Le dogmatisme, ennemi des politiques publiques...

Les politiques publiques devraient reposer sur des analyses factuelles, rationnelles, qui prennent en compte la réalité dans toute sa complexité. Elles restent en réalité polluées par le dogmatisme. Par Bruno Alomar, économiste, enseignant à Sciences Po Paris.

Les démocraties sont heurtées de plein fouet par ce que l'on a qualifié de « fake news ». Ces fausses nouvelles, fausses analyses, travestissent les réalités, et altèrent le bon fonctionnement de la démocratie.

Disons-le tout net : rien de très nouveau en la matière ! La propagande, le bourrage de crâne, la rumeur sont vieux comme la démocratie, et le mensonge s'est d'autant plus aisément immiscé dans les processus démocratiques que le propre des politiques publiques, subjectives dans leurs objectifs comme dans leurs résultats, est de ne pas appartenir au champ rassurant des sciences exactes. En ce sens, les politiques publiques sont propices aux interprétations erronées, et in fine au mensonge...

Si le danger que charrie ces fausses nouvelles est bien identifié, en ce qu'il jette une lumière crue sur les effets potentiellement dévastateurs du net sur les processus démocratiques, il est une autre déviation vis-à-vis de la réalité, elle aussi ancienne, qui affecte les politiques publiques : le dogmatisme.

 Beaucoup d'analystes, assimilant dogmatisme et idéologies, ont cru que la chute du Mur en 1989 marquant la fin des idéologies, le dogmatisme serait remisé au profit d'un pragmatisme régnant en maître. André Malraux, fin connaisseur de la nature humaine, nous avait pourtant mis en garde, en annonçant que le le 21em siècle serait religieux. De fait, le dogmatisme ressurgit de loin en loin.

 La fin des idéologies n'a pas mis fin au dogmatisme

 Au niveau macroéconomique, la gestion de l'euro, ce qui n'ôte rien à certains grands mérites du processus d'union monétaire, ruisselle de dogmatisme. C'est, mue par une forme de dogmatisme qu'elle a elle-même reconnu, que la Troïka (Commission-FMI-BCE) a sincèrement cru, au mépris des traditions hellènes, qu'elle pourrait à grande vitesse faire converger les comportements des agents économiques grecs vers ceux de leurs homologues allemands. La même erreur a été faite avec des pays du cœur de la zone, dont la France : les concepteurs de la monnaie unique ont cru que mécaniquement les contraintes de la monnaie unique pousseraient la France à plus de rigueur en matière de finances publiques, ce qui s'est avéré largement faux. On pourrait aussi évoquer le dogmatisme, tournant au fétichisme, qui entoure le fameux critère de 3% de déficit.

 Au niveau sectoriel, le même dogmatisme produit des effets délétères. Ainsi les débats sur la transition énergétique, en France mais aussi ailleurs en Europe, se cristallisent trop souvent autour d'une opposition caricaturale entre les énergies renouvelables et les énergies fossiles. Il semble ainsi, de manière tout à fait dogmatique, qu'en fait de bouquet énergétique, le choix laissé aux citoyens se pose en ces termes : voulez-vous un modèle entièrement renouvelable bon pour l'environnement, ou souhaitez-vous continuer avec des énergies présentées comme obsolètes et dangereuses pour la planète ? Une tel dogmatisme ne résiste pas à une analyse sérieuse des faits. La réalité, économique (coût pour l'industrie, compétitivité extérieure), sociale (pouvoir d'achat des consommateurs finaux), environnementale (faibles émissions carbone du nucléaire), techniques (nécessite de lisser dans le temps les productions intermittentes), montre au contraire qu'il n'y a pas un type d'énergie à privilégier sans nuance sur tous les autres, mais qu'un mix énergétique est forcément un équilibre entre plusieurs types d'énergies.

Les comportements individuels échappent souvent aux buts des politiques publiques

 Au niveau individuel, le dogmatisme prétend trop souvent s'imposer à la réalité des comportements des agents économiques. Si les exemples pullulent, que l'on songe ici, dans l'actualité, à la question de la consommation de tabac. La mise en œuvre particulièrement sévère de la directive de 2014 sur le paquet neutre devait, à l'évidence, réduire sensiblement la consommation de tabac. Or, depuis son entrée en vigueur au 1er janvier 2017, la consommation ne s'est nullement réduite.

 De tout ceci une conclusion émerge, dérangeante pour les économistes et les concepteurs de politiques publiques, toujours à la recherche d'une martingale (homo sovieticus, homo economicus etc.) : la réalité, qu'elle soit économique, sociale, historique, ou qu'elle s'apprécie au niveau de l'individu, cadre mal avec les rigidités du dogme ou des modèles économiques. Le comprendre est à la fois le défi est l'intérêt des politiques publiques.

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Bruno Alomar, économiste, enseigne à Sciences Po Paris

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Commentaire 1
à écrit le 24/05/2017 à 11:05
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C'est une excellente analyse, merci de vous préoccuper de ce dysfonctionnement majeur. " La fin des idéologies n'a pas mis fin au dogmatisme" Oui ! Tandis que les français démontrent qu'ils se démarquent de plus en plus des idéologies, non se...

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