Le succès australien de DCNS et les trois défis maritimes de la France

Succès majeur de l’industrie de défense, la fourniture par DCNS de sous-marins à l’Australie met aussi en valeur le potentiel maritime de la France. Par Cyrille Bret et Florent Parmentier, Sciences Po – USPC, fondateurs et directeurs du site de géopolitique EurAsia Prospective*.
(Crédits : DCNS)

À l'heure où l'horizon européen est obscurci par plusieurs tempêtes (réfugiés, Brexit, euro...), le vent du grand large vient enfin gonfler les voiles françaises. L'encre aura coulé pour célébrer les 34 milliards d'euros de contrat, dont une partie seulement reviendra en définitive directement au sein de l'économie française.

Si les sous-marins de classe Barracudas (version Shortfin) de DCNS ont bien remporté, au détriment de TKMS et Mitsubishi-Kawasaki, l'appel d'offres australien concernant les 12 bâtiments, il reste à présent à conclure une série de contrats avec les sous-traitants de la Base industrielle et technologique de défense (BITD) en France, aux États-Unis et en Australie. C'est à l'issue de ces négociations complexes que l'on pourra vraiment évaluer les retombées exactes du contrat pour les différents partenaires : à savoir le gouvernement australien, DCNS pour le sous-marin, Raytheon ou Lockheed Martin pour les systèmes de combat, ainsi que le chantier naval d'Adélaïde.

D'un point de vue géopolitique, ce contrat conduit à identifier les trois défis maritimes qui se présentent devant la France pour les prochaines décennies.

Du grand contrat à l'implication des PME

Au savoir-faire technologique français s'est ajouté le volontarisme politique et l'implication personnelle du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, pour conduire au succès - sans doute aussi pour compenser le manque-à-gagner dû à l'annulation de la vente des BPC Mistral à la marine de Russie.

Une fois de plus, la bonne nouvelle pour le commerce extérieur est venue d'un grand groupe, DCNS, dont les origines remontent au cardinal de Richelieu, qui avait décidé de créer en 1631 plusieurs arsenaux permettant à la France de devenir une puissance maritime capable de rivaliser avec les meilleures.

L'un des deux bâtiments de type BPC vendus initialement à la Russie et récupérés par l'Égypte. Bernard G/FlickrCC BY-NC-SA

Si ce champion national trop longtemps méconnu a (re)conquis ses galons à l'occasion de ce contrat, le vrai défi consiste à présent à amener les quelque 500 fournisseurs du groupe en France à nouer des alliances avec des entreprises australiennes similaires. À l'heure où les budgets de défense européens sont réduits, à la différence de ceux des pays émergents, le potentiel de développement et la création d'emplois reposent en effet, et plus qu'on ne le pense, sur ces fournisseurs.

Cet événement rappelle l'immense potentiel que représente la mer, bien au-delà des équipements eux-mêmes, des services associés ou des applications en matière de cyber-sécurité. Les ressources biologiques, minérales ou énergétiques qui y sont présentes offrent de nombreuses perspectives de développement dans des domaines aussi divers que la santé, l'environnement, l'agroalimentaire ou les énergies...

La capacité d'entraînement de ce contrat pour le développement de nombreuses PME françaises constitue bien un premier défi tangible. Toute la difficulté sera de co-développer harmonieusement la BITD australienne et les intérêts de la BITD hexagonale.

La maritimisation du monde offre à la France, à sa BITD et à son réseau de PME, un relais de croissance durable et prometteur.

Du succès techno-économique à l'ambition maritime

L'aventure de DCNS et du complexe maritime montre incontestablement le savoir-faire technologique des industriels français. Toutefois, un seul contrat - si important soit-il, et peut-être suivi d'autres en Norvège, en Égypte ou ailleurs - ne suffira sans doute pas à relever le deuxième défi : relancer l'ambition maritime à la France.

Qu'on y songe : l'écrivain et haut fonctionnaire Bruno Fuligni a fait remarquer dans un article récent (« Thalassocratie française », Géoeconomie) que le territoire français ne se trouve au final qu'à 5 % en Europe. Ce résultat paradoxal s'obtient en prenant en compte la France métropolitaine, les outre-mer, les terres françaises inhabitées (Terre Adélie, atoll de Clipperton), les eaux territoriales, les zones économiques exclusives ainsi que les extensions sous-marines de l'automne 2015 (579 000 km²). La France métropolitaine ne représente alors que 551 695 km² des 12,7 millions de km² de ce total. Cela revient à dire que c'est près de 95 % du territoire national qui reste à découvrir et à exploiter, constituant autant d'opportunités...

Passer du statut de puissance techno-économique à celui d'État thalassocratique nourrissant de fortes ambitions maritimes oblige l'opinion publique et les élus à accomplir unaggiornamento, et à prendre conscience des enjeux qui sont devant nous.

L'ambition maritime aurait tous les titres requis pour constituer un thème important dans les campagnes électorales nationales à venir. La maritimisation de la France pourrait bien constituer son point d'insertion tant recherché dans une « mondialisation enfin heureuse ».

De l'ambition mondiale aux réalisations concrètes

La sagesse du cardinal Richelieu l'avait conduit à placer un niveau d'ambition élevé face à un volontarisme politique et des actions concrètes. À sa volonté d'égaler la puissance anglaise en mer, il a répondu par la création des arsenaux qui ont donné naissance à DCNS.

