Objets connectés : révolution ou déception ?

Les objets connectés ne rencontrent pas encore le grand public. Ils sont chers, leurs fonctions sont souvent redondantes... pourtant, la révolution est effectivement en marche. Par Valerio Natta, Edouard Pitt, Virginie Genin, Cyrille Eeckman, Jérémy Mas, Mathieu Chauveinc, Beijaflore Marketing & Innovation – Practice Devices.
(Crédits : Medria)

Les objets connectés s'imposent encore difficilement dans nos vies. Le CES de Las Vegas, le plus grand salon consacré aux objets connectés et point d'orgue de l'innovation en la matière, nous a encore époustouflés cette année. La prospérité du secteur ne semble faire aucun doute, alors pourquoi l'impact sur notre quotidien peine à se faire sentir ?

En 2015 nous assistons à la prolifération des objets connectés sur le marché, une telle croissance nous porte à penser qu'ils marqueront une rupture technologique comme les smartphones en 2007 et les tablettes en 2010. Ces derniers ont changé nos habitudes et sont chaque jour plus présents dans notre quotidien.
Cependant, malgré la forte hausse des ventes et l'enthousiasme qui accompagne la sortie des objets connectés, rares sont ceux qui s'installent durablement dans notre vie. Comme le montre une étude d'Endeavour Partner réalisée aux USA en 2014, un tiers des objets connectés se retrouvent rangés dans un tiroir au bout de six mois.
Pourtant, le cabinet Gartner et l'institut européen IDATE prévoient respectivement 25 et 80 milliards d'objets connectés en 2020 dans le monde, ce qui nous invite à considérer les objets connectés comme une nouvelle révolution technologique.
Comment expliquer cet écart entre prévisions explosives et accueil mitigé des utilisateurs ? Nous vous apportons ici quelques clés de lecture pour décrypter ce paradoxe.


La désillusion après l'espérance

Actuellement ce marché connaît une phase d'innovation tous azimuts avec une tendance vers le "tout connecté", de notre montre à notre animal de compagnie. Si l'on utilise le modèle de la "courbe de Hype" (source Gartner), qui est une représentation empirique du cycle de vie des technologies, nous situons les objets connectés dans une phase d'exagération des espérances. Cette tendance ne devrait pas tarder à s'inverser.

Une journée au rythme des objets connectés

Nous sommes quasiment déjà arrivés au sommet de nos espérances vis-à-vis des objets connectés. Les idées tout comme les start-up fleurissent en la matière. Nous pourrions désormais passer nos journées entourés d'objets connectés, imaginons alors ce que serait la journée "type" de Gaspard, un adepte de l'IoT (Internet of Things) :
07h00 : Gaspard se réveille doucement grâce à son bracelet vibrant Jawbone, qui choisit le bon moment selon son cycle de sommeil. Sa balance intelligente Withings lui permet de constater rapidement les effets du footing de la veille. Après son café matinal, il se laisse guider par sa brosse Kolibree pour un brossage optimal des dents.
08h00 : juste avant de partir à son travail, son capteur Koubachi lui indique d'arroser la nouvelle plante.
08h20 sur le périphérique parisien, Gaspard lit son journal pendant que sa Mercedes à conduite autonome se charge de le conduire sur son lieu de travail.
12h00 : avant de partir déjeuner, Gaspard enfile son T-shirt connecté Asics et part pour une rapide course à pied, toutes les données sont récoltées par son T-shirt et il pourra se vanter de sa performance auprès de ses collègues via les réseaux sociaux.
13h00 : au déjeuner, sa fourchette connectée HAPIfork collecte les informations du repas, et vibre si les bouchées s'enchaînent trop rapidement.
16h55 : avant d'aller en réunion, il répond à un SMS sur son Apple Watch avec commande vocale. Il en profite pour vérifier le taux de remplissage de ses objectifs santé journaliers et ajoute un rappel en prononçant : "Dis Siri, rappelle-moi d'aller chercher Sophie à son cours de danse à 19h00"
19h30 : de retour du bureau, il s'accorde une séance de yoga sur le tapis intelligent SmartMat lui permettant de réaliser facilement et précisément les meilleurs mouvements de relaxation.

Les possibilités des objets connectés semblent infinies... en un mot, le rêve ! Mais du rêve à la réalité ces objets peinent à réellement séduire. Et les explications de cette pénétration difficile sont nombreuses.

Des freins indéniables...

