Non, tout ce qui pousse en ville n’est pas pollué

Est-il possible de produire sainement en zone urbaine ? C’est la question à laquelle un ensemble de travaux de recherche tente de répondre depuis 2012. Par Nastaran Manouchehri, Agro ParisTech – Université Paris-Saclay; Baptiste Grard, Agro ParisTech – Université Paris-Saclay; Christine Aubry, Agro ParisTech – Université Paris-Saclay; Emeline Becq, Agro ParisTech – Université Paris-Saclay et Philippe Cambier, Inra
(Crédits : iStock)

Les projets d'agriculture urbaine se multiplient dans l'Hexagone, comme en Île-de-France où l'on recense actuellement 367 hectares d'initiatives dans ce domaine. La mairie de Paris s'est emparée de cette thématique pour en faire une promesse politique : en 2020, la ville souhaite comptabiliser 100 hectares de toitures et façades végétalisées, dont 30 hectares productifs, grâce notamment aux appels à projets Parisculteurs.

Cette médiatisation s'accompagne d'une prise de conscience croissante concernant la qualité sanitaire des cultures en ville - où la pollution est une préoccupation omniprésente - et les risques associés pour les usagers.

Est-il possible de produire sainement en zone urbaine ? C'est la question à laquelle un ensemble de travaux de recherche - initié en 2012 dans le cadre du projet de recherche T4P et réalisé par une équipe de chercheurs d'AgroParisTech et de l'Inra, en lien avec les porteurs de projets d'agriculture urbaine - tente de répondre en s'appuyant plus particulièrement sur la qualité sanitaire des cultures conduites sur les toits potagers.

Sources de contamination en ville

Il existe deux voies principales de contamination susceptibles d'affecter les cultures urbaines.

Il y a tout d'abord la terre - dit sol ou substrat - dans laquelle les cultures poussent ; celle-ci peut les contaminer via le transfert racinaire du sol à la plante. Cette voie de contamination dépend du type de légume, des propriétés du sol et de la nature du polluant. Les légumes feuilles (salades, choux, épinards, etc.) et racines (carottes, radis, etc.) y sont ainsi plus sensibles que les légumes fruits (tomates, poivron, etc.).

Du côté des polluants, on notera par exemple que le plomb est un élément moins mobile que le cadmium, et que son transfert du sol à la plante s'avère plus important lorsque le sol est acide et pauvre en matière organique. La concentration totale d'un polluant dans le sol n'est donc pas un indicateur du risque, d'autres paramètres entrant en jeu pour que le polluant migre vers la culture.

Seconde voie de contamination, les dépôts atmosphériques et l'absorption des polluants par les parties aériennes des végétaux. Les légumes feuilles, comme la salade, sont plus facilement affectés que d'autres légumes, du fait de leur grande surface aérienne qui les expose davantage aux retombées atmosphériques.

À cela s'ajoute la voie d'ingestion directe de terre, lors du travail du sol par certaines populations (agriculteurs urbains, visiteurs jardiniers). Leur activité peut les exposer considérablement lorsque le sol utilisé est riche en polluants.

Notons enfin que le risque sanitaire relatif à la présence des polluants en agriculture urbaine ne dépend pas uniquement des teneurs en polluants dans les produits ou dans le sol ; le taux d'exposition des usagers via l'ingestion de légume ou de sols contaminés compte aussi.

Polluants urbains et risques sanitaires

En matière de polluants atmosphériques, nous nous sommes intéressés plus particulièrement à deux types de polluants préoccupants pour leur effet potentiel sur la santé de l'homme - qu'ils soient cancérogènes ou provoquant le dysfonctionnement d'un organe.

Citons d'abord les éléments trace métalliques (ETM), souvent étudiés en agriculture urbaine car ils sont présents dans l'air, le sol et l'eau des villes. Dans l'air, on les retrouve dans des particules émises par les activités humaines - industrie ou trafic routier notamment.

