Les marchés financiers sont de nouveau prévisibles

CHRONIQUE. La fin des politiques monétaires ultra-accommodantes annonce le retour d'une certaine prévisibilité des marchés. Des indicateurs considérés comme prédictifs mais rendus obsolètes par l'ère de l'argent gratuit redeviennent pertinents... et peu encourageants. Par Karl Eychenne, stratégiste et économiste.
(Crédits : KAI PFAFFENBACH)

La prévisibilité des marchés financiers peut faire sourire, pourtant il s'agit d'un sujet pris très au sérieux par la recherche académique. Pour certains, les marchés peuvent être partiellement prévisibles, car l'investisseur est stupide (investisseur irrationnel). Pour d'autres les marchés peuvent être partiellement prévisibles, mais cela est parfaitement compatible avec l'efficience des marchés (investisseur rationnel). Et pour d'autres, les marchés ne sont tout simplement pas prévisibles, mais nous y croyons, car nous sommes floués par de nombreux biais statistiques.

Or, ces 15 dernières années ont largement rebattu les cartes. En effet, les politiques monétaires ultra-accommodantes pratiquées par les Banques Centrales ont bouleversé les résultats préalablement établis. Certains indicateurs qui devaient leur popularité à un certain pouvoir prédictif des marchés sont devenus complètement inopérants dans un monde où l'argent gratuit polluait la juste rémunération du risque pris par l'investisseur. Concrètement, le pouvoir prédictif de ces indicateurs a fondu.

Parmi ces indicateurs autrefois prédictifs et mis à disposition par la recherche académique (Goyal, Harvey, ou Shiller), le pratiquant reconnaitra le PER, la courbe de taux, le spread de crédit... L'économiste retiendra aussi l'Output Gap, l'emploi, le PMI, le taux directeurs... Quant au professeur il évoquera le CAY (consommation - revenus) ou IK (investissement sur capital). Tous ces indicateurs auraient donc perdu leur capacité à raconter le contemporain et anticiper le lendemain. Une aubaine pour le couple Machine Learning - Big Data qui saisit alors la perche pour proposer ses services à la finance prévisible. Pour le meilleur, mais aussi pour le pire. En effet, il semblerait qu'un certain pan de la recherche académique se soit laissé quelque peu emporter par son élan, comme le démontre un autre pan de la recherche (Goyal, Harvey), très critique et relevant de nombreux biais, voire d'aveuglements.

Le retour des indicateurs vintage

Aujourd'hui, le retour fracassant de l'inflation et la normalisation en cours des politiques monétaires ouvrent de nouvelles perspectives. Plus précisément, ils redonnent de l'intérêt pour les indicateurs réputés prédictifs, mais qui avaient été alors débranchés. Le retour d'un cycle économique à l'ancienne ramène de la lisibilité aux investisseurs, et donc potentiellement de la prévisibilité. Les phases d'expansion économique ne sont plus entretenues exagérément par des politiques monétaires ultra-accommodantes, les cycles économiques redeviennent cycliques, et cela change tout en termes de prévisibilité des marchés.

En effet, car si les cycles économiques redeviennent partiellement prévisibles, alors les primes de risque doivent suivre, car les primes covariantes avec les cycles : une crise économique incite l'investisseur à réclamer une prime de risque plus élevée, afin de compenser son aversion plus grande à détenir un actif risqué relativement à un actif sans risque. En clair, quand c'est la crise, le marché d'actions baisse, et puisque la crise ne dure pas (cycle), alors le marché d'action devra remonter. Pourtant l'investisseur sait bien tout cela, mais au moment même où la crise sévit, son aversion pour le risque est telle qu'elle inhibe son incitation à saisir l'opportunité d'un rebond futur du marché. C'est plus fort que lui en quelque sorte, il vend même s'il sait que ça va rebondir.

Un message peu encourageant

Que nous disent alors tous ces indicateurs prédictifs revenus à la mode ? Une première intuition serait que la forte baisse des marchés obligataires et d'actions survenue depuis le début de l'année serait excessive, et anticiperait une forme de normalisation. Mais cette intuition n'est pas confirmée par les indicateurs prédictifs. Parmi les indicateurs certains sont plus doués pour prévoir sur des horizons très longs (5 à 10 ans pour le PER), et d'autres sur des horizons plus courts (6 mois à 1 an pour la courbe de taux). Mais quel que soit l'horizon, le message n'est pas emballant.

Si l'on considère les indicateurs de valorisation des marchés d'actions traditionnellement retenus par la recherche académique (PER shiller, dividend yield, prime de risque...), aucun n'a atteint de niveaux critiques anticipant un rebond significatif des marchés. De même pour les indicateurs de conditions financières tels que les spreads de crédit ou les taux d'intérêt réels, les niveaux atteints ne sont pas critiques. Les indicateurs de type macro-économique ne sont pas non plus à des niveaux anticipant un rebond : aucune exubérance du PIB, pas mieux du côté de l'emploi, même les indicateurs de confiance des industriels sont à des niveaux neutres ! Quant aux indicateurs mesurant les excès de consommation (CAY) ou d'investissement (IK), ils ont été bien trop chahutés par la Covid pour raconter quelque chose de pertinent.

Enfin, il y a même des indicateurs qui sont pessimistes pour les marchés d'actions. Par exemple, les indicateurs de type micro-économique tels que les taux de marge des entreprises, aujourd'hui historiquement élevés, trop élevés pour durer ? Les croissances de bénéfices également, qui semblent un peu hors-sol au vu du choc macro-économique qui nous pend au nez. Et puis, il y a l'indicateur dont tout le monde parle en ce moment et qui n'anticipe rien de bon non plus : l'inversion de la courbe de taux américaine qui jadis anticipait une récession économique.

En conclusion, les indicateurs prédictifs vintage livrent un message peu encourageant pour les mois et années à venir en termes de performances à attendre sur les marchés d'actions : entre 0 % et 5 % par an pour les 10 prochaines années. Pas mal, mais avec des taux d'intérêt entre 2 et 4 % sans risque pour les 10 prochaines années, le jeu en vaut-il vraiment la chandelle sur les actions ? Évidemment, toutes ces prévisions poussives doivent être nuancées par un contexte tout à fait particulier. Un contexte qui conditionne plus que jamais le pouvoir prédictif des indicateurs à la contingence des évènements. Pas sûr que cela soit plus rassurant.

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