Lobbying et secteur public : une hypocrisie française

Les acteurs publics ont été sauvés in extremis des griffes du législateur et devraient demeurer pour la plupart à l'abri des radars de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Par Anthony Escurat*

Transparence. À la mode, devenu presque une injonction, le mot est désormais sur toutes les lèvres. C'est dans cet esprit qu'a été conçu, débattu et devrait être prochainement adopté l'article 13 du projet de loi Sapin 2 visant à encadrer les activités de lobbying et à rendre plus « transparents » les processus de prise de décision politique. Mais voilà, dans une pure tradition française, les acteurs publics - pourtant omniprésents dans l'élaboration des normes - ont été sauvés in extremis des griffes du législateur et devraient demeurer pour la plupart à l'abri des radars de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Autrement dit, comme les deux faces d'une même pièce et dans un mélange des genres typiquement français, anciens et actuels membres du secteur public continueront à fabriquer et à influencer la loi.

 Un secteur public deux fois plus représenté au Parlement...

 L'analyse socioprofessionnelle de nos parlementaires nous fournit des éléments probants, accréditant la thèse d'une extrême porosité entre représentation nationale et secteur public. En effet, selon la Fondation iFRAP, 50% des sénateurs et 36% des députés en sont actuellement issus. Au total, 41% des élus nationaux exerçaient un emploi au sein d'un organisme public avant leur mandat, soit le double de la représentativité réelle du secteur dans la population active (estimée à un cinquième de l'emploi global dans l'Hexagone).

En agrégeant l'ensemble des trois fonctions publiques ainsi que les différentes entités parapubliques, l'on dépasse même la moitié des élus au Sénat (53%) ! À l'intérieur de cet échantillon, les enseignants sont sans surprise surreprésentés avec 16% à l'Assemblée nationale et 24% au Palais du Luxembourg contre moins de 10% pour les chefs d'entreprise et les agriculteurs. On compte dès lors un parlementaire pour 14 511 fonctionnaires, alors que le ratio total se hisse à environ un élu national pour 70 000 habitants. Un taux de représentativité par ailleurs deux fois plus important que celui des salariés du secteur privé (32 128 travailleurs par parlementaire), alors que ces derniers sont pourtant trois fois plus nombreux que les fonctionnaires.

 La perméabilité de la ligne de démarcation entre représentation nationale et secteur public avec, pour corollaire, la surreprésentation de celui-ci par rapport aux autres catégories socioprofessionnelles dont sont originaires nos parlementaires font donc débat. La question se pose avec une acuité d'autant plus forte que les acteurs publics s'avèrent être également, dans la pratique, les plus consultés par le Parlement.

 ... et deux fois plus consulté

 D'après une étude réalisée en 2011 par Transparency International et Regards Citoyens sur le lobbying à l'Assemblée nationale, le secteur public apparaît là encore surreprésenté... mais cette fois-ci de l'autre côté de l'hémicycle. Pour preuve, selon les données recueillies par les deux ONG entre juin 2007 et juin 2010, l'ensemble des acteurs publics concentrent à eux seuls 48,3% des auditions menées par les députés au cours de leurs différents travaux législatifs. Une prédominance qui confine à l'entre-soi lorsque celle-ci est mise en regard avec les secteurs privé (16,4%) ou associatif (7,5%). Même les acteurs du dialogue social (syndicats de salariés et organisations patronales) ne parviennent à talonner le secteur public, avec seulement 20,9% des consultations totales.

 Dans ce contexte, bien que l'article 13 de la loi Sapin 2 permette à la France de se conformer un peu plus aux standards de l'OCDE en matière d'encadrement du lobbying, l'exécutif comme nos parlementaires se sont bien gardés d'emmailloter du même corset réglementaire secteur privé et secteur public. Pour preuve, ni les élus ou leurs groupements politiques ni les administrations ne figurent dans la définition des représentants d'intérêt (seuls les ÉPIC et les réseaux consulaires ont été in fine rajoutés par les parlementaires au texte du gouvernement). Pourtant, comme l'affirme notamment Cornelia Woll, chercheuse à Sciences Po, élus et fonctionnaires constituent, eux aussi, des acteurs à part entière du lobbying. En effet, en l'espace de quelques décennies, l'on est passé de l'acteur public « influencé » à l'acteur public « influenceur ». Alors que devrait se clôturer début novembre la séquence « Sapin 2 », déjà présentée comme un véritable « changement culturel » par la majorité, force est de constater que la France a, une nouvelle fois, un train de retard sur la réalité.

 Anthony ESCURAT

Doctorant en science politique à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence. Auteur de la note « Le lobbying : outil démocratique » pour la Fondation pour l'innovation politique

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Commentaire 1
à écrit le 06/09/2016 à 19:28
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Les politiciens ne sont que des serviteurs et s'ils ont plus d'influence sur la société, la je suis d'accord avec vous, c'est d'abord dans l'intérêt de l'oligarchie et parce qu'elle le veut n'aimant pas se montrer en plein jour. Il est temps de s...

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