La valse des collaborateurs de cabinets

POLITISCOPE. Depuis l'été, un vaste chassé-croisé de nouvelles nominations agite les hautes sphères technocratiques de l'Etat. Ministres, haut-commissaire, conseillers, administrateurs sont chargés de mettre en marche la relance économique "made in France", tout en répondant à des ambitions plus politiques pour l'Élysée...
(Crédits : Reuters)

En macronie, les « technos » ont une place toute particulière, prépondérante. Au grand dam des « élus de terrain ». Quelques grandes figures de la majorité, telles que Richard Ferrand ou François Bayrou - nouveau « haut commissaire au plan » - s'en désolent régulièrement auprès de leurs proches, de leurs camarades ou des journalistes politiques. Selon eux, les technocrates auraient la mainmise sur la direction de l'Etat. Et c'est ce qui expliquerait, en partie, les difficultés d'Emmanuel Macron dans son rapport aux Français.

Ces analyses oublient un peu vite que le président lui-même est un pur produit de la technocratie à la française - en tant qu'ancien inspecteur des finances -, et qu'à l'heure où certains essayent de trouver l'essence du « macronisme », il est évident que ce dernier constitue d'abord l'expression ultime du pouvoir des techniciens de l'Etat sur les affaires de la cité. Certes, depuis la crise des Gilets jaunes, Emmanuel Macron multiplie les coups de com' pour apparaître comme proche des Français, mais la nomination récente de Jean Castex à Matignon ne peut faire oublier que lui, tout comme le président, fut par le passé secrétaire général adjoint de l'Elysée. Du reste, c'est ce qui inquiétait certains chefs d'entreprise rassemblés à la fin de l'été à l'université d'été du Medef : « Au moins Edouard Philippe et son équipe connaissaient le monde de l'entreprise. Ce n'est pas le cas du nouveau taulier », nous soufflait ainsi un patron.

Au cours de l'été pourtant, un vaste mouvement s'empara de l'État et de sa direction dans la plus grande discrétion. À la faveur du remaniement ministériel, on assista à la valse des collaborateurs de cabinets. C'est ainsi que le départ d'Edouard Philippe - et de son directeur de cabinet, Benoît Ribadeau-Dumas - coïncide avec un affaiblissement des conseillers d'Etat dans le dispositif macronien. La bienséance est pourtant sauvegardée : pour remplacer le tout puissant Marc Guillaume au secrétariat général du gouvernement a été nommée Claire Landais... conseillère d'Etat. Guillaume était accusé de ralentir les réformes voulues par le président de la République. Un bouc émissaire facile. En réalité, la gouvernance macronienne pêche par faiblesse politique des différents ministres, malgré quelques évolutions récentes, notamment concernant les missions régaliennes.

À bas bruit donc, les équipes de conseillers se sont entièrement renouvelées ces dernières semaines. Parfois avec difficulté : à moins de 600 jours de la présidentielle, cela ne se bousculait pas au portillon. « A l'Assemblée Nationale aussi, c'est la valse des collaborateurs », remarque un collab' d'un député. Un signe plus intéressant : il est manifeste que les CV des petits nouveaux des cabinets ministériels penchent bien à droite. Autant la victoire de 2017 avait vu la nomination d'anciens membres de cabinets issus des équipes officiant durant le quinquennat Hollande, autant le remaniement de 2020 consacre des collaborateurs issus clairement des rangs LR et de la droite.

À quelques exceptions notables : on a beaucoup glosé sur la nomination - imposée par l'Elysée - de Nicolas Revel, comme directeur de cabinet de Jean Castex. Cet ancien collègue d'Emmanuel Macron à l'Elysée, sous Hollande, fut également l'ancien secrétaire général de la mairie de Paris sous Delanoë. Mais fin août, une nouvelle nomination à Matignon a suscité la curiosité. C'est celle de l'économiste Marc Ferracci, par ailleurs proche ami du président de la République (il fut l'un de ses témoins de mariage), comme « conseiller auprès du directeur de cabinet », ayant « en charge du suivi des mesures de relance et de soutien à l'activité ». Jusqu'à présent, il avait été le conseiller spécial de Muriel Pénicaud au ministère du Travail. Ferracci, dont le père est le patron fondateur du groupe Secafi-Alpha, spécialisé dans le conseil social, n'est assurément pas un homme de droite.

Même constat concernant le groupe LREM à l'Assemblée Nationale : ces derniers jours, là-aussi dans une relative discrétion, y a été recruté Nicolas Bays, ancien député PS dans le Pas-de-Calais,  comme « conseiller auprès du secrétaire général ». Cet homme qui s'était fait discret en début de quinquennat est pourtant un très proche du président de la République. Issu des réseaux Cambadélis au parti socialiste, il fut vice-président de la commission Défense à l'Assemblée durant le précédent quinquennat. Bays est un homme de réseaux : sa circonscription était celle de Jacques Mellick, dont il fut le collaborateur. Comme le souligne un macroniste, « cette embauche est bien le signe que l'Elysée se prépare à 2022 ».

Dans l'entourage présidentiel, on assiste donc ces dernières semaines à des chassés-croisés. Le conseiller spécial Philippe Grangeon est toujours donné partant du château, tandis que l'ancien directeur de cabinet de Richard Ferrand, Jean-Marie Girier, qui fut le directeur de campagne d'Emmanuel Macron en 2017, a été nommé préfet du territoire de Belfort. C'est aujourd'hui le plus jeune préfet de France.

Pour autant, cette valse estivale des collaborateurs politiques ne concerne pas uniquement la macronie. C'est ainsi que la nouvelle maire de Marseille, Michèle Rubirola - écologiste ayant réussi à faire l'union de la gauche -, a recruté deux poids lourds à ses côtés. Benoît Quignon, jusqu'a présent DG de SNCF Immobilier, devient le directeur général des services de la cité phocéenne. Un homme de grande expérience, et qui a travaillé longtemps avec... Gérard Collomb. Par le passé, il fut ainsi le DGS de Lyon, du Grand Lyon, et même le premier directeur général de la métropole de Lyon. Pour diriger son cabinet de maire, c'est Christophe Pierrel qui relève le défi, ancien chef de cabinet adjoint de François Hollande à l'Elysée. Ce qui démontre, là encore, que la macronie n'a pas le monopole de la gestion de l'Etat.

__

(*) Auteur de L'ambigu Monsieur Macron, puis de Le grand manipulateur, les réseaux secrets de Macron, Marc Endeweld tient depuis 2019 chaque semaine dans La Tribune la chronique Politiscope.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 4
à écrit le 14/09/2020 à 9:04
Signaler
Macro est lui-même un pur techno. Il a une vision de l'avenir courte et insensible, façon petit jeu politique. L'administration est le principal ciment de la France qu'elle a noyautée. Une France sous contrôle et largement taxée : c'est la France réi...

le 14/09/2020 à 11:06
Signaler
Merci pour ces confirmations qui a mon avis fait de l'état français la réplique de l'état chinois Confucius en moins ! Espèrer que l'économie va se reveler avec des gestionnaires, franchement, comme la création d'emplois, c'est croire au dahu ! ...

à écrit le 12/09/2020 à 7:40
Signaler
Sur la photo on dirait Poutine, mais sans les epaules. Le palais du Kremlin en comparaison de l'Elysee, c'est un peu du meme tonneau.

à écrit le 11/09/2020 à 19:37
Signaler
C'est la Nomenklatura française. Est-ce un bien ou un mal? Je pense que c'est plutôt un mal. Notre richesse vient des entreprises et ces technos non seulement les connaissent mal, mais aussi les méprisent.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.