Le fantasme inavoué de Mohamed Ben Zayed, prince héritier des Emirats

OPINION. Le prince héritier des Émirats arabes unis veut faire de son pays le pendant arabe de ce qu’est devenu l’Etat hébreu en quelques décennies : une puissance économique, militaire et technologique inégalée au Moyen-Orient. * Par Sébastien Boussois, docteur en sciences politiques, collaborateur du Cecid, de l’Oman et de SAVE Belgium.
Mohamed Ben Zayed, prince héritier des EAU.
Mohamed Ben Zayed, prince héritier des EAU. (Crédits : AFP/Saudi Royal Palace)

Quitte à enterrer définitivement le fantasme arabe autour d'une défense encore unie de l'État palestinien, autant qu'un pays arabe aussi offensif que les Émirats arabes unis (EAU) en tire le meilleur parti. La normalisation des relations entre Abu Dhabi et Tel-Aviv n'est pas qu'un moyen de faire front commun contre l'Iran avec l'Arabie saoudite. Il y a résolument chez le prince héritier, Mohamed Ben Zayed (MBZ), un autre rêve à réaliser et il est « juif » celui-là dans la tête d'un Arabe : réussir à faire de son pays ce qu'Israël est devenu en quelques décennies, une puissance inégalée dans la région qui crée des alliances de circonstances pour affaiblir ses ennemis, qui se met dans la roue des vainqueurs du système international, c'est-à-dire ceux qui font fi du droit international, mais qui est aussi un pays roi de la résilience qui pousse MBZ en pionnier du monde arabe, contrairement à nombre de ses coreligionnaires, à s'extraire de sa condition éternelle de « victime » de l'histoire. L'alliance avec Israël, au détriment de tous ses voisins, c'est tout ce qu'il manquait à Abu Dhabi pour suivre le chemin d'une conquête régionale des territoires, terrestres, et maritimes. Comme l'État hébreu.

Le modèle de la « Start-up Nation »

En échange d'un partage de rêves communs, mais aussi, de façon plus prosaïque, de technologies de défense et de sécurité, un moratoire sur l'annexion des territoires palestiniens - qui était prévu en juillet dernier et qui permet aux Émirats de déculpabiliser un temps face à ce que la oumma percevra comme une nouvelle trahison d'un pays arabe face à l'ennemi sioniste - était le minimum. Si les Émirats arabes unis sont parvenus en quelques années à se hisser sur le podium du leadership régional, alors que peu d'experts les ont vus venir il y a vingt ans, c'est en partie dû à la capacité exceptionnelle d'Abu Dhabi de contracter des alliances qui peuvent paraître de prime abord contre-nature.

Désormais, Abu Dhabi, qui se rêve en nouvelle Venise plus qu'en nouvelle Sparte, peut profiter du génie israélien en matière de nouvelles technologies de l'information, d'armement et d'outils de sécurité, notamment cybernétiques, pour assurer sa survie et se hisser toujours plus haut. C'est là ce que l'on appelle l'« israélisation » à l'état pur des EAU qui s'opère depuis des années et dont le modèle de start-up nation » a largement inspiré MBZ pour le développement de son pays : industries de pointe, armement, sécurité, cyberprotection, diversification multiple et investissements tous azimuts dans le monde.

Lire aussi : Comment Israël tente de rendre la startup nation plus inclusive

Il y a aussi avant tout, face à la montée des critiques partout dans le monde arabe, l'existence d'une politique agressive et dangereuse pour la stabilité de la région, le fantasme de l'État-forteresse qui résiste contre tous. Comment, lorsque l'on est si petit, préserver son intégrité dans un contexte géopolitique agressif et défavorable et poursuivre un développement économique et social inégalé face à de puissants ennemis ? L'un et l'autre partagent en réalité la vision de l'Iran en ennemi ultime, ce que les Israéliens appellent « Amalek » (1). Micro-État dans la région, tourné vers la mer et la terre, l'État hébreu s'est hissé comme un modèle politique (critiquable) dans la région, une puissance économique, scientifique, mais également militaire. Le 28 mars 2019, devant le Comité juif américain, Anwar Gargash, ministre d'État des Affaires étrangères des EAU faisait amende honorable pour le passé, en regrettant au nom de tout le monde arabe, le boycott absurde d'Israël depuis des décennies. Pour lui, c'était une erreur gravissime et pour cause : il y a aujourd'hui bien plus à partager qu'à perdre (2).

L'« israélisation » des États

Pour Bassar Taham (3), islamologue et politologue franco-syrien, l'attrait d'un pays arabe pour Israël peut facilement s'expliquer : « Les Émirats ne sont qu'un exemple parmi tant d'autres dans le monde arabe de l'israélisation des États. Voilà de petits États, de tout petits États, qui ont des rêves de grandeur. Les Émirats ne sont pas énormes. C'est un pays minuscule. Ces personnes ont compris à la lumière de ce qui s'est passé au Moyen-Orient qu'il fallait employer l'argent pour devenir un État fort dans tous les sens du terme : scientifique, militaire (achat d'armes, fabrications, politique extérieure) et économique (investissements étrangers). Israël devient indirectement un idéal pour ces gens-là. Ce qui va faire évoluer certaines minorités du pays vers la notion d'un petit État puissant mais expansionniste. Et le modèle, ça a été Israël. Ça ne sera jamais le Qatar bien sûr, le vrai ennemi juré ! »

MBZ, sûr de son coup, a tout fait pour convaincre Mohammed ben Salmane (MBS) de se rapprocher aussi de Tel-Aviv. Des sources saoudiennes bien placées ont même confié à la revue Middle East Eye (4) sous couvert d'anonymat que : « Le prince héritier d'Abu Dhabi, Mohammed Ben Zayed al-Nahyane, aurait conseillé dès 2017 à Mohammed Ben Salmane une approche sur deux fronts pour devenir le favori des États-Unis en tant que prochain souverain de l'Arabie saoudite. MBZ aurait expliqué à MBS que, pour être accepté par les Américains comme l'homme de la situation en incarnant une politique de réformes structurelles économiques et sociales, sinon sociétales, il devait « mettre fin au règne du wahhabisme » - pilier religieux du royaume saoudien - susceptible de constituer une hypothèque pour le succès de ces réformes. MBZ lui aurait aussi enjoint d'ouvrir un « fort canal de communication » avec Israël s'il voulait être le favori de Washington dans la succession au trône ce qui expliquerait notamment la relation que MBS aurait ensuite nouée avec Jared Kushner, le gendre du président américain, un trentenaire comme lui. » CQFD.

Lire aussi : L'accord Emirats-Israël rebat-il les cartes dans la région ?

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1. Amalek désigne l'ennemi ultime chez les Israéliens, souvent assimilé à l'Iran actuel. Mais le mythe renvoie à la mythologie et aux Saintes Écritures, quand les 12 tribus d'Israël tentaient de fuir l'Égypte et furent attaquées par Amalek et son clan. Depuis, c'est devenu le symbole de la violence gratuite et de la volonté d'anéantissement du peuple hébreu.

2. https://www.timesofisrael.com/senior-uae-official-calls-for-strategic-shift-in-arab-israel-relations/

3. Interview réalisée en octobre 2019.

4. https://www.middleeasteye.net/fr/reportages/revelation-le-plan-soutenu-par-les-eau-pour-faire-couronner-un-jeune-prince-saoudien

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Commentaires 6
à écrit le 19/08/2020 à 9:36
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Je pense plutôt que ces vieilles oligarchies pétrolières cherchent à se sauver la peau.

à écrit le 19/08/2020 à 8:22
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Les émiratis ne sont que 1.2 millions. Ils ont certes une armée pléthorique en matériel dernier cri, mais n'ont que des mercenaires pour la servir. Autant dire que sur le plan stratégique ce sont des nains. Idem pour les systèmes de santé et éducatif...

à écrit le 19/08/2020 à 7:06
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Il coulera encore beaucoup d'eau, avant que les eau arrivent a la cheville du niveau d'Israel. Les competences, d'abord et la technologie souvent superieure aux USA.

à écrit le 18/08/2020 à 12:43
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Le choix de la richesse et du monde contre l’histoire du monde. Les Arabes dans l’histoire du monde n’étaient pas alliés des Perses (une puissante civilisation)?

le 18/08/2020 à 14:16
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Bah... Ils ont fait le choix de la richesse et, malgré le manque relatif d'or noir, ça leur réussit pas mal. Il y a d'autres pays, entre Lille et Marseille, qui ont plutôt fait le choix de la fainéantise, de la décadence, de l'incompétence et du je-m...

le 18/08/2020 à 17:13
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Bah... Ils ont fait le choix de la richesse et, malgré le manque relatif d'or noir, ça leur réussit pas mal. Réponse : ils ont très bien compris le système financier et sont inclus dans ce système mondiale. Il y a d'autres pays, entre Lille et...

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