Depuis 2000, ces émissions ont largement baissé en raison des évolutions réglementairesEn 2017, la concentration dans l'air des ETM les plus nocifs pour la santé humaine - comme le cadmium, le plomb, l'arsenic et le nickel - respectaient majoritairement les normes fixées par ces réglementations.

L'autre catégorie de polluants que nous avons étudiée - rarement suivie en agriculture urbaine - concerne les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). Ces polluants organiques peuvent être rejetés dans l'air à l'issue de combustions incomplètes. Leurs principales sources sont le chauffage au bois et le trafic routier.

Ces molécules sont classifiées par différentes autorités de santé, en fonction de leur caractère nocif pour la santé humaine. La molécule benzo(a)pyrène (BaP), par exemple, a un effet cancérogène avéré. Trois autres HAP sont considérés comme cancérogènes probables.

Pour les ETM, la réglementation européenne n'impose de seuils maximums dans les légumes et les fruits que pour le plomb et le cadmium. Les autres ETM, comme le mercure et l'arsenic, sont eux réglementés dans les produits alimentaires.

En ce qui concerne les HAP, les plus dangereux (le BaP et la somme des quatre molécules les plus dangereuses, dite HAP4) font l'objet de la réglementation européenne pour les produits alimentaires transformés, comme les huiles, les herbes séchées ou la préparation d'aliments et de lait pour les nourrissons. Les seuils les plus bas fixés concernent les aliments pour les nourrissons. Aujourd'hui, il n'existe pas de seuil réglementaire pour les teneurs en HAP dans les légumes et les fruits.

Toits végétalisés à Paris

Dans le cadre de notre étude, nous avons choisi d'étudier les toits potagers, cette forme d'agriculture urbaine se développant aujourd'hui rapidement.

Ces toits visent la production de fruits et de légumes, d'herbes et de fleurs comestibles pour une consommation locale. De nombreuses entreprises ou associations, comme TopagerCultures en ville ou Veni Verdi, installent ce type de toitures à Paris.

Les cultures sur toits sont essentiellement concernées par la pollution liée aux retombées atmosphériques ; les voies de contamination par les sols/substrats évoquées précédemment restent à la marge dans la mesure où les toits potagers utilisent des substrats d'origine et de qualité connues. Ici, les terres sont constituées à partir de matériaux apportés par l'homme, comme du compost de déchets verts, du bois broyé, du marc de café, etc. Ces substrats sont souvent très peu chargés en polluants, tenus qu'ils sont de répondre à des normes de qualité, telle que la norme NF U44-551 relatives aux supports de culture.

Pour les mêmes raisons, l'ingestion de substrat par les personnes qui travaillent le sol (agriculteurs ou jardiniers) n'est a priori pas une source d'exposition notable - contrairement aux formes d'agriculture urbaine en pleine terre ou aux cultures en serre sur sol parfois contaminé.

Dix potagers expérimentaux

Dans le cadre de nos recherches, nous avons étudié dix potagers installés en région parisienne : quatre d'entre eux se trouvent sur le toit de centres commerciaux (Porte de Versailles, Vélizy-Villacoublay, La Défense et Levallois-Perret) ; quatre autres couvrent les toits de sites de la RATP ; un potager expérimental a vu le jour sur le toit d'AgroParisTech ; enfin, un potager productif est situé sur le toit du parking du magasin Carrefour à Villiers-en-Bière.

Les expérimentations sont menées dans des bacs remplis de substrat constitué de bois broyé, de déchets de champignonnières - marc de café et de mycélium de pleurotes - et de compost de déchets verts.

L'intensité du trafic routier à proximité des sites est très contrastée. La circulation oscille en effet entre 1 000 voitures par jour pour le toit d'AgroParisTech et 250 000 voitures par jour pour les axes routiers majeurs des autres sites. Par ailleurs, la hauteur des bâtiments varie entre 3 et 20 mètres.

