Les femmes victimes de violences conjugales : vers une reconstruction par l'entrepreneuriat

OPINION. Les femmes victimes de violences conjugales cherchent à vivre avec voire, quand c'est possible, à évacuer les séquelles traumatisantes de leur expérience personnelle. L'action entrepreneuriale, via l'indépendance matérielle, l'engagement temporel et psychologique qu'elle génère, semble être un moyen utile et efficace de reconstruction individuelle tant sur les plans personnel que professionnel. Par Adnane Maalaoui, Professeur et Co-directeur IPAG Entrepreneurship & Family Business Center, IPAG Business School, Paris, France.
DIE-IN en mémoire aux 90 femmes victimes de féminicides, organisé par le collectif Nous Toutes le 16 novembre 2021, dans toutes les grandes villes de France simultanément, ici a Montauban avec le comité du Tarn-et-Garonne.
DIE-IN en mémoire aux 90 femmes victimes de féminicides, organisé par le collectif Nous Toutes le 16 novembre 2021, dans toutes les grandes villes de France simultanément, ici a Montauban avec le comité du Tarn-et-Garonne. (Crédits : Reuters)

Les violences conjugales peuvent être définies en première intention comme étant une atteinte volontaire à l'intégrité de l'autre, une emprise, un conditionnement dont il est difficile de se dégager lorsqu'on en est la victime (Centre Hubertine Auclert, Observatoires des violences faites aux femmes).

Etat des lieux

Les femmes victimes de violences conjugales (FVVC) représentent un problème sociétal d'envergure. Plus d'une femme sur trois aurait été victime de violences conjugales durant sa vie, selon le dernier rapport de l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) datant de mars 2021 et portant sur plus de 161 pays entre 2000-2018. Ce même rapport avance que 27% des femmes âgées entre 15 et 49 ans ayant engagé une relation avec un partenaire ont subi des maltraitances d'ordre physique, psychologique ou sexuel. Ces FVVC sont généralement très atteintes et développent des séquelles physiques/psychologiques, un stress et anxiété post traumatique (Lamy et Al, 2009), avec des degrés de gravité variables mais le plus souvent irréversibles, pouvant amener, dans les cas les plus graves, au suicide ou à des homicides (102 homicides en 2020 et 146 en 2019, selon étude de la Délégation aux victimes sur les morts violentes au sein du couple datant de Novembre 2021), à la dépression, à l'alcoolisme, à la consommation de produits illicites, etc.

213.000 cas en France

De nombreuses études pointent du doigt les facteurs à l'œuvre dans les violences conjugales : le niveau d'éducation, le contexte familial, les expériences passées, l'instabilité psychologique, les problèmes financiers, la culture et les normes sociales (Lavergne et al.,  2018), sont les plus récurrents.  En France, selon l'enquête de victimation annuelle (2019) « Cadre de vie et sécurité » (INSEE-ONDRP-SSMSI), on estime à 213.000 le nombre de cas de femmes victimes de violences physiques et/ou sexuelles commises par leur conjoint ou ex-conjoint. Parmi elles, seules 18% portent plainte, même si selon Elisabeth Moreno, ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, les plaintes pour violences conjugales ont augmenté de 10 % en 2020, pour atteindre le nombre de 159.400 (service statistiques du ministère de l'Intérieur). Il est important de souligner que le 25 novembre 2021, le président de la république l'a déclaré grande cause nationale et énoncé les mesures de lutte contre ce phénomène, d'autant plus que les violences ont nettement augmenté durant la crise de la Covid-19 (40% lors du premier confinement et 60% lors du second, selon la ministre Marlène Schiappa).

Le problème est donc majeur, et il apparait d'autant plus criant dans un contexte de crise sanitaire particulièrement sensible voire défavorable aux couples en situation déjà instable - vase-clos, isolement social, pression professionnelle à domicile via le télétravail mis en place dans des circonstances souvent improvisées, stress, et bien souvent anxiété liée à l'incertitude de la situation. Ainsi, et en parallèle d'une réflexion et d'actions visant à contrer ce phénomène, il est urgent de réfléchir à des solutions concrètes pour aider les femmes à se reconstruire - une reconstruction qui passe aussi par le fait, pour ces femmes, de retrouver, si tel n'était pas le cas, une autonomie financière.

