Banquier central  : « C'est ma faute, c'est ma très grande faute »

CHRONIQUE. Plaider coupable serait devenue la meilleure stratégie pour la défense des Banques Centrales. Accusées d'hérésie face à l'évidence inflationniste, le bûcher ne serait pas loin. Par Karl Eychenne, stratégiste et économiste.
La lutte contre l'inflation aux Etats-Unis va faire souffrir les ménages et entreprises américains mais y renoncer serait encore plus dommageable pour l'économie, a prévenu vendredi le patron de la banque centrale américaine (Fed), Jerome Powell.
La lutte contre l'inflation aux Etats-Unis "va faire souffrir les ménages et entreprises" américains mais y renoncer serait encore plus dommageable pour l'économie, a prévenu vendredi le patron de la banque centrale américaine (Fed), Jerome Powell. (Crédits : ELIZABETH FRANTZ)

L'évidence paralyse la démonstration. L'inflation devait être transitoire, elle ne l'est pas. L'inflation devait rester sous contrôle, elle ne l'est plus. L'inflation devait évoluer autour de 2%, elle est à près de 8%. La Banque Centrale devait éviter que tout cela n'arrive. Mais tout cela est arrivé. La Banque Centrale est donc mise en demeure de se défendre, sachant qu'elle est déjà déclarée coupable.

Dur dur, donc pour le Banquier Central. Et pourtant et pourtant, il existerait bien quelques arguments sympathiques qui pourraient l'aider à plaider sa cause. Trop originaux peut être face à l'hystérie collective, le risque étant alors que ces arguments n'aggravent sa cause. « ... Et cela paraîtra bien beau à l'homme instruit, mais déplaira beaucoup aux ignorants », Maïmonide, Le guide des égarés. Mais pour le fun, dressons quand même la liste de ces arguments.

Le déni de responsabilité

 « Si vous avez un problème avec les prix qui montent, adressez - vous à ceux qui les font monter ».

Ce n'est quand même pas la Banque Centrale qui a changé les prix sur les étiquettes. La Banque Centrale a bien des pouvoirs, elle n'a pas tous les pouvoirs. Elle ne peut pas appuyer sur les prix pour les empêcher de monter. Par contre, elle peut les retenir en tirant la bride en quelque sorte, ce qui signifie durcir plus fort et plus vite sa politique monétaire. Elle ne l'a pas fait. Responsable mais pas coupable. Après tout, c'est la mode. N'est - ce pas de cette manière que l'on traite l'avenir de nos jeunes générations ?

La politique des doigts de pieds

Très difficile de bouger un orteil sans bouger les autres doigts de pieds. Mais mis à part la curiosité technique, cela ne constitue pas un sérieux handicap au quotidien. C'est tout autre chose pour le Banquier Central qui aimerait bien pouvoir faire baisser l'inflation sans faire baisser la demande, faire monter le chômage, faire monter la grogne, etc. Mais non, le Banquier Central n'a pas d'autre choix que la politique des doigts de pieds, consistant à tout baisser ou rien baisser. Jadis, la médecine de l'époque proposait la saignée pour faire partir le mal. Face au dilemme, la Banque Centrale a donc tranché : le jeu n'en valait pas la chandelle, la balance bénéfices - risques plaida alors pour le statu quo. Il fallait bien choisir un camps. Elle a choisi le mauvais.

Le wokisme monétaire

S'il y a bien une chose qu'on ne peut pas reprocher à Larry Summers, c'est de nous avoir prévenus du laxisme insupportable de nos Banquiers Centraux : « Je vous l'avais bien dit ». Aujourd'hui, il a même trouvé un nouvel argument puisque les autres commençaient à dater : le wokisme monétaire... D'après Larry, nos Banquiers Centraux abrutis par 40 ans de désinflation auraient exapté leurs suprêmes organes initialement destinés à contenir l'inflation, pour une autre fonction davantage dans l'ère du temps : la justice sociale. Sauf que Larry savait bien, lui, que l'inflation n'était pas morte, juste tapie dans son coin.

« Personne n'ira conclure de l'arrêt du rouet à la mort de la fileuse », Schopenhauer. Effectivement, ne pas savoir n'est pas équivalent à savoir que pas.

Mais il y a une différence subtile entre être aveugle et faire preuve d'aveuglement. Ce que reproche Larry à la Banque Centrale c'est d'avoir fait preuve d'aveuglement, dogmatique. Alors que la Banque Centrale invoque l'absence de visibilité, la rendant de fait aveugle à l'évènement. Finalement, que l'on peut reprocher à la Banque Centrale, c'est juste d'avoir décidé de penser à demain (justice sociale, climat...), alors qu'elle aurait dû attendre que le présent se manifeste (inflation).

Le principe d'extentionnalité

Si les fins sont les mêmes, on se dit que les histoires aussi.

« Il y a de l'inflation à la fin de l'histoire, on vous avait qu'il y aurait de l'inflation. Donc, l'histoire que je vous raconte est bien l'histoire qui s'est produite ».

Sauf qu'il existe des tas de manière d'avoir de l'inflation. Et il se trouve que celle invoquée par les réchauffistes n'est pas tout à fait celle qui s'est produite. Le PIB ne s'est pas envolé au-delà du raisonnable (PIB potentiel), dopé par des politiques de soutien exubérantes, invitant l'inflation à sourdre de nulle part. Le PIB est à peine revenu au niveau qu'il avait connu avant crise en Europe, un peu au dessus dans le cas des Etats-Unis. Mais on est bien loin des 10% voire 20% d'excès de PIB invoqués par les oracles mortifères juste avant la distribution des chèques Biden. Certes, il y a bien eu un choc de demande positif, mais le gros de l'affaire c'est un méga - choc d'offre négatif. Certes, certes, les puristes objecteront qu'un choc d'offre n'est pas susceptible de faire bouger les prix, mais les prix relatifs :

« Si le bien A est plus rare, il est plus cher, mais comme mon revenu est constant, il faut bien que je paie moins cher le bien B, pour compenser ».

Comme quoi, le débat peut être constructif.

L'Homme de paille inflationniste

« Vous n'avez pas voulu remonter les taux d'intérêt assez tôt, je ne comprends pas pourquoi vous avez laissé l'inflation s'envoler ».

Ce sophisme récurrent au pays de la mauvaise foi fait dire à l'un ce qu'il n'a jamais dit à l'autre : le Banquier Central passe alors pour un Homme de paille. Et ça marche. Sauf que les autorités n'ont jamais dit qu'elles souhaitaient laisser l'inflation s'envoler. Elles ont simplement cru à l'inflation transitoire parce qu'elles ont cru à la pénurie transitoire, l'histoire de l'offre qui finirait par s'ajuster à la demande. Ce qui n'est jamais arrivé, la suture ne s'est jamais produite. L'offre est restée étourdie par le choc Covid, les vagues de variants, et enfin le conflit Ukrainien... Difficile de prévoir le lancer de dès. Mais c'est le jeu, quand on se trompe on passe forcément pour un abruti, un incompétent, voire un danger.

« Le contraire de la vérité, c'est la bêtise », Deleuze.

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Commentaires 2
à écrit le 30/08/2022 à 20:37
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Constater qu'on est de imbéciles incompétents ne résoud en rien les pbs créés volontairement

à écrit le 30/08/2022 à 15:58
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Ce que peu de gens avouent, c'est que la Fed a été manipulée par le gouvernement américain depuis deux ans, à des fins électorales. Jerome Powell a subit des pressions pour ne pas remonter ses taux d'intérêts à temps. Donc toute cette inflation, ce q...

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