Des blettes, des choux et des poivrons

Les concentrations des deux ETM réglementés - plomb et cadmium - ainsi que celles relatives au mercure, ont été mesurées dans trois types de légumes (feuilles, fruits et racines) pour chaque expérimentation.

En analysant 30 à 45 échantillons par type de légume lavé - tomates, carottes, radis, fraises, laitues, blettes, choux, poivrons - nous avons constaté que les teneurs des trois ETM restaient en moyenne entre 3 à 5 fois en dessous des seuils réglementaires européens pour l'ensemble des sites étudiés.

De même, les concentrations en BaP et HAP4 ont été mesurées dans les légumes feuilles sur les toits de la RATP et d'AgroParisTech. Les 45 échantillons de légumes lavés - salades, batavias et blettes - ont révélé des teneurs en HAP les plus dangereux en dessous des limites de quantification mais aussi en dessous des seuils réglementaires les plus bas fixés par la Commission européenne - ceux de préparations pour nourrissons.

Les résultats mettent en évidence l'effet du lavage et de l'épluchage des légumes sur les teneurs en polluants.

Nous avons aussi constaté l'effet du site (présence de barrières physiques et hauteur) sur les teneurs en polluants. Plus on s'éloigne du niveau du sol, plus celles-ci diminuent. Quant à la présence de barrières physiques et leur positionnement par rapport à la source de pollution, ils peuvent aussi réduire les teneurs en polluants.

Ces résultats de recherches, hormis ceux du toit d'AgroParisTech déjà publiés en partie, sont en cours de valorisation.

Écosystèmes innovants et bienfaits sociaux

À Paris, dans les conditions précises que nous venons d'évoquer et pour les polluants étudiés, les légumes classiques issus de potagers sur les toits respectent la réglementation en vigueur. À condition, on l'a vu, d'appliquer les bonnes pratiques de consommation : lavage et épluchage des légumes.

Mais avec l'émergence de nouvelles cultures, pour lesquelles on dispose de très peu de données, il est indispensable d'étudier leur sensibilité vis-à-vis des retombées atmosphériques. On pense ici aux herbes aromatiques - omniprésentes dans les projets des agriculteurs urbains ou bien encore le houblon, utilisé pour brasser de la bière, une nouvelle spécialité parisienne.

Il faut également considérer les services rendus par ces écosystèmes innovants - comme la rétention d'eau de pluie, l'accueil de la biodiversité - et leurs bienfaits sociaux (actions pédagogiques, accueil des citoyens).

Enfin, compte tenu des différentes voies possibles de contamination, il est nécessaire de s'assurer de la qualité des substrats utilisés - notamment les déchets verts en raison de la présence de végétaux cultivés en zones urbaines - dans ces formes agricoles afin de limiter les voies de transfert racinaire et de l'ingestion de sols. Ces deux voies sont notamment à considérer lors des installations d'agriculture urbaine en pleine terre sur les sites pollués.

Notre programme de recherche participative Refuge (« risque en fermes urbaines : gestion et évaluation ») propose une méthodologie pour évaluer et gérer le risque dans les micro-fermes urbaines face à la problématique de la pollution du sol.

The Conversation _________

Par Nastaran ManouchehriChercheur en chimie de l'environnement et risque sanitaire, Agro ParisTech - Université Paris-Saclay ; Baptiste GrardChercheur postdoctoral, Agro ParisTech - Université Paris-Saclay ; Christine AubryResponsable de l'équipe de recherche « Agricultures urbaines », Agro ParisTech - Université Paris-Saclay ; Emeline BecqResponsable RSE, Agro ParisTech - Université Paris-Saclay ; Philippe CambierChercheur en science des sols, Inra

 La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 29/11/2018 à 6:57
Signaler
Si l’auteur est chimiste : il sait très bien qu’il faut «  couvrir «  ces plants pour les «  rendre » plus sains à la consommation. Je ne suis pas là pour dire ce que les gens veulent entendre ou ne pas entendre. Après l’idéal est de tremper le tout ...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.