L'autonomie économique et l'entrepreneuriat : la clé de voute

A la sortie de la relation qui les a malmenées, les FVVC s'efforcent comme elles le peuvent de s'extirper progressivement et si possible définitivement de l'emprise psychologique du conjoint maltraitant. Cet effort représente un cheminement souvent long et pénible, au cours duquel les femmes passent souvent par des phases - notamment dans les temps initiaux - de perte de confiance en elles, de confiance dans les autres, d'états de confusion, d'ambivalence, tout cela nourri et renforcé par le manque, dans de nombreux cas, d'autonomie économique et sociale, de routines individuelles, et souvent de projets personnel et professionnel suffisamment mobilisateurs pour les aider à avancer au mieux. Ces caractéristiques sont le fruit des dommages causés par une situation antérieure fondée sur l'emprise du partenaire, une emprise dont il a été montrée qu'elle est souvent associée à une perte progressive du libre arbitre (Hirigoyen, 2005).

On comprend bien en quoi  (re)trouver une stabilité financière et donc (re)trouver un emploi, est salvateur, voire vital pour ces femmes. Mais comment (ré)intégrer rapidement un environnement professionnel tout en cheminant lentement pour se libérer psychologiquement voire physiquement des préjudices subis ? Comment (ré)apprendre à se faire confiance ainsi qu'aux autres? Les FVVVC ont besoin de temps long pour se reconstruire, une temporalité qui n'est généralement pas en ligne avec celle du monde de l'entreprise et du marché de l'emploi.

C'est ici que l'entrepreneuriat apparaît comme une solution, car il peut donner à ces victimes la possibilité de moduler la temporalité de leur reconstruction. Prendre le temps de construire son entreprise et mettre en place son prototype ainsi que son modèle d'entreprise, semble une voie pour permettre aux FVVC de réapprendre à se connaître et à créer leur propre emploi.

L'entrepreneuriat permettrait au FVVC de sortir de l'enfermement dans lequel leur ex-partenaires les ont enfermées et de se libérer en exprimant librement leur talents, leur créativité et leur capacité à innover, tout en reconquérant leur autonomie.

Le CEFAIRE : un centre destiné à former à l'entrepreneuriat

Un programme de formation et d'accompagnement à la création d'entreprise sur mesure est mise en place pour les  femmes victimes de violences conjugales. Ce programme est dispensé par une école de commerce IPAG Business School, son centre pour l'entrepreneuriat et une association Led by her.

La mise en place de ce programme de formation, d'accompagnement et de recherche, encadre déjà 16 femmes sur une première cohorte de 6 mois depuis septembre 2021 et lancera la seconde en mars 2022, la campagne de recrutement ayant déjà débuté.

Aussi, un accompagnement sur mesure et individualisé est offert aux apprenantes entrepreneures avec l'appui de psychologues chargées d'encadrer les différents protocoles mis en place. Un programme reconnu à l'international puisqu'il vient de bénéficier du soutien de l'EU via ses programmes de formation avec des partenaires d'Allemagne et  d'Italie. Cette formation a pour mission de :

  • Stimuler l'entrepreneuriat auprès du public cible
  • Former et outiller à devenir une entrepreneure grâce à un parcours de formation adapté aux besoins et sur mesure
  • Développer le sentiment d'appartenance et création d'un écosystème inclusif
  • Émanciper par l'entrepreneuriat et augmenter l'estime de soi
  • Encadrer en matière de formation, de coaching psychologique, de réseaux national et
  • Entreprendre des recherches sur les processus d'insertion et émancipation professionnelle
  • Analyser l'expansion et l'adaptation de projets à fort impact

La formation en  entrepreneuriat permettrait aux femmes victimes de violences conjugales de e reconstruire à leur rythme par le billet d'un accompagnement sur mesure à la création de leur propres emplois.

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Commentaire 1
à écrit le 16/12/2021 à 9:14
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Tous les nombreux maux de l'humanité auraient comme remède miracle l'économie sans rire ? Cette même économique qui a mit cette humanité et son environnement à genoux ? Que déjà elle fasse ses preuves et tant que la finance aura la main dessus elle n...

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