Loi Pacte : raison d'être des entreprises et choix du politique

La réforme de l'entreprise et sa refondation décidées par le gouvernement auront des difficultés à s'accommoder du cadre institutionnel et des normes de gestion qui ont façonné la vision du capitalisme. Par Daniel Bachet, professeur à l'université d'Evry-Paris-Saclay, membre du « Manifeste pour l'industrie ».
Bruno Le Maire, ministre de l'Economie
Bruno Le Maire, ministre de l'Economie (Crédits : Reuters)

Au mois d'octobre 2017, le gouvernement a annoncé une réflexion sur l'objet social de l'entreprise dans le cadre de son projet de réforme dénommé « Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises » (PACTE). S'agissait-il de mettre au premier plan les ambitions sociales et environnementales de notre système socio-productif pour  une autre manière de produire, plus sobre et plus écologique ? Et dans ce cas, comment concilier ces nouveaux objectifs avec les logiques plus classiques de profit et de rentabilité financière ?

Le problème lancinant depuis plusieurs années était celui de « l'objet social » de l'entreprise qui aurait pu être réformé par une intervention législative.

Un rôle de plus en plus sociétal

Il était temps enfin aujourd'hui de clarifier cet objet social et de redéfinir les finalités de l'entreprise. Ces thèmes concernent d'abord l'ensemble des agents qui sont parties constitutives de l'entreprise (les salariés et leurs représentants, les dirigeants, les manageurs, les actionnaires de contrôle, etc.) mais plus largement tous les citoyens  du pays compte tenu du rôle de plus en plus sociétal que peut jouer l'entreprise.

Or, pour le moment et au vu de ses déclarations, le gouvernement semble croire que les « associés » (actionnaires, propriétaires) sont les seuls habilités à juger des finalités de l'entreprise.

Certes, le rapport confié par le gouvernement à Jean-Dominique Senard et à Nicole Notat et remis au ministre de l'Economie Bruno Le Maire le 9 mars 2018 recommande une modification du Code civil pour intégrer les enjeux sociaux et environnementaux dans la définition de l'objet social des entreprises.

Dépasser les exigences de rendement à court terme

Le rapport affirme que toute entreprise a une « raison d'être » qui dépasse les exigences de rendement à court terme. Le (ou la) dirigeant (e) peut donc  agir dans un cadre de plus long terme afin de mieux intégrer le social et  l'environnemental. Cependant, dans l'hypothèse où la raison d'être affichée reste optionnelle et donc non contraignante comme l'a souhaité le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, il ne s'agit en fait que d'un effet de communication.

De plus, le gouvernement français a fait le choix de ne pas associer les mondes du travail au mode de pilotage des entreprises comme c'est pourtant le cas dans les modèles de cogestion ou de codétermination allemands, souvent vantés par nos politiques.

Ainsi, actuellement en France, on compte deux administrateurs salariés au-delà de quatorze membres dans les conseils d'administration. Le rapport Senard-Notat   proposait d'en désigner trois au-delà de quinze membres. Rejetant la proposition, le gouvernement a décidé de limiter à deux les administrateurs salariés dans les conseils d'administration de plus de huit membres.

Difficile de s'accommoder du cadre institutionnel

Mais de manière plus fondamentale, la réforme de l'entreprise et sa refondation pourront difficilement s'accommoder du cadre institutionnel et des normes de gestion qui ont façonné une certaine manière de voir et de compter dans l'histoire du capitalisme.

Pourquoi en est-il ainsi ? Parce que l'agent économique qui possède le pouvoir et qui domine dans notre système socio-productif et financier est celui qui façonne le système comptable de façon à faire apparaître en priorité son « résultat », calculé selon sa propre vision de la réalité économique.

Dans un cadre institutionnel reconstruit en vue de faire véritablement « exister » l'entreprise, celle-ci devient d'abord  une structure productive dont la finalité est de produire et de vendre des biens et des services. La contrepartie économique de cette production/vente se mesure par une grandeur économique qui est la « valeur ajoutée ». Le compte de résultat permet de valoriser cette grandeur économique qui constitue le véritable revenu de l'entreprise.

C'est bien la valeur ajoutée qui permet de couvrir le coût global de la structure qu'est l'entreprise (coût du  travail et coût du capital) alors que le profit, aussi nécessaire et utile soit-il pour l'équilibre économique, ne représente qu'une partie de la valeur ajoutée.

La notion "d'efficacité" n'est pas univoque

Selon que la finalité institutionnelle assignée à l'entreprise est en priorité la rentabilité financière ou bien la production de biens et services, les salariés seront plus ou moins en capacité de peser dans les processus de décision en vue de faire valoir leurs analyses, leurs intérêts propres et celui de l'entreprise. Adopter un langage comptable plutôt qu'un autre, c'est adopter une représentation de l'entreprise, de l'efficacité et des rapports de pouvoir. La notion « d'efficacité » n'est pas univoque et ne préexiste pas à la comptabilité. Elle est et sera ce qu'énonce la comptabilité.

Le dirigeant, ses collaborateurs et l'ensemble du management doivent alors prendre en compte non seulement l'intérêt des détenteurs de capitaux mais également ceux de l'ensemble des intérêts qui seront affectés par leur prise de décision.

L'entreprise est un « tout » dont les constituants sont la « société » (entité juridique) et la structure productive.

Personne fictive

La « société », au sens juridique, n'est pas simplement le groupement des actionnaires, comme on le croit le  plus souvent ; c'est une personne fictive qui possède un patrimoine propre et un revenu propreDès lors, si le pouvoir d'entreprendre et de décider ne provient plus de la seule propriété des actions, l'intérêt social est celui de l'ensemble des « parties constitutives » de l'entreprise qui sont toutes légitimes pour s'impliquer dans les processus de décision.

 Mais pour changer l'entreprise dont les constituants sont la « société » et la « structure », ne faut-il pas déjà commencer à changer les manières de faire voir l'entreprise et la raison d'être qu'on lui assigne ?

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