Marché de l'art  : une nouvelle génération de collectionneurs en quête de transparence

OPINION. Les millennials friands d'art utilisent les réseaux sociaux pour trouver des oeuvres et des artistes. Cette tendance est en train de bouleverser le traditionnel marché de l'art. Même si Christie's a décidé de publier les résultats de ses ventes aux enchères en ligne, le manque de transparence des acteurs en place est un frein au développement de ce nouveau marché alors même qu'une technologie, la Blockchain, pourrait y contribuer. Par Delphine Savin, artiste (*).
Si la décision de Christie's de publier les résultats de ses ventes aux enchères en ligne participe d'une amélioration de cette saine transparence, nombre d'institutions refusent toujours d'en faire autant.
Si la décision de Christie's de publier les résultats de ses ventes aux enchères en ligne participe d'une amélioration de cette saine transparence, nombre d'institutions refusent toujours d'en faire autant. (Crédits : Reuters)

L'émergence d'une nouvelle génération de collectionneurs s'accompagne, chez ces derniers, de nouveaux usages, mais aussi de nouvelles craintes, articulées autour des enjeux de sécurité et de transparence des transactions réalisées. Si les millennials n'ont pas leur pareil pour dénicher, dans des galeries ou en ligne, les artistes les plus talentueux, de récents scandales ayant éclaboussé le marché de l'art freinent leurs ardeurs. La technologie et la mise en place de process plus vertueux constituent des éléments de réponse.

Collectionneurs connectés

Ils ont entre 20 et 35 ans, collectionnent depuis 3 ans en moyenne et consacrent jusqu'à 5.000 dollars de leur budget annuel à leur nouvelle passion. Essentiellement originaires des Etats-Unis (26%) ou du Royaume-Uni (25%), loin devant les Français qui représentent 5% du panel, ils achètent pour le plaisir que procure l'acquisition d'une œuvre d'art, mais aussi dans l'idée d'un retour sur investissement. Ils misent sur les artistes émergents de leur génération, souvent plus audacieux que leurs ainés, prennent plus de risques en les soutenant mais sont soucieux de la qualité des œuvres qu'ils acquièrent.

Si le brick and mortar, essentiellement dans des galeries ou lors de foires, représente toujours une part importante des achats de ces nouveaux collectionneurs, ils se tournent aussi de plus en plus vers le Net, enchérissant sur des sites de ventes aux enchères via leurs ordinateurs, tablettes ou smartphones. Mais ce n'est pas tout. Les réseaux sociaux, sur lesquels ils passent 3 heures par jour en moyenne, constituent également une porte d'entrée vers l'art. Et, parmi ces réseaux sociaux, Instagram tout particulièrement.

57% du temps passé par les millennials sur les réseaux sociaux est en effet capté par Instagram, où ils sont 79% à naviguer pour découvrir des artistes et 82% pour les suivre et rester informés, avouant être influencés par les artistes qu'ils suivent, par les galeries, les musées, les maisons de vente aux enchères et les foires, bref, tous les acteurs qui ont rapidement intégré les nouvelles donnes de l'achat en ligne... moins par les critiques d'art, les curateurs ou les analystes du marché. Ils achètent des reproductions et des tableaux (74%), de la photographie (57%), de plus en plus de dessins (51%) et aussi de la sculpture à hauteur de 42 %.

Manque de transparence sur les prix

Pourtant, en dépit d'un intérêt croissant, certains obstacles entravent la véritable explosion du marché de l'art chez les millennials. Au premier rang desquels le manque de transparence sur les prix qui, s'il ne décourage pas les collectionneurs de longue date, « habitués à la confidentialité (...) en matière de prix », selon le Rapport Hiscox 2018 sur le marché de l'art en ligne, inquiète en revanche les aspirants collectionneurs. 90 % des nouveaux acheteurs indiquent ainsi que « la transparence des prix constitue une considération essentielle lors d'un achat d'art en ligne », selon la même enquête.

Or, si la décision de Christie's de publier les résultats de ses ventes aux enchères en ligne participe d'une amélioration de cette saine transparence, nombre d'institutions refusent toujours d'en faire autant. Certaines ont même considérablement alimenté les craintes des collectionneurs, en herbe ou non, en se trouvant impliquées dans de récents scandales. Sotheby's, l'autre mastodonte de la vente d'art aux enchères, défraye ainsi la chronique depuis quelques semaines, son vice-président en charge des ventes privées, Samuel Valette, étant accusé par un richissime collectionneur, le milliardaire russe Dmitri Rybolovlev, d'avoir aidé le vendeur d'art suisse Yves Bouvier à surfacturer des œuvres, servant de « caution de légitimité et d'expertise ».

Si l'affaire ébranle sérieusement le monde feutré de l'art, c'est d'abord par le montant vertigineux des sommes concernées. Selon les avocats de l'homme d'affaires russe, fondant notamment leurs accusations sur des courriels rendus publics par la justice américaine, ce dernier aurait ainsi été lésé de plusieurs centaines de millions de dollars. Le désormais célébrissime Salvatore Mundi (depuis devenu le tableau le plus cher de tous les temps en passant dans les mains du Prince héritier d'Arabie saoudite pour 450 millions de dollars), aurait ainsi été acquis par Yves Bouvier pour 80 millions de dollars, avant d'être vendu quelques heures plus tard et après « expertise » de Samuel Valette pour 127,5 millions de dollars à Dmitri Rybolovlev. Une marge mirobolante dont n'aurait pas été averti l'oligarque, qui réclame 380 millions de dollars à Sotheby's au titre du préjudice subi pour cette œuvre et toutes les autres ayant été surévaluées avec la complicité de Valette et d'autres employés de Sotheby's. Mais, au-delà des chiffres, cette affaire est d'abord emblématique de l'entre-soi prévalant dans les coulisses du monde de l'art, coulisses où se décident les prix des oeuvres dans la plus parfaite opacité, au détriment des acheteurs.

Sécuriser les transactions

En plus du manque de transparence relatif au prix des œuvres, d'autres freins à la poussée de l'achat d'art en ligne par de nouvelles générations existent. Ils concernent essentiellement les doutes sur l'authenticité des œuvres, le manque de sécurité des transactions sur le Net et les problèmes de transport et de logistique garantissant la livraison. Les montants de plus en plus élevés des transactions attisent en effet l'agressivité des cybercriminels auprès d'entreprises peu préparées et manquant de moyens pour les combattre. Elles devront réfléchir à une réelle stratégie de protection sous peine de disparaître. L'enjeu pousse le marché à intégrer agilement les technologies d'avant-garde.

A l'heure de l'entrée en vigueur, en mai 2018, du Règlement général sur la protection des données (RGPD), visant à unifier les règles et à renforcer la protection des données des citoyens de l'UE, 41% des galeries et 24% des plateformes n'en n'avaient pas connaissance et n'avaient pris aucunes mesures pour s'adapter à la nouvelle règlementation... Ces acteurs majeurs du marché devront envisager sérieusement les bénéfices qu'ils pourraient tirer de la construction intelligente d'une nouvelle infrastructure des données proposée par la Blockchain. Au nombre de ces bénéfices, évoquons par exemple la constitution d'un registre global des objets d'art et des titres de propriété, à même de rassurer sur l'authenticité des œuvres.

Par ailleurs, la cryptographie garantissant la haute sécurité des transactions serait à même de rassurer les 96% des acheteurs préoccupés par ce sujet incontournable. D'autre part, les nouveaux services agrégés proposant des informations indispensables au sujet du prix et des évaluations des œuvre seraient un élément supplémentaire de garantie, tout comme le seraient les rapports sur l'état de leur conservation et de leur transport. Grâce à la Blockchain, c'est tout un environnement qui permettrait l'émergence de nouveaux marchés alimentés et régis par des « contrats intelligents ».

Encore faut-il que cette technologie « open source » de la Blockchain soit adoptée rapidement et qu'elle suscite moins de réticences. De multiples startups et autres initiatives prometteuses travaillent à élaborer des applications et solutions autour de cette technologie. Elles s'appellent ArtChainGlobal, Artory, bit2art.com, Monegraph ou Verisart, méritent d'être suivies, observées et soutenues par les acteurs du marché.

Les collectionneurs, qu'ils soient jeunes ou moins jeunes, rechercheront toujours l'expertise des spécialistes l'art. Ils ne veulent pas être floués par ceux-là mêmes en qui ils placent leur confiance. Il appartient donc à ces derniers de montrer des gages de transparence, à l'instar de Christie's il y a peu, en publiant les résultats de leurs ventes et en adoptant des technologies tirées de la blockchain, pour un meilleur encadrement.

(*) Voir son compte Instagram et son blog.

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Commentaires 3
à écrit le 29/09/2019 à 9:20
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" .... soucieux de la qualité des œuvres qu'ils acquièrent. " J'ai du louper quelques cours d'initiation esthétique au lycée car quand je me poste devant un Soulage ou un Basquiat je cherche vainement ces critères de qualité et j'ai l'impression...

à écrit le 29/09/2019 à 7:35
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Un article qui confond tout sans aucune clarté... toutes les maisons de ventes publient leur résultats depuis plus de 20 ans! Les milleniales ne sont d'ailleurs pas ceux qui encherissent chez les maisons de ventes anglo saxonnes... un article écrit p...

à écrit le 28/09/2019 à 17:35
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Je ne vois pas trop où est le problème pour la transparence: dans une galerie, il suffit de pousser la porte, et de demander le prix (qui vous sera donné sauf si l'objet a été vendu -mais dans ce cas, il faut demander une fourchette indicative de pri...

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