Laissez les œuvres d'art circuler  !

OPINION. Le principe de liberté qui sied au développement du commerce international doit-il aussi s'appliquer au commerce des œuvres d'art ? Il faut reconnaître que le sujet est particulièrement compliqué quand les œuvres d'art semblent relever de la qualification de « trésor national ». Il est pourtant essentiel d'assurer leur circulation afin de garantir leur valeur et l'attractivité du marché de l'art physique. Par Hervé Guyader, avocat au barreau de Paris, docteur en Droit, président du Comité français pour le droit du commerce international (CFDCI).
Hervé Guyader.

Au-delà de la valeur marchande qui caractérise les « trésors nationaux », s'ajoute une valeur très subjective, voire de l'affect. L'attachement à certains tableaux devient sentimental et participe même de l'image d'un pays. Imaginez un instant Le Radeau de la Méduse ou La Joconde mis en vente. C'est un peu comme si vous bradiez la Tour Eiffel. D'aucuns auraient tôt fait de crier au scandale de la dilapidation, de la gestion calamiteuse, dispendieuse des bijoux de famille.

Législation spécifique

Il n'est donc pas surprenant que beaucoup de pays aient prévu une législation spécifique autorisant l'État à interdire la vente et, surtout, la sortie du territoire des « œuvres d'intérêt patrimonial majeur ». C'est le traumatisme lié à l'affaire du Poussin de Lyon qui, en France, justifia la création du Code du patrimoine par l'ordonnance du 20 février 2004 dont l'article L.111.1 définit ces œuvres. Nul n'a oublié que La fuite d'Égypte, célèbre tableau peint par Poussin, était en passe de quitter le territoire national, ce qui avait ému le public au point de déclencher l'œuvre législative.

Comme toujours quand il s'agit de normes, les choses n'ont pas été faites à moitié. Il a été décidé que ces œuvres majeures ne pouvaient quitter le territoire que sous la stricte réserve de certificats d'exportation temporaires assortis d'obligations et de garanties destinées à être sûr que l'œuvre revienne au bercail dans les temps et dans l'état de conservation le plus parfait.

Ainsi, La liberté guidant le peuple, peint par Delacroix, est frappé d'une limitation absolue des déplacements et d'une recommandation d'interdiction de prêt depuis 1958. Il a tout de même pu voyager à Detroit et à New York en 1974. Il fut plus récemment envoyé à Tokyo afin de célébrer l'année 1999 France-Japon. Mais il fallut l'intervention directe du Président Chirac pour ce faire, rien moins. Il en va de même pour La Joconde qui n'eut droit à un petit voyage transatlantique en 1963 que sur décision expresse du Général de Gaulle. Si le prêt de ces monuments requiert l'aval du Président, il est facile d'imaginer que leur commercialisation est hors de question.

Vente d'un Picasso

C'est la raison qui justifie que l'Espagne s'acharne à récupérer Tête de jeune femme, célèbre tableau de Picasso, précurseur de la période cubiste, mais qui n'est pourtant pas classé « trésor national ». Son propriétaire privé, le banquier Jaime Botín, âgé aujourd'hui de 85 ans, s'est vu confisquer le tableau qu'il détenait depuis 1977 par une décision de justice le condamnant, accessoirement, à une amende vertigineuse (92 millions d'euros, soit trois fois plus que la valeur estimée du tableau) et une peine de prison cuisante (3 ans) pour « acte de contrebande ». Son crime est d'avoir voulu vendre le tableau en 2012 puis d'avoir voulu le transporter dans un dépôt sécurisé à Genève. L'ironie de l'histoire est que le tableau de Picasso était attaché durant tout ce temps sur les murs du yacht du banquier battant pavillon... britannique.

Le nationalisme exacerbé n'est pas l'apanage des Espagnols. L'État français, en 2016, n'avait pas hésité à dépenser 80 millions d'euros pour acquérir un Rembrandt dont l'intérêt patrimonial était jugé majeur. Plus récemment, l'État français a, semble-t-il, amendé sa politique en renonçant à acquérir un autre Rembrandt, Le porte-étendard, qui a ainsi pu retourner sur le marché. Peut-être sa valeur de 165 millions d'euros participa-t-elle de ce retour à la raison.

Il est essentiel de garantir la circulation des œuvres d'art afin de préserver leur valorisation et l'attractivité d'un secteur qui pèse près de 50 milliards d'euros au niveau mondial. Cette libéralisation est d'autant plus importante que le marché physique subit la concurrence du marché dématérialisé et ses désormais célèbres Non Fugibles Tokens, (NFT) dont le poids dépasse déjà les 5 milliards. Or ce marché ne subit aucune limite d'aucune sorte outre les quelques règles applicables aux blockchains qui en garantissent la valeur.

Ce qui ne circule pas... ne vaut rien

Ainsi, on peut imaginer que le propriétaire d'une œuvre d'art qui aura été frappée d'une interdiction de cession ou de déplacement pourra sans la moindre entrave en vendre une copie certifiée unique en la prenant en photo et la plaçant sur une plateforme NFT.

Cet exemple montre bien l'importance de libéraliser davantage la vente d'œuvres d'art et de favoriser leur circulation, faute de tuer le marché de l'art physique. Car ce qui ne circule pas... ne vaut rien.

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