Pas de neutralité carbone en 2050 sans couplage gaz-électricité

OPINION. Si, en 2018, l'électricité ne représente que 23 % de la consommation d'énergie en Europe, il faudra arriver à 51 % en 2050. La clé pour réussir, c'est l'électrification de notre consommation énergétique et le couplage entre les secteurs du gaz et de l'électricité. (*) Par Charles Cuvelliez, Université de Bruxelles, Ecole Polytechnique et Patrick Claessens, Managing Director, e-clap.
Le président Emmanuel Macron lors d'une visio-conférence de la réunion Finance climat, perspective neutralité carbone 2050, au palais de l'Elysée, à Paris, France, le 12 décembre 2020.
Le président Emmanuel Macron lors d'une visio-conférence de la réunion "Finance climat, perspective neutralité carbone 2050", au palais de l'Elysée, à Paris, France, le 12 décembre 2020. (Crédits : Reuters)

Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, le nouvel objectif de l'Europe depuis 2018, on commence à cerner l'effort à accomplir d'ici 30 ans. C'est le résultat d'une étude menée par l'université de Cambridge sous les auspices du CERRE, le Centre pour la régulation en Europe. La clé pour réussir, c'est l'électrification de notre consommation énergétique et le couplage entre les secteurs du gaz et de l'électricité. C'est la première étude menée avec ce niveau de détail : 12 régions (dont 8 pays individuels) en Europe ont été modélisées et ensemble, elles couvrent les 27 Etats membres, la Grande-Bretagne, la Suisse et la Norvège. Tout ce qui consomme de l'énergie a été modélisé : bâtiments, transports, industrie... En tout, des dizaines de millions de variables et de contraintes.

Qu'il faille électrifier n'est pas une surprise pour bénéficier des énergies renouvelables (éolien et solaire) mais pour étendre l'emprise de l'électricité sur notre usage énergétique, il faut aussi coupler.

Réduire la consommation énergétique totale en Europe

En 2050, la consommation énergétique totale en Europe par an devrait atteindre 8.246 TWh contre 12.347 TWh en 2018 : cette réduction est plausible grâce à l'innovation en efficacité énergétique.

Si, en 2018, l'électricité ne représente que 23 % de la consommation d'énergie en Europe, il faudra arriver à 51 % en 2050 : donc, même en ayant réduit de 33 % notre consommation totale entre 2018 et 2050, il faudra investir massivement dans la production d'électricité : + 88 % par rapport à 2018 ce qui équivaut à 5 X la croissance moyenne des capacités de production sur 1990-2018. Si on restreint la fenêtre de comparaison à la période post-crise 2008 où les choses se sont calmées, on arrive tout de même à un doublement.

Evidemment, cette électricité devra être zéro-carbone, ce qui donnerait un mix composé de 81 % de renouvelable, 12 % de nucléaire et 6 % de biomasse pour le CERRE et les chercheurs de Cambridge. Inutile de préciser qu'en 2018, on en était encore loin : il faudra 4.000 TWh d'éolien en 2050, ce qui impose de doubler nos efforts actuels de déploiement dans cette filière ! Il semblerait par contre, pour l'énergie solaire, qu'on n'est pas trop loin de l'objectif à atteindre en 2050 si on ne faisait rien que laisser aller les choses. Il ne manquerait que 300 TWh en 2050.

Il faudra encore recourir massivement à la biomasse - passer de 23 TWh en 2018 à 1.150 TWh en 2050 - sans que cela soit une contrainte majeure. La séquestration du carbone devra aussi s'améliorer.

Augmentation des échanges

Avec une telle proportion de renouvelable, essentiellement intermittent, si on excepte l'hydraulique et la biomasse, l'électricité devra aussi plus circuler entre les zones de production et de consommation. Une augmentation des échanges de 208 % est nécessaire et 2.600 TWh seront consacrés à la production d'hydrogène et de gaz de synthèse. Par contre, la biomasse devrait pouvoir rester locale : la production devrait suivre. Mais si pour des raisons administratives, on n'arrivait pas à déployer suffisamment d'énergie renouvelable partout en Europe, ce serait compensé par une augmentation des échanges de H2 au niveau européen ou même de méthane. Et de plaider pour un marché unique de CH4, de H2 et de l'électricité pour au moins ne pas avoir de tensions sur les prix.

Du côté de la consommation, les deux secteurs les moins électrifiés, les bâtiments et le transport devront y aller franco :  les premiers feront un usage plus élevé de pompes à chaleur, hybrides s'il le faut, pour remplir les besoins thermiques des bâtiments quand les pompes à chaleur classiques n'y suffiraient pas (en hiver), quitte à consommer des sources d'énergie classique mais non-fossiles, comme le biométhane ou le méthane de synthèse produit (en combinant l'hydrogène avec le CO2). Le transport, autre secteur qui doit s'électrifier, doit impérativement voir 80 % de la flotte de véhicules convertie à l'électrique. Les voitures diesels qui restent utiliseront un combustible équivalent de synthèse. Le transport public par route sera majoritairement électrifié à 84 % et les poids lourds fonctionneront à l'hydrogène pour 64 %, au gaz pour 28 % et électrique pour les 8 % restants

Une flexibilité dans la production d'électricité cruciale

Avec une telle proportion d'énergie renouvelable, donc intermittente, la flexibilité dans la production d'électricité est cruciale. Elle jouera à différentes échelles tant au niveau spatial que temporel. Les échanges d'électricité entre pays devront croitre, on l'a vu ci-dessus. Il faudra plus intégrer les réseaux de transmission et de distribution au niveau local pour coupler les lieux de production de renouvelable avec les lieux de consommation tout comme le va et vient entre stockage en cas de surproduction à un moment de la journée et de consommation plus forte à un autre moment de la journée mais aussi entre saisons, entre hiver et été (peu applicable à la distribution, ceci dit)  On devra prévoir le stockage saisonnier de méthane de synthèse mais aussi de nouvelles formes de production et de stockage d'hydrogène vert. On fonde aussi beaucoup d'espoir sur les véhicules électriques comme moyen de stockage de l'électricité pour la flexibilité journalière. Des réservoirs d'hydrogène sous pression ou sous forme liquide feront aussi l'affaire sans compter les pompes à chaleur et la flexibilité des pipelines au CH4.

Deux cas extrêmes

L'étude encadre ce scénario par deux cas extrêmes où on maximise l'usage de l'électricité, avec par exemple 100 % de l'hydrogène produite par électrolyse ou à l'inverse l'électrification par le développement de centrales ou de cogénérations au gaz naturel, avec séquestration du CO2 pour produire l'hydrogène. Dans un premier cas, il faut encore augmenter les capacités de production d'électricité de 25 % tandis que dans l'autre elles diminueraient de 30 %.

Ce n'est  pas gagné comme on le voit. Pour le CERRE, il est donc crucial, pour rencontrer l'objectif d'une production d'électricité neutre en carbone à l'horizon 2050, de construire un marché unique de l'électricité mais aussi du méthane, de l'hydrogène et du carbone.

Il faut accélérer le déploiement de l'énergie solaire et surtout éolienne à travers toute l'Europe. Il faut renforcer les interconnexions entre pays. Il faut renforcer les réseaux de transport et de distribution, il faut électrifier le chauffage et le transport. Il faut utiliser l'électricité pour produire des carburants de synthèse.

Le problème des coûts fixes

Le problème sera les coûts fixes pour construire tout cela. Comment les répercuter sur les consommateurs ?  En fonction de leur consommation ? Les consommateurs de gaz devront-ils supporter seul les nouveaux réseaux de gaz et les lieux de conversion dans le cadre de l'électrification exigée par le scénario 2050 ?  L'équité commanderait d'intégrer financièrement les secteurs du gaz et de l'électricité.

Il faudra en tout cas encore beaucoup de R&D, beaucoup d'expérimentations à grande échelle, ainsi qu'une politique incitative éclairée, comme une taxation bien pensée et de bons prix (coûts) pour le carbone.

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Pour en savoir plus : Electricity and gas coupling in a decarbonised economy", CERRE-Université de Cambridge, Mars 2021

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Commentaires 2
à écrit le 28/03/2021 à 18:01
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Lorsque vous aurez fini de défigurer la France à grand coup de parcs éoliens, que ferez-vous?

à écrit le 23/03/2021 à 17:57
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Arrêtez la construction de moteur électrique pour passer en manuel engendrerai de sacré économie!

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