Ne gaspillons pas les élections grecques !

Nos dirigeants européens semblent toujours traumatisées par les cauchemars du siècle précédent: il devient urgent de changer de « logiciel ». Par Michel Santi, économiste*

Aux allemands ayant tenté d'infléchir par tous les moyens le résultat du référendum grec, les électeurs de ce pays viennent d'opposer un résultat sans appel. Cette petite Grèce, et ses citoyens abandonnés à leur sort misérable par les pays aisés du « noyau » européen, nous envoient un message fort: la démocratie passera! Ils nous disent en substance que la démocratie n'est nullement l'apanage des nations riches, comme elle ne dépend en rien des déficits ou des excédents budgétaires.

Un état de grâce

Soyons reconnaissants à la Grèce de nous faire baigner dans un état de grâce trop rare, voire unique, car ce référendum et son issue marquent le premier moment de démocratie authentique en Europe depuis la fondation de l'Union. A l'heure où la Grande Bretagne et où son Premier Ministre Cameron s'efforcent d'amender l'Europe vers encore plus de mercantilisme. Tandis que la Hongrie prévoit de construire un mur de quatre mètres le long de sa frontière avec la Serbie. Alors que le salarié allemand ou hollandais sur le point de partir en vacances d'été ne ressentent aucune solidarité ou empathie envers le retraité grec privé d'électricité, de soins médicaux et totalement démuni car incapable de prélever sa pension modique pour cause de fermeture forcée des banques de son pays. Le vote des électeurs grecs est un vent de fraîcheur sur une Europe plombée.

L'Europe tétanisée par une leçon de morale aussi violente qu'inhumaine?

Il s'adresse aux travailleurs vertueux du noyau dur, appuyés par une technocratie européenne intransigeante, qui refusent de secourir l'imprudente et inconséquente périphérie. Il dénonce le diktat de l'austérité combinée aux sauvetages bancaires et conditionnés par le démantèlement de la protection sociale. L'Europe actuelle n'est-elle pas tétanisée par une leçon de morale tout aussi violente qu'inhumaine assénée aux pays déficitaires par les pays excédentaires ? Il suffit d'observer l'attitude anxiogène du Ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, qui souhaitait dès 2012 bouter la Grèce hors de l'euro afin d'ériger autour de l'Union « un pare feu plus crédible », selon l'ancien Secrétaire d'Etat américain au Trésor Geithner.

Les dépensiers mortifiés

L'Allemagne, première d'entre les égales, devra donc châtier la Grèce et lui enseigner par le sang que l'austérité produit comme par enchantement la croissance. Il sera dit que, pour survivre, la Grèce devra devenir allemande, cette nation du dogme de l'infaillibilité des excédents, cette nation où les gentils sont récompensés et où les pêcheurs sont damnés. Dans ce pays où le terme de dette est similaire à celui de faute - « Schulde » -, les dépensiers sont mortifiés et il importe de leur soustraire encore et toujours plus de pouvoirs afin de le transmettre davantage aux mains de la Troïka et des technocrates non élus.

De fait, l'Union européenne d'aujourd'hui infantilise les populations et déresponsabilise les exécutifs nationaux en usurpant progressivement de leurs pouvoirs et en rognant toujours plus de leurs prérogatives. Certes, ceci faisait partie du « plan » initial de la construction européenne dont les architectes se méfiaient de cette démocratie directe et de ces mouvements de masse ayant fait des ravages sur le continent par dictateurs interposés. Après deux guerres mondiales et l'avènement au pouvoir de Hitler et de Mussolini par la grâce du suffrage universel, il était en effet impératif de diluer le pouvoir des gouvernements nationaux et de brider les voix et les ardeurs populaires: en créant des institutions supra nationales qui dameraient le pion aux électeurs. Dans un contexte où le citoyen européen ordinaire a une inclination naturelle à céder aux sirènes démagogiques et populistes, il était donc vital - aux yeux des fondateurs de l'Union comme pour les technocrates de 2015 - de les canaliser grâce à la mise en place d'une oligarchie totalement dépourvue d'idéologie.

Pour se sauver, l'Europe devra sauver la Grèce

Sans broncher, les partisans du « Non » au référendum du 29 mai 2005, comme les électeurs de François Hollande en 2012, l'ont ainsi appris à leurs dépens. Pour leur part, dans un élan émouvant et exemplaire, les électeurs grecs viennent de voter « όχι », tout en manifestant clairement que la valeur de l'argent n'est pas neutre, qu'elle peut et doit se décider au niveau le plus noble, c'est-à-dire politique. Par leurs suffrages, les grecs envoient donc un message fort de responsabilité et d'idéologie, loin de la fadeur et des calculs froids d'une Union européenne qui ne suscite plus aucun enthousiasme. Pour se sauver, l'Europe devra donc naturellement sauver la Grèce.

Pour survivre, l'Union devra écouter son peuple et se conformer à son suffrage. Tandis que les mentalités de nos dirigeants européens semblent toujours traumatisées par les cauchemars du siècle précédent, il devient urgent de changer de « logiciel », seule et unique voie de prospérité et de paix pour une Europe qui se débat et qui vivote dans un monde en pleine mutation économique, technologique et démographique.

Le drame de la Grèce n'est pas une simple lutte pour résorber les déficits. Il n'est pas qu'une nouvelle tentative de soustraire de leur pouvoir aux autorités nationales. Il relève surtout de cette méfiance des élites envers la démocratie directe, jugée dangereuse et volatile. Par leur vote du 25 janvier 2015 ayant amené Syriza au pouvoir, comme par leur confirmation du 5 juillet dernier, les grecs nous donnent une belle leçon de constance et de maturité. Ils nous invitent à prendre en main notre destin. Et supplient par là même l'Europe de faire enfin confiance à ses citoyens. Ne gaspillons donc pas ces élections grecques.

Michel Santi est macro économiste et spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est l'auteur de : "Splendeurs et misères du libéralisme", "Capitalism without conscience" et "L'Europe, chroniques d'un fiasco économique et politique".

Vient de publier "Misère et opulence", préface rédigée par Romaric Godin.

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