Un prix excessif
Le prix de ces objets est l'un des principaux freins à leur expansion. Hormis quelques irréductibles technophiles, rares sont les personnes prêtes à dépenser 100-150 euros pour la fonction connectée. D'après une étude Harris Interactive, 68% des Français estiment que le coût trop élevé d'un objet est le principal frein à l'achat.
De plus, lorsque l'on rapproche le prix de l'objet et le service rendu, la perspective d'achat se dérobe parfois. En effet, certaines fonctions semblent si anodines que le prix ne se justifie pas. Par exemple, seriez-vous prêt à dépenser une centaine d'euros pour un appareil dont la seule fonction serait de tester votre haleine ? Nous pouvons également citer les "Google talking shoes" qui doivent motiver son propriétaire lors de ses activités sportives : seriez-vous prêts à vous faire moquer par vos chaussures en public ?

Des fonctions redondantes
L'offre des objets connectés est très large, à l'image d'un secteur concurrentiel en pleine expansion. Beaucoup de fonctionnalités communes se retrouvent dans des objets connectés différents, ce qui n'aide pas les consommateurs à s'y retrouver. La fonction podomètre se retrouve dans les bracelets connectés, les montres connectées et dans la majorité des smartphones grâce à leur accéléromètre intégré. De même, de nombreuses fonctionnalités proposées par les objets connectés sont déjà présentes sur la plupart des Smartphones milieu de gamme.

Un design approximatif
Les objets connectés subissent une forte concurrence de la part du marché des wearables traditionnels : prêt-à-porter, joaillerie, luxe, etc. Ces acteurs demeurent prescripteurs de la mode, et un objet connecté aura du mal à les remplacer sans se plier à ces standards. A titre d'exemple, alors que beaucoup d'objets affichent des couleurs criardes ou du plastique à outrance, la montre "Activité Pop" de l'entreprise Française Withings a su se démarquer en proposant un design d'une montre conventionnelle correspondant plus aux habitudes des consommateurs.
Autre contre-exemple, l'Apple Watch qui inverse la tendance et ouvre la porte au luxe connecté, style et design.

Un manque de maturité du marché
Ce marché des objets connectés est encore jeune (premières commercialisations grand public en 2012), il existe cependant des moyens de le dynamiser, comme le crowdfunding. Ce modèle permet une levée rapide de capitaux pour des startups n'ayant pas l'apport financier suffisant mais dont les projets intéressent les internautes. Ces outils de crowdfunding sont un bon moyen d'évaluer le potentiel d'un objet. Cependant la promesse d'un objet connecté "sur le papier" n'est pas toujours tenue lors de son lancement. L'exemple typique est "Ring" de Logbar Inc, une bague permettant de contrôler les appareils connectés d'un simple geste de la main. Malgré 880 000 dollars récoltés sur Kickstarter, les premières versions du produit ont connu de mauvais retours dus à sa taille inadaptée et son manque de précision.
Dans un contexte très concurrentiel, l'équilibre est parfois difficile à trouver entre la volonté de commercialiser le produit rapidement pour garantir la rentabilité de la société, et la durée de la phase de développement assurant la création d'un produit de qualité.


...mais aussi des perspectives


Malgré tous ces freins au développement, les objets connectés restent promis à un grand succès s'ils savent répondre à quelques pré-requis.

Des technologies déjà matures
Les technologies de transmission de données utilisées pour les objets connectés, que ce soit le WiFi, le Bluetooth 4.0 (Low Energy), ZigBee (moins cher et plus simple que le Bluetooth) ou même NFC, sont des technologies qui sont toutes arrivées à maturité et sur lesquelles les acteurs du marché pourront s'appuyer pour développer leurs produits.
De même la plupart des objets connectés s'appuient sur des capteurs (altimètre, gyroscope, accéléromètre, etc.) suffisamment miniaturisés pour être intégrés dans de petits objets.

Inventer l'usage
Le défi des constructeurs réside dans le fait d'entretenir un usage qui perdure dans le temps. La condition de réussite d'un objet connecté repose sur son utilité de vie quotidienne. Un objet révolutionnant le quotidien en créant un nouveau besoin aura un impact plus fort sur l'utilisateur qu'un objet qui répond à un besoin déjà existant. C'est ce qui a fait la force d'Apple durant la période Steve Jobs avec la sortie de l'iPhone puis de l'iPad qui a bouleversé les usages informatiques et télécoms. Aujourd'hui, Apple mise tout sur l'Apple Watch qui doit prouver sa capacité d'inventer un nouveau quotidien à ses utilisateurs.


Le marché des professionnels
Le secteur des entreprises s'annonce plus porteur et plus rentable que celui des particuliers. L'intérêt des entreprises est multiple : optimiser leurs processus internes, paraître dans l'air du temps, élargir leurs possibilités, se diversifier. Parmi les objets qui vont arriver et devraient connaître un succès, nous pouvons miser sur les lunettes "Evena Eyes-On" d'Epson, révélées à l'édition 2014 du CES qui permettent aux infirmières de trouver les veines pour effectuer des piqûres indolores. Ou encore le bracelet "Nymi" de Bionym qui améliore la sécurisation de zones sensibles (bases militaires, banques...) en utilisant comme clé unique d'authentification le rythme cardiaque du porteur.

Le marché Grand Public
Le marché grand public est double : le marché de masse, centré sur des produits de la vie quotidienne (bracelets, montres, voiture connectée...) et le marché de niches pour des cibles plus spécifiques (sports, santé...).
Sur le marché de masse, les produits vendus répondent à des besoins de consommation générique. C'est pour cette raison qu'ils intègrent en général beaucoup de fonctionnalités. C'est le cas de l'un des objets qui a le plus retenu notre attention au CES 2015 : Le casque de moto Skully qui couple un système d'affichage tête haute affichant l'image de la caméra grand-angle placée à l'arrière du casque ainsi qu'un GPS intégré qui affiche la direction à suivre en surimpression. L'objet est très ingénieux et utile, charge à Skully d'en faire un succès commercial.
Sur les marchés de niche, les objets répondent quant à eux à des besoins bien particuliers. L'objectif étant de rendre l'usage indispensable auprès de la cible. Typiquement, nous pouvons citer l'exemple de la montre iSetWatch qui permet d'enregistrer le score d'un match de tennis, produire des statistiques et transmettre le score en direct à des proches. Cet objet répond à un besoin d'une faible part de la population, cependant le succès peut être au rendez-vous si la cible adhère rapidement au produit.

Sécurité des données
D'après une étude Harris Interactive, concernant les objets connectés, 71% des Français craignent pour la sécurité de leurs données personnelles. Cette frilosité est liée au fait que les informations échangées par ce type d'objets sont souvent du domaine du privé (santé, localisation). L'aspect sécuritaire quant à la protection des données est donc primordial pour les concepteurs et constructeurs. Lors des campagnes marketing, l'accent doit être mis sur la sécurité du produit vis-à-vis des données.

La collaboration et le partenariat : les meilleurs alliés des start-up
La conception d'un objet connecté nécessite de gros investissements. La collaboration avec de grandes marques offre donc un excellent recours aux start-up. Elles peuvent par exemple utiliser leurs réseaux de distribution ou encore s'appuyer sur un produit existant. L'objet s'approprie une image de marque forte, ainsi des objets perdent leur aspect visuel trop "gadget" et trouvent succès aux yeux des clients. Nous pouvons citer dans cette catégorie, les bijoux Swarovski de Misfit Shine qui intègrent la technologie des objets connectés dans leurs produits.
De plus, les publicités et l'accompagnement en magasin auront un rôle essentiel pour expliquer et familiariser la clientèle aux objets connectés. Des enseignes telles que la Fnac et Darty l'ont d'ailleurs très bien compris en créant un secteur dédié aux objets connectés dans la plupart de leurs boutiques.


Les objets connectés : une révolution en marche


"L'Internet des objets est la première vraie révolution technologique du XXIème siècle" selon Jean-Luc Beylat Président d'Alcatel-Lucent Bell Labs France. L'avenir nous dira dans quelle mesure il avait raison. Mais il est certain que les entreprises ont tout intérêt à explorer le potentiel de cet environnement connecté dès aujourd'hui pour être déjà implantées lorsque le marché sera mature.

Quand le marché se sera rationalisé, les consommateurs se laisseront séduire et s'équiperont massivement en objets connectés. Pour cela, les grands groupes et les startups doivent proposer des objets inter-opérables, bien conçus et vendus à des prix raisonnables.

La France a su se faire une place de choix sur ce marché grâce notamment à des startups prometteuses, comme en témoignent les 10 sociétés françaises qui ont été primées lors de cette édition du CES. Ces entreprises ont su se montrer innovantes et ouvertes sur le monde. La cité connectée d'Angers, qui ouvrira ses portes en 2015, devrait participer à cette tendance de "french mania".

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Commentaires 3
à écrit le 14/06/2015 à 7:38
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1-le secteur qui marriant les capteurs et les technologies de l'information est prospère 2-vous décrivez très bien par vos exemples comment chaque individu , en s'achetant des objets connectés , augmente son efficience , augmente sa productivité:enc...

à écrit le 11/06/2015 à 21:27
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En anglais deception veut dire tromperie. Le terme semble donc tout à fait approprié. En effet, si on en croit les règlements à venir (et déjà en place ailleurs) il ne sera plus possible d'acheter tel ou tel type d'appareil sans qu'il soit connecté. ...

à écrit le 11/06/2015 à 11:35
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Il y a d'un coté la technique qui est impressionnante mais de l'autre quelle est l'utilité réelle pour l'individu ou le consommateur. A quoi cela me sert-il réellement de savoir que je n'ai plus de yaourts dans mon frigo ou que la DLC est passée: je...

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