Pays émergents : et maintenant, le rebond ?

Les pays émergents ont peut-être touché le fond : les indicateurs avancés accréditent l'hypothèse d'un redémarrage, certes encore lent, au cours des mois à venir. Le contexte international y contribue
Ivan Best
Le nouveau patron de la Banque centrale brésilienne, Ilan Goldfajn, a contribué à rassurer les marchés financiers

 Les pays émergents sortiraient-ils de l'ornière ? L'interrogation peut paraître curieuse, alors qu'on apprend, par exemple, que le Brésil se débat dans d'immenses difficultés pour tenter d'organiser les JO de cet été, faute de moyens. La chute des prix du pétrole y a laminé les recettes publiques, et l'Etat de Rio va devoir sans doute cesser de payer certains fonctionnaires pour financer l'achèvement des travaux.

Il n'empêche que les financiers veulent croire au retour des émergents. La preuve ? Depuis le premier janvier, les bourses des pays émergents ont gagné 18%, alors que celles des pays européens, tous indices confondu, ont fait du surplace. Le rebond, ce ne serait pas maintenant, mais bientôt, puisque les marchés anticipent toujours.

 Les conditions d'un redressement

Il semble en effet que les conditions d'un redressement se mettent en place. « Semble » car rien n'est jamais acquis pour des économies toujours plus fragiles que celles des pays industriels, mais la perspective d'un redressement se dessine actuellement. Elle est encore éloignée, si l'on en juge par les prévisions de croissance du PIB. L'OCDE s'attend, par exemple, à une nouvelle chute du PIB du Brésil cette année - une baisse supérieure à 4% en 2016, après un recul de 3,9% en 2015, jamais le Brésