Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'UE

OPINION. La lutte contre le changement climatique est la mission première de notre génération. Alors que plus 640.000 hectares sont partis en fumée cet été à travers l'Europe, personne ne peut remettre en question la menace désastreuse à laquelle nous faisons face. Ces incendies et les inondations qui ont dévasté des régions entières de l'Europe cet été sont des avertissements terrifiants de ce qui nous attend si nous n'agissons pas - et vite. Par Gerassimos Thomas, Directeur Général à la Fiscalité et à l’Union douanière (*)
Gerassimos Thomas, Directeur Général à la Fiscalité et à l’Union douanière
Gerassimos Thomas, Directeur Général à la Fiscalité et à l’Union douanière (Crédits : DR)

L'Europe assume déjà le rôle de fer de lance du combat climatique. Nous nous sommes fixé l'objectif juridiquement contraignant de devenir le premier continent à atteindre la neutralité climatique d'ici 2050 et de réduire les émissions de gaz à effet de serre de l'UE d'au moins 55% à l'horizon 2030. Les dirigeants des 27 États membres ont inscrit cet engagement dans la loi afin de rendre tout retour en arrière impossible. Il reste que la lutte contre le changement climatique planétaire exige une action à l'échelle mondiale. Si nos partenaires ne se joignent pas à nos efforts, le projet de l'UE est condamné à n'être qu'un travail de Sisyphe.

Des mesures et des réformes

Le 14 juillet dernier, la Commission européenne a présenté un ensemble de mesures visant à concrétiser le pacte vert pour l'Europe et à transformer l'économie de l'UE afin qu'elle puisse réaliser ses ambitions climatiques, une proposition audacieuse qui se caractérise par une approche globale du changement climatique. Ces mesures prévoient notamment des réformes en matière d'énergie, d'échange de quotas d'émission, d'utilisation des sols et de taxation, toutes cohérentes et complémentaires entre elles. La Présidence Française du Conseil de l'Union européenne qui débute cet hiver aura un rôle décisif pour faire avancer ces négociations et portera, j'en suis sûr, au plus haut ces initiatives européennes.

Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) fait partie de cet ensemble de mesures. Son objectif est double :

  • réduire le risque de fuite de carbone pour l'industrie européenne;
  • éviter une augmentation des émissions mondiales liée au remplacement des produits européens par des importations à plus forte intensité de carbone, ou à la délocalisation de production de l'UE vers l'étranger à mesure que nos exigences en matière d'émissions deviennent plus strictes.

Les producteurs des pays tiers devront payer le même prix que les entreprises de l'UE pour leurs émissions de carbone et seront traitées de la même manière que celles-ci.

Inciter les Etats tiers à mettre en place des taxes carbone

Mais surtout, ce mécanisme incitera les producteurs des pays tiers à adopter des processus de production économes en émission de carbone et leurs gouvernements à mettre en place des législations plus ambitieuses. Son fonctionnement prendra en effet en compte les émissions réelles de chaque producteur des pays tiers et le prix payé par chacun reflétera toute réduction des émissions associées à la production. Ce système récompensera les efforts déployés par les entreprises pour réduire leur empreinte carbone. Tout prix du carbone payé à l'étranger sera aussi entièrement déduit, ce qui incitera les Etats tiers à mettre en place des taxes carbone ou des mécanismes de marché de facturation du carbone utilisé.

Pour l'UE, la compatibilité du mécanisme avec les règles du commerce international revêt une importance capitale. Nous avons tout mis en œuvre pour concevoir un mécanisme qui respecte strictement les règles de l'OMC. Il sera donc appliqué de manière équitable, sans discrimination arbitraire envers les producteurs de pays tiers ni restriction injustifiée des échanges commerciaux.

Le mécanisme s'appliquera dans un premier temps à un nombre limité de produits - ciment, fer, acier, aluminium, engrais et électricité, c'est-à-dire les secteurs responsables de 45% des émissions de CO2 de l'ensemble des secteurs exposés au risque de fuite de carbone. Les importations concernées représentent 1,5% du total des importations françaises. Le champ sectoriel du mécanisme est amené à augmenter: l'instrument a été conçu de façon à pouvoir être facilement étendu à d'autres produits dès 2030.

Compte tenu de la difficulté à mesurer les émissions réelles pour chaque produit et chaque producteur, le mécanisme n'entrera pas en vigueur immédiatement. Une période transitoire de trois ans débutera en 2023, au cours de laquelle les importateurs devront seulement déclarer les émissions attribuables à leurs produits et n'auront pas encore à s'acquitter d'un ajustement financier. Nous réexaminerons le mécanisme en 2025 et le paiement des charges d'ajustement sera progressivement mis en place à partir de 2026 jusqu'en 2035. Cette phase de transition combinée à la mise en œuvre progressive sur une période de 10 ans garantit aux entreprises et aux autorités une visibilité de long terme, qui leur permettra de se préparer et de planifier les investissements nécessaires.

La hausse des prix du carbone est aujourd'hui une réalité qu'il nous faut accepter. Il est fondamental que l'industrie européenne adhère à l'objectif climatique de réduction des émissions de 55% et que les entreprises s'adaptent. Loin d'être une mission impossible, le pacte vert offre au contraire d'immenses possibilités économiques et commerciales.

Les émissions de gaz à effet de serre de l'UE ont diminué de 24% entre 1990 et 2019, alors que l'économie a connu une croissance d'environ 60% sur la même période. Les entreprises ont d'ailleurs réduit leurs émissions plus rapidement que prévu ces dernières années, ce qui montre qu'elles ont déjà entamé leur transition.

La réforme et l'extension du système d'échange de quotas d'émission (SEQE) associées au MACF sont les outils qui aideront l'industrie à atteindre ces nouveaux objectifs ambitieux. L'allocation de quotas à titre gratuit sera progressivement supprimée, afin de nous permettre de respecter notre engagement. Le Fonds pour l'innovation financera de nouveaux investissements de l'industrie dans des technologies à faibles émissions, soutenant ainsi la transition. En outre, la facilité européenne pour la reprise et la résilience garantit des investissements verts sans précédent dans les États membres, qui profiteront à toutes les entreprises de l'UE.

La tarification du carbone comme instrument

L'intérêt particulier du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières réside dans le fait qu'il s'agit d'un instrument basé sur le marché. Il permet au secteur privé d'organiser "l'écologisation" de ses processus de la manière la plus adaptée à ses modèles économiques et à son environnement d'investissement. Parallèlement, la politique de partenariat international de l'UE consacre des ressources considérables au changement climatique afin de garantir aux producteurs des pays moins avancés un financement adéquat et le temps nécessaire pour réaliser les investissements qui leur permettront de rattraper leur retard sur les producteurs des pays développés. Pour les cinq secteurs de la première vague, les flux commerciaux avec les producteurs des pays moins avancés sont minimes. Pour les rares d'entre eux qui jouent un rôle important dans l'économie de ces pays, un effort d'assistance coordonné est actuellement mis en place par l'UE afin que l'impact global soit positif.

Bien entendu, le risque de fuite de carbone n'est pas propre à l'UE. Lors du sommet des dirigeants du G7 qui s'est tenu en juin, ce risque a été explicitement reconnu et toutes les parties se sont engagées à travailler ensemble pour y faire face. Quelques semaines plus tard, les dirigeants du G20 ont souligné l'utilité de la tarification du carbone comme instrument de lutte contre le changement climatique.

L'UE coopérera pleinement avec les partenaires internationaux du G20 ainsi que dans le cadre de la conférence des parties sur le changement climatique des Nations unies (COP 26) qui se tiendra en novembre, afin de trouver des solutions qui se complètent efficacement pour soutenir des ambitions climatiques mondiales aussi ambitieuses que possible. Notre volonté de stimuler et de promouvoir une industrie plus verte au-delà de nos frontières peut jouer un rôle moteur dans l'effort collectif et l'influencer positivement.

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