Le 49.3, c’est l’esprit même de la Constitution

OPINION. Selon un sondage Toluna Harris Interactive, plus de deux tiers des Français jugent « non démocratique » le recours à l'article 49.3 de la Constitution, qui permet au gouvernement de faire adopter un texte à l'Assemblée nationale sans qu'il soit voté. Pour Anne Levade, professeur de droit public à l’université Paris1 Panthéon-Sorbonne, le 49.3 est la configuration politique pour laquelle cette « motion de censure provoquée » a été imaginée.
Professeur de droit public à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Professeur de droit public à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (Crédits : Reuters)

Depuis près d'un an, un nombre magique rythme la vie institutionnelle et suscite à coup sûr indignation et critiques: 49-3. En droit constitutionnel, il renvoie au troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution et à l'une des procédures qu'elle prévoit aux fins de rationaliser le parlementarisme. Rien d'étonnant donc à ce qu'il soit utilisé lorsque, comme c'est le cas aujourd'hui, le gouvernement ne dispose que d'une majorité relative à l'Assemblée. C'est l'esprit même de la Constitution et très exactement la configuration politique pour laquelle cette « motion de censure provoquée » a été imaginée! La violence des réactions qu'elle entraîne chaque fois qu'elle est mise en œuvre justifie un retour à la lettre et à l'esprit de cette disposition.

Sur la lettre, on peut être bref. Chacun sait désormais qu'elle permet au Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, d'engager la responsabilité du gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote d'une loi et de considérer ce texte comme adopté sauf si une motion de censure est votée, conduisant dans ce cas à ce que le gouvernement doive démissionner. Depuis la révision constitutionnelle de 2008, le recours à cette procédure n'est plus autorisé que pour un projet de loi de finances, un projet de loi de financement de la Sécurité sociale et « un autre projet ou une proposition de loi par session », que ladite session soit ordinaire ou extraordinaire.

Venons-en maintenant à l'esprit! Ce sont les « pères » de la Constitution qui l'explicitent. En août 1958, présentant le projet de Constitution devant le Conseil d'État, Michel Debré lui-même convient que le dispositif n'a rien de banal :

« L'expérience a conduit à prévoir en outre une disposition quelque peu exceptionnelle pour assurer, malgré les manœuvres, le vote d'un texte indispensable. »

Explication de texte. « Quelque peu exceptionnel », l'article 49, alinéa 3, l'est à raison d'une double originalité. D'une part, il suppose que le Premier ministre et les députés prennent successivement une initiative. D'autre part, et surtout, il lie le sort d'une loi à celui du gouvernement, le texte étant réputé adopté alors même qu'il n'aura pas été voté. En cela, il se distingue des classiques questions de confiance, à l'initiative du gouvernement, et motion de censure à l'initiative des députés, que prévoient les deux alinéas précédents du même article.

Cette procédure ne figurait d'ailleurs pas dans la première version du projet de Constitution. Et, lorsqu'elle fut évoquée, ni le général de Gaulle ni Michel Debré ne s'y montrèrent d'emblée favorables, justement parce qu'elle enlevait à l'Assemblée le droit de voter la loi, en ne lui laissant qu'un droit de veto. C'est donc bien à « l'expérience » que l'on doit son introduction, à la fin du mois de juillet 1958, dans une nouvelle mouture du projet de Constitution. Et, spécialement, à l'expérience de la IVe République. Car le 49.3 est directement inspiré d'un projet de révision constitutionnelle que, au tout début de l'année 1958, Félix Gaillard, alors président du Conseil, avait présenté dans l'« objectif urgent » de « restaurer la stabilité gouvernementale » et de surmonter « une crise de régime dont il serait vain de dissimuler la gravité ».

À l'époque, la pratique l'avait montré: un gouvernement mis en échec sur un texte qu'il jugeait indispensable se trouvait contraint à la démission alors qu'aucune motion de censure n'avait été votée. Il s'est donc agi d'inverser le raisonnement: une loi serait désormais adoptée du seul fait que le gouvernement « qui a identifié le texte à sa propre existence » n'aura pas été censuré par l'Assemblée.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 8
à écrit le 09/10/2023 à 11:52
Signaler
Ce qui est choquant dans l'usage du 49-3, c'est que le gouvernement qui engage sa responsabilité ne le fait en rien puisqu'il ne lui est jamais demandé de comptes. Notre "démocratie" est ainsi: nous élisons des députés pour définir la gestion gouvern...

à écrit le 09/10/2023 à 10:10
Signaler
Au pied de la "lettre", le temps de convergence est attribué à un agent qui a l’intention de réaliser un échange, par le temps passé jusqu’à la date de la transaction de déséquilibre. Ainsi, pour l'équilibre de l'"esprit", le 49.3 pourrait être cette...

à écrit le 08/10/2023 à 10:04
Signaler
La prochaine étape consistera à gouverner par ordonnances et en suivant dissoudre le parlement tout ce que la classe dirigeante fustige chez les régimes autoritaires restera plus à notre président à s'autoproclamer président à vie sauveur de la natio...

à écrit le 08/10/2023 à 9:00
Signaler
Bref ! C'est, diviser constamment pour qu'il n'y ait pas de majorité et de consensus définitif ! C'est semer le chaos ! ;-)

à écrit le 08/10/2023 à 8:55
Signaler
"Professeur de droit public " Ben si vous demandez à une gardienne du temps elle va pas vous dire le contraire hein, forcément.

le 08/10/2023 à 12:35
Signaler
"une gardienne du temps" Je voulais dire du temple bien entendu mais ce lapsus est plutôt sympa...

le 09/10/2023 à 11:16
Signaler
@Dossier 51👍De mon point de vue , vos qualificatifs de "gardienne du Temps" et "gardienne du Temple" sont les deux faces d'une même pièce. Merci pour votre subtilité! 👏

le 09/10/2023 à 11:30
Signaler
Même si ça fait un peu le nom d'une série sur netflix... ^^

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.