Notre-Dame : plaidoyer pour une intervention lente et raisonnée

IDEE. Comment ne pas ajouter l’erreur ou l’oubli, à l’accident toujours possible ? Conscience, prévention et étude sont de mise. Par Bruno Phalip, Université Clermont Auvergne
(Crédits : Gonzalo Fuentes)

« Pour ceux qui savent que Quasimodo a existé, Notre-Dame est aujourd'hui déserte, inanimée, morte. On sent qu'il y a quelque chose de disparu. Ce corps immense est vide ; c'est un squelette ; l'esprit l'a quitté, on en voit la place et voilà tout. C'est comme un crâne où il y a encore des trous pour les yeux, mais plus de regard. » (Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, livre IV, chap. 3)

La douloureuse perte par incendie de la charpente (XIIe-XIXe siècles) de Notre-Dame de Paris ne peut faire oublier ni les « restaurations » aventureuses et interventionnistes d'autres charpentes médiévales, telles que celle de la cathédrale de Bourges (2009-2014), ni les négligences ou le manque de moyens pour mettre hors d'eau celles de monuments équivalents comme à la collégiale d'Eu en Normandie.

Tous les spécialistes des charpentes médiévales sont à même de produire d'autres exemples, tant les études d'archéologie du bâti ne sont pas encore totalement entrées dans les mœurs, afin de conduire à un entretien respectueux, comme à des interventions (minimalistes ?) tenant notamment compte des avis d'archéologues lorsqu'ils sont sollicités : tels Patrick Hoffsummer (Liège), Jean‑Yves Hunot (CNRS Tours) ou encore Frédéric Epaud (Archéologie, Maine-et-Loire).

Reims, la ville et la cathédrale en 1916. Base Mérimée, inventaire et monuments historiques.

Réduire la fatalité

Le premier constat est rude, mais il peut avoir des vertus, afin de ne pas ajouter l'erreur ou encore l'oubli, à l'accident toujours possible. La fatalité doit être réduite par la conscience, la prévention et l'étude. Eugène Viollet-le-Duc, Henri Deneux ou Friedrich Ostendorf furent parmi les meilleurs connaisseurs de la charpenterie en France et en Allemagne entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle.

Par leurs études, ils contribuèrent à des relevés architecturaux non remplacés, comme à la réalisation de maquettes conservées. Le risque existait car bien des charpentes de cathédrales ou d'abbatiales avaient brûlé dans le courant du XIXe siècle, ou nécessitaient d'être reconstruites : Chartres, Rouen, Saint-Denis, Clermont-Ferrand. Ces sinistres conduisirent à débattre de l'usage de nouveaux matériaux comme la fonte, le fer ou la brique afin de bâtir de grands arcs, comme des structures assemblées et boulonnées résistantes au feu. Il s'agissait de faire entrer la modernité dans la préservation du monument.

Mais, encore faut-il s'entendre sur ce que l'on nomme et présente comme des « nécessités » absolues d'intervention dans la précipitation. Ce sont des accidents, des négligences, mais aussi des conflits qui meurtrissent les cathédrales. Ainsi, quasiment dès leur érection, dans de nombreux cas, les incendies affectent partiellement ou totalement les édifices une à plusieurs fois par siècle : Saint-Benoît-sur-Loire en 974, 1002, 1005 et 1026. Cela est d'ailleurs bienvenu lorsque les chapitres des cathédrales préparent fort à propos une reconstruction.

Reims, la cathédrale, reconstruction de la charpente en éléments de béton préfabriqués après 1918. La couverture provisoire est visible. Base Mérimée, inventaire et monuments historiques.

Il en est ainsi de grands chantiers romans (abbatiale de Vézelay), mais aussi gothiques souvent justifiés par des incendies : cathédrales de Chartres, Reims, Rouen, ou de Canterbury. En 1870, c'est la charpente de la cathédrale de Strasbourg qui disparaît lors du conflit franco-prussien. Plus tard, c'est l'abbatiale (Saint-Rémi) et la cathédrale (Notre-Dame) de Reims dont les charpentes médiévales brûlent lors du premier conflit mondial. Henri Deneux en avait réalisé des maquettes. Il en est de même à Noyon, Soissons ou Vauclerc (Aisne), détruites lors de ce conflit. Des accidents anciens ou plus récents encore s'y ajoutent pour les cathédrales de Metz (1877) ou de Nantes (1972).

D'inestimables édifices civils, religieux ou sites, enfin, ont été perdus lors du second conflit mondial, partout en Europe. La France n'est pas seule concernée : (cathédrales de Saint-Malo, Rouen ou de Nevers en France ; Cologne, Dresde, Monte-Cassino, Rotterdam, Tournai, Varsovie...).

Quelques chantiers exemplaires

Face à ces pertes, risques et « nécessités » quelques chantiers, souvent exemplaires dans leurs pratiques d'entretien et de restauration, sont susceptibles de montrer des voies possibles grâce à des collaborations volontaires, des prudences dans l'intervention, comme dans les matériaux et pratiques, mais aussi de patientes recherches.

