La voie sans issue de la politique monétaire

La politique monétaire n'y pourra rien: sans réformes, on n'évitera pas une japonisation de nos économies et des décennies de stagnation. Par Gabriel A. Giménez Roche, professeur, responsable du département économie, ESC Troyes, et chercheur associé à l’Institut économique Molinari.
Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne: les politiques monétaires ne peuvent pas tout
Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne: les politiques monétaires ne peuvent pas tout (Crédits : © Ints Kalnins / Reuters)

L'actualité économique mondiale est paradoxale. Au Japon, le chômage baisse, mais la croissance ne reprend pas. La croissance est présente aux États-Unis et au Royaume-Uni, mais elle dépasse difficilement les 2% par an en dépit de la baisse du chômage. La reprise en Europe est mitigée. Visible mais timide dans l'Europe du Nord, elle est hésitante dans l'Europe du Sud, et absente en France. La stagnation semble être la règle partout.

Autre point commun : la politique monétaire en vigueur en parfaite conformité avec les décisions récentes du gouverneur de la Banque centrale européenne (BCE) à savoir des injections massives de liquidité, un taux d'intérêt en-dessous de 1%, des rachats importants d'actifs financiers par les banques centrales. Après la crise financière de 2008, tout a été mis en place pour renflouer les banques et remettre en route la création de crédit. L'assouplissement quantitatif est devenu le nouveau mantra des banques centrales. Et pourtant, le crédit peine à reprendre dans les grandes économies mondiales. Il reste bien en-dessous des niveaux d'avant la crise.

Une très faible demande de crédit

Certes, les nouvelles règles de Bâle III imposent aux banques un certain conservatisme au moment d'accorder des crédits. En outre, du fait des taux d'intérêt bas, les banques sont devenues plus exigeantes à l'égard de leurs débiteurs potentiels. Cela ne peut cependant pas tout expliquer car les entreprises saines ne cherchent pas non plus à s'endetter massivement auprès des banques. L'écart entre les taux de refinancement des banques et les taux accordés au public n'a jamais été aussi bas de même que l'écart entre les taux de court et long termes. Ceci n'est pas le symptôme d'un credit crunch, mais plutôt d'une demande mondiale très faible pour le crédit.

Les entreprises endettées

Si l'augmentation des dépenses publiques lors de la crise et le surendettement massif des gouvernements dans toutes les économies développées a évité une banqueroute majeure de l'économie, cela n'a pas permis la reprise. Alors d'où vient le problème ? L'analyse des bilans des entreprises nous offre une bonne piste. En effet, la crise a fortement dévalué les actifs des entreprises qui doivent encore rembourser d'énormes dettes. Leurs actifs ont été dévalués, leurs profits ont diminué mais leurs opérations restent suffisamment rentables pour survivre.

Surendettées et sans grandes opportunités à exploiter, les entreprises se désendettent. Au lieu d'investir et prendre des risques, elles préfèrent assainir leurs bilans. Les entreprises investissent seulement quand elles disposent suffisamment de capitaux propres ou quand l'évaluation de leurs actifs est suffisamment solide pour garantir un endettement supplémentaire. Depuis 2008, nombre d'entreprises ont découvert qu'elles ne remplissaient ni l'une ni l'autre des conditions.

Inciter à investir

Les banques centrales se rendent probablement compte du problème et tentent en vain de les inciter à investir. Les assouplissements monétaires menés aujourd'hui dans les principales économies mondiales ne visent plus à sauver des banques, déjà bien renflouées, mais à soutenir les prix des actifs financiers. L'idée est que si la valeur des actifs est élevée, les entreprises cesseront de chercher à se désendetter et recommenceront à investir.

Les investisseurs ne sont cependant pas dupes et savent très bien que les cours des marchés financiers sont aujourd'hui intimement dépendants des politiques monétaires généreuses des banques centrales. Comment expliquer sinon que les marchés d'actions soient aussi florissants alors que les taux de croissance dépassent rarement les 2% ? Si, après beaucoup d'hésitations, la Fed a très légèrement augmenté son taux directeur, c'est parce qu'elle craint une reprise du désendettement. Il faudra attendre encore longtemps avant d'atteindre un taux de 1% ou plus.

Aucune reprise à l'horizon dans les pays comme la France

La croissance timide que nous observons aujourd'hui vient de ce que quelques entreprises saines ont bien résisté à la crise et investissent enregistrant ainsi de bons résultats. Les innovations technologiques aident également à baisser les coûts et à améliorer leurs résultats. Cette légère croissance ne reste cependant le fait que des économies flexibles. Les pays comme la France ne voient aucune reprise à l'horizon du fait de leur rigidité. Les déficits publics peuvent aider à maintenir l'économie à flot, mais ils déplacent le problème vers le futur.

Les entreprises qui deviennent dépendantes de l'État ne sauront pas survivre sans lui, désendettement ou pas. L'endettement public devient alors inévitable et les taux bas incitent les gouvernements au surendettement. La BCE reconnait que la politique monétaire est insuffisante et que seules des réformes structurelles pourront relancer la croissance. Autrement dit, il est devenu crucial de mener les réformes nécessaires à une grande flexibilisation de nos économies afin d'accélérer le désendettement et favoriser une reprise de l'investissement. Le cas échéant, on ne pourra pas éviter une japonisation de nos économies et des décennies de stagnation.

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Commentaires 11
à écrit le 09/01/2016 à 16:17
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C'est dommage de conclure qu'il faut flexibiliser davantage (sans etre specifique sur les secteurs, les modalites, les lois à amender ou abroger) pour repondre à la speculation et aux strategies de desinvestissment des entreprises, apres une bonne ex...

à écrit le 05/01/2016 à 9:14
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CDD, intérim, primes de licenciements rabotées, tout cela n'est pas encore suffisant pour ces soi-disant professeurs, chantres de la "précarisation pour tous". On entend, de chez nous ces professeurs nous crier "Vive les contrats zéro heure ! Vive...

à écrit le 04/01/2016 à 0:14
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Cette bonne analyse a le mérite de montrer qu'il ne sert à rien de faire marcher la planche à Euros. Le redémarrage de l'économie se fera par l'amélioration de la compétitivité. La France qui continue à être le pays des 35 heures, des retraites préco...

à écrit le 03/01/2016 à 19:28
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"Autrement dit, il est devenu crucial de mener les réformes nécessaires à une grande flexibilisation de nos économies afin d'accélérer le désendettement et favoriser une reprise de l'investissement." Qui dit flexibilité du travail donc, vu que c'...

à écrit le 30/12/2015 à 22:15
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L'analyse semble juste mais est terre à terre .En fait par rapport à 2007, voire 2006 ou juste avant, quelle difference sur la structure économique française européenne voire mondiale ? De mon point de vue, rien ,mis à part le gros avantage de taux t...

à écrit le 30/12/2015 à 18:40
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La lecture du dernier livre de Philippe de Villiers est instructive sur cette tétanie qui frappe le monde économique et monétaire. ( "Le moment est venu de dire ce que j'ai vu") . Certes la BCE a atteint sa mission : inflation si nulle, qu'elle se pr...

à écrit le 30/12/2015 à 15:45
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L'euro n'est qu'un dogme et tout le reste doit tourner autour, c'est ce que l'on appelle "réformé"!

à écrit le 30/12/2015 à 15:42
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On parle de "réforme" comme si l'on faisait des essais sans savoir si cela fonctionnent vraiment! Et si l'on parlait "d'adaptation" qui serait bien plus réaliste?!

à écrit le 30/12/2015 à 13:35
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Des réformes oui mais de la flexibilisation, c'est autant une fuite en avant que le déficit public. Le CDI est une des clef d’accès au crédit et le SMIC permet de soutenir l'activité par un minimum de demande. La machine économique mondial est sab...

le 30/12/2015 à 15:03
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1000 FOIS D'ACCORD AVEC VOUS !!!!!!!!!!!! A quoi bon créer de l'offre quand la demande est faible en raison des faibles revenus et salaires ??? A force de privilégier les actionnaires, on fabrique des milliardaires qui ne savent plus où investir ni ...

le 03/01/2016 à 11:36
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Nous avons 5.000.000 de chômeurs , et depuis des années nos gouvernements n'ont jamais cessés "d'importer de la main d'oeuvre pas chère " ( à peu prêt autant ) . Nous sommes des milliers aujourd'hui ( et pour ma part depuis 20 ans ) sur Internet et a...

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