'homal fait désormais le plus de bruit puisqu'une conseillère affiliée à la CGT a unilatéralement invoqué, en mars 2019, la Charte européenne et la Convention n° 158 de l'OIT alors qu'un accord existait lors du délibéré avec les trois autres conseillers prud'homaux. Dans ce contexte incertain et houleux, les praticiens et les chefs d'entreprise attendent avec impatience une position des plus hautes juridictions. Quand viendra-t-elle ?

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Commentaires 4
à écrit le 28/04/2019 à 21:28
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Ce barème Macron ridiculement faible quand vous avez peu d'ancienneté est un permis de licencier à pas cher quand l'employeur veut se débarrasser d'un collaborateur. Certes, il y a l'exemple de petites entreprises menacées dans leur survie par des in...

à écrit le 27/04/2019 à 12:38
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Je me souviens de ce texte de loi : 49-3 de Valls et M. El Komri comment oublier la fameuse loi sur la loi du Travail ? Le serpent de mer qui se fait mordre la queue par Bruxelles... L’application est bloquée, il serait temps que la France règle le...

à écrit le 27/04/2019 à 11:17
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Si les juges prudom'haux n'appliquent pas la loi, ils doivent être révoqués et leurs décisions déclarées nulles et non avenues.

à écrit le 27/04/2019 à 9:01
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Les juges prudhommaux faisant partie de la vie active réelle, étant confrontés aux problèmes des gens directement et notre hurluberlu évoluant seulement dans la haute caste déconnectée des gens on ne peut que défendre les acteurs du réel.

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