Au-delà du contrat actuel se pose donc la question du chemin à suivre dans la lignée des Richelieu, Colbert ou de Sartine, qui partageaient un même regard prospectif sur les actions à mener doublé d'une attention spécifique portée à la mer. Ce regard ne saurait se limiter aux régions littorales : les forêts de Tronçais, probablement aujourd'hui la plus vaste futaie de chênes d'Europe, et de Bercé sont le fruit de la volonté de Colbert de construire des bâtiments pour la navigation en haute mer. De fait, la mer est une chose trop sérieuse pour être laissée au littoral, pour paraphraser une phrase bien connue de Clemenceau.

L'ambition maritime doit s'armer d'objectifs clairs et de moyens conséquents. La Chine l'a bien compris en se lançant dans une politique agressive en mer de Chine méridionale, ayant pour enjeu différentes îles et archipels impliquant des pays comme la Chine, le Vietnam, les Philippines, la Malaisie et Brunei.

Cette politique du coup de menton n'est pas due au hasard, mais bien à une vision déterminée de l'avenir. Entre 2011 et 2016, la hausse des investissements dans le budget naval atteint 57 % pour Pékin, et le Brésil (+65 %) et l'Inde (+69 %) ne sont pas en reste. C'est dans ce contexte que les alliances européennes de la France peuvent être utiles et même constituer un levier important pour peu que Paris sache convaincre ses partenaires de l'intérêt de son projet, particulièrement à une heure où les liens entre le continent et la Grande-Bretagne sont amenés à se distendre. L'Europe ne pourra renouer avec la Grande-Bretagne que par la mer.

L'arsenal de Brest créé suite à une décision de Richelieu. ADEUPa Brest/FlickrCC BY-NC-SA

En fin de compte, le contrat DCNS permet à la France une réappropriation de son propre territoire et de ses potentialités tout en poursuivant une stratégie d'internationalisation, en attendant que d'autres pays suivent l'exemple de l'Australie. Privilégiant l'esprit de conquête et la modernité face à la rente et à l'aversion au risque, ce mouvement nécessite une vision de l'avenir soutenue par un volontarisme politique.

Si Richelieu nous a laissé de précieux arsenaux, il serait à l'avenir plus important encore que nous gardions de lui sa féconde pensée combinée à un volontarisme guidé par une connaissance éclairée de nos perspectives d'avenir.

The Conversation_______

Par Cyrille Bret, Maître de conférences, Sciences Po - USPC et Florent Parmentier, Enseignant à l'Ecole d'Affaires publiques de Sciences Po. Chercheur-associé au Centre HEC Paris de Géopolitique, Sciences Po - USPC

Le site EurAsia Prospective

twitter @cy_bret

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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Commentaires 11
à écrit le 20/05/2016 à 8:44
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Le sous marin est l'arme navale absolue. Tout cela tourne autour des ambitions navales de la Chine. La géographie donne à la Chine un énorme handicap le détroit de Miller au large de Singapour . Bloquer ce détroit ou le contrôler c'est contrôler 90 ...

à écrit le 19/05/2016 à 20:30
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Intervention sans interet, je donne des elements concrets verifiables, vous rien, un supporter de foot, allez les bleus ! Ce contrat a été attribué à l'australie principalement pour l'integration des systemes americains. Ce qui ne veut pas dire q...

à écrit le 19/05/2016 à 17:28
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Vous confondez tout et compilez des infos inexactes. Bravo à DCNS et aux pme qui l'accompagne.

à écrit le 19/05/2016 à 16:59
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Je disais, c'est plutot encore les fruits de la victoire des concepteurs du logiciel Catia qui ayant largement contribué à l'execution de projets de sous marins et autres navires americains en 3D sans maquettes à permis des fuites technologiques diso...

le 19/05/2016 à 20:41
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votre expertise des hélices et carenage d'hélice me laisse pantois , allez encore un couplet french bashing ( mot à la mode ) si ca vous soulage.

à écrit le 19/05/2016 à 13:38
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d'ailleurs, si vous regardez bien, un sous marin ca ressemble terriblement à une pilule. Pilule qui contient les systemes actifs de l'empire americain, ses systemes d'armes, d'ecoute etc.... completement en ligne avec leur concept de air/sea battle ...

le 19/05/2016 à 17:37
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Oui, sauf que dans ce cas le fabriquant de l'"enveloppe" a le rôle primordial d'architecte-assemblier. Ce contrat, s'il est mené jusqu'à la signature, est bien une énorme victoire que nous envient japonais et allemands.

à écrit le 19/05/2016 à 10:42
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@ BONJOUR A TOUS ET A TOUTES : Succès, ... succès en demi teinte ce ne sont que des carcasses vides (cela vaut mieux que rien !!! ) car l'armement de ces bateaux sera américain ! combien d'emplois créés en FRANCE ??? : 4 000 ET EN AUSTRALIE 7 000...

le 19/05/2016 à 19:55
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une aspirine et au dodo

à écrit le 19/05/2016 à 10:11
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Succés commercial alors que la presque totalité du contrat se ferra en Australie !Au fait les deux portes helicopteres Mistral sont ils operationnel en Egypte !Ce pays n'avait nul besoin de ce genre de bateau (des bateaux de projection pour se projet...

le 21/05/2016 à 16:15
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C'était une des conditions. Si les Japonais ou les Allemands l'avaient emporté, les sous-marins auraient aussi été construits en Australie. Donc selon vous, ce n'est pas un succès. Il fallait juste se retirer et laisser la place aux autres c'est ça ?...

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