En ce domaine, le temps long est gage d'assurance, tandis que l'intervention trop immédiate signifie la précipitation et les choix techniques inappropriés. Il s'agit donc bien, à Paris, de résister à l'émotion qui submerge et exige la restauration aux effets immédiats, visibles à court terme, tandis que la sagesse suggère au contraire la réflexion et réclame l'étude, avant intervention.

De telles études et interventions réfléchies existent en France et en Europe, qui supposent de belles études d'archéologie du bâti, d'exemplaires recherches historiques et surtout une grande patience fondée sur de solides expériences. Ce sont, entre autres exemples, les cathédrales de Tournai en Belgique, de Lyon et d'Auxerre en France, de Strasbourg et de Fribourg-en-Brisgau de part et d'autre du Rhin.

Chacune de ces cathédrales a pu subir autant de vicissitudes que Notre-Dame de Paris et pourtant chacune inscrit son entretien, ses actions dans le temps long. Tournai est un immense chantier qui réunit tous les intelligences et savoir-faire du pays en une lente Brabançonne (hymne belge) résolue. Des messes y sont dites pour la Nation et son roi. Bien sûr, tout est discuté, soumis à la critique (couverture de plomb en remplacement de celle en ardoise) et débattu, mais ces choix se font toujours en étant accompagnés d'études exhaustives (notamment par l'archéologue du bâti Laurent Delehouzée), d'interventions sérieuses et justifiées.

Soissons, les grandes arcades de la nef en 1918. Base Mérimée, inventaire et monuments historiquesAuthor provided

Tous les niveaux institutionnels y sont parties prenantes ce qui explique à la fois la lenteur du chantier et la force du sens donné à l'entreprise. Les chantiers de Lyon et d'Auxerre sont plus modestes dans leurs moyens, tout en étant accompagnés de belles études archéologiques : Centre d'études médiévales d'Auxerre, Christian Sapin et son équipe ; Ghislaine Macabéo et Nicolas Reveyron du laboratoire ArAr. Enfin, Strasbourg et Fribourg-en-Brisgau expérimentent des interventions raisonnées où le remplacement des pierres est limité.

L'utilisation des biocides (produits dits phytosanitaires) est interdite et les échanges scientifiques sont nombreux entre les deux villes afin de préconiser des techniques de nettoyage par cataplasmes (procédé Tollis) et non les gommages très abrasifs pour la pierre.


À lire aussi : Pourquoi il faut « réensauvager » les monuments historiques


Chaque restauration est brutale pour un édifice vieux de sept à huit siècles ; l'entretien seul est plus respectueux. Les institutions françaises vont devoir maintenant choisir entre un parti « brutaliste » dénoncé naguère par l'architecte des Monuments historiques Achille Carlier et une vision à long terme préconisant les meilleures chaux de restauration sans additifs, le respect du biofilm, l'abandon des biocides dans le traitement de la pierre historique, la systématisation des études d'archéologie du bâti aux relevés exhaustifs, la surveillance des travaux, la maîtrise des impacts, comme la transparence des débats. La Nation peut être associée ; c'est un exercice long et difficile, inhabituel, mais c'est aussi le gage d'une association étroite entre une action collective aux résultats satisfaisants (garder l'ancien et respecter les parties restaurées par Viollet-le-Duc). Le mot patrimoine est inutile qui est brandi à tort et à travers alors que le monument se doit d'être respecté.

The Conversation ______

 Par Bruno PhalipProfesseur d'Histoire de l'Art et d'Archéologie du Moyen Âge, Université Clermont Auvergne

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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Commentaires 5
à écrit le 29/04/2019 à 9:50
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Que du bon sens. Par contre ce n'est en aucun cas l'émotion qu'il convient d'exhiber si on veut qualifier la précipitation dans la volonté de restaurer cet édifice. Non, ce n'est pas l'émotion collective, ce sont juste les JO 2024.

le 30/04/2019 à 8:32
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Oui mais Macron n'en a aucun... "Il a dit" donc "faut faire" même mal comme sa politique !

à écrit le 29/04/2019 à 8:59
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Bah on aurait plus vite fait de tout raser et de garder le blé donné par nos mégas riches évadés fiscaux afin de s'occuper des gens et si les bulls pouvait passer sur le sacré cœur au passage cela ne serait pas du luxe ! Bravo pour la Citation de...

le 30/04/2019 à 8:36
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Cette Grande Dame rapporte tout les ans beaucoup d'argent via les visites... Par contre je trouve honteux que cette argent ne serve pas à sa réparation et qu'ils fassent appelle aux dons... Les citoyens mérite aussi de recevoir leur dû. Ca fait plus...

le 30/04/2019 à 9:06
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OK on rase pas mais pour les rentrées d'argent si on la laissait en l'état est-ce que le côté morbide de l'humain visiteur touristique ne pourrait pas être attisé du coup et au final à moitié détruite elle rapporterait autant que non détruite ? "...

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