Les causes économiques et sociales profondes de la déroute de Merkel

La Tribune publie chaque jour des extraits issus des analyses diffusées sur Xerfi Canal. Aujourd'hui, les causes économiques et sociales profondes de la déroute de Merkel

En Allemagne, la désaffection des électeurs à l'égard des partis de la grande coalition au pouvoir, la CDU-CSU et le SPD, a des causes économiques et sociales que l'on décrypte mal de ce côté-ci du Rhin. Elle reflète en effet, comme dans un jeu de miroir, l'attrition continue des classes moyennes qui constituent la base électorale traditionnelle de ces partis qui ont gouverné tour à tour ou ensemble le pays pendant des décennies.

La réussite économique allemande est en apparence éclatante quand on la mesure à l'aune des chiffres de l'emploi ou des excédents commerciaux ou budgétaires. On sait, en même temps, qu'elle est loin de bénéficier à tout le monde : la montée des inégalités, la pauvreté et de la précarité doit être pointée du doigt. On sait aussi que les réformes du système social et du marché du travail du gouvernement SPD de Gerhard Schröder ont en réalité transformé beaucoup de chômeurs d'hier en travailleurs précaires d'aujourd'hui.

Des tendances lourdes en défaveur des salariés

Mais le changement de logiciel du modèle allemand n'est pas toujours perçu. En vérité, le modèle de « l'économie sociale de marché » a été profondément remis en question depuis 20 ans.

Il y a d'abord le statut des salariés. Outre-Rhin, les conventions collectives négociées dans les branches ne s'appliquent qu'aux entreprises ayant adhéré à ce système paritaire. Or la part des salariés bénéficiant d'une convention collective de branche ou d'un accord spécifique à l'entreprise a fondu de 19 points au cours des 19 dernières années, pour ne plus toucher, grosso modo, qu'un salarié sur deux. Selon Destatis, l'office fédéral des statistiques, 43,3% des salariés des Länder de l'Ouest n'avaient, en 2017, aucune garantie de conditions de travail au-delà du minimum légal, et cette proportion atteignait même 55,7% dans l'ex-RDA.

En effet, de nombreuses entreprises ont créé des filiales n'adhérant pas aux accords de branche, et n'étant pas liées par leurs hausses de salaires négociées, leurs primes et leurs conditions d'emploi favorables. Elles ont aussi externalisé, sous-traité, et conditionné leurs nouveaux investissements à l'acceptation de conditions de travail moins favorables, tout en usant et en abusant des services des travailleurs détachés ou frontaliers d'Europe de l'Est. C'est aussi dans ce monde du travail inégal que doivent s'intégrer désormais les réfugiés et les migrants que l'Allemagne a accueilli.

Un tel recul des conditions de travail a été permis par l'affaiblissement du mouvement syndical. Si les chiffres restent impressionnants dans quelques grandes entreprises industrielles, le taux de syndicalisation, passé sous la barre des 20%, est désormais inférieur à celui du Royaume-Uni.

La bulle immobilière

Après les réformes Schröder, Angela Merkel, tout en gouvernant au centre, n'a apporté que des corrections marginales aux tendances lourdes en défaveur des salariés, se contentant d'édicter d'un salaire minimum peu ambitieux sous la pression de ses partenaires européens.
Or l'effet structurel de ces changements sociaux menace à son tour sa base sociale et électorale de classes moyennes. Il est aussi aggravé par deux facteurs.

D'abord, dans une Allemagne âgée, les réformes passées des retraites se conjuguent avec un effet-retard du développement des formes atypiques d'emploi, comme les minijobs, dont les droits à la retraite sont, comme les cotisations, symboliques.

Ensuite, la bulle immobilière qui a prospéré ces dernières années touche de plein fouet les classes moyennes. L'Allemagne, qui se méfie des bulles financières, avait été longtemps épargnée mais la période prolongée de bas taux d'intérêt a fini par importer le problème, renchérissant le prix des logements et créant des fractures spatiales et sociales dans les métropoles. Si les Allemands sont moins souvent propriétaires de leur logement que les Français, ils n'en sont pas pour autant épargnés : lors des relocations, les loyers ont progressé l'an dernier de 9,25% dans les grandes métropoles, souligne la Bundesbank, une tendance qui ne s'est pas calmée depuis.

On perçoit bien, finalement, la conjugaison de facteurs économiques et sociaux qui remettent en cause la direction de l'Allemagne par les partis traditionnels de gouvernement. La situation politique apparait aujourd'hui inextricable, et l'avenir d'Angela Merkel comme chancelière est derrière elle. Mais l'on perçoit encore mal sur quel nouveau compromis politique économique et social une nouvelle équipe pourrait prendre la tête la première puissance économique européenne.

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Commentaires 8
à écrit le 04/11/2018 à 22:59
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Aux causes économiques et sociales citées qui déstabilisent Merkel, s'ajoute aussi celle de la crise politique liée à l'immigration. Le modèle économique qui a été imposé aux autres pays européens, notamment avec sa dévaluation interne, pourrait être...

à écrit le 04/11/2018 à 14:52
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les causes de la deroute de merkel, c'est son ' Herzlich Willkommen' les allemands n'en peuvent plus; le reste c'est du blabla

à écrit le 04/11/2018 à 10:21
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... "ont en réalité transformé beaucoup de chômeurs d'hier en travailleurs précaires d'aujourd'hui " ??!!! Heu donc c'est un échec, il vaut mieux rester chômeur ?! Que l'on préfère obtenir un CDI je peux comprendre mais quand même, par exemple, nos ...

à écrit le 03/11/2018 à 18:29
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Déstabiliser l’Allemagne revient à déstabiliser l’Europe. A qui ça va profiter de causer des fractures sociales profondes à l’Europe ?

à écrit le 03/11/2018 à 12:18
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Les réformes Schroeder ont sauvé l'économie mais ruiné la nation. Les allemand(e)s ne reconnaissent plus l' Heimat qui leur offrait prospérité, sécurité et un bon salaire qui permettait aux couples de vivre correctement avec un seul revenu salarié. ...

le 03/11/2018 à 21:08
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faut quand meme pas exagerer en disant que les reformes de schroeder ont ruines les allemands. l allemagne et ses habitants sont quand meme globalement encore plus prospere que les francais. Meme si les problemes evoques dans l article sont exact, c...

le 04/11/2018 à 11:18
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En parlant de nation, j'entendais l'idée de nation en tant que valeur symbolique dans laquelle chaque allemand pouvait se retrouver. Je ne partage pas votre optimisme immobilier. L'article date un peu mais reste pertinent, l'immobilier a pris 9% ...

à écrit le 03/11/2018 à 9:06
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"Compromis politique économique et social". Il faut tenir compte de l'effet démographique qui joue en notre défaveur. A comparer avec la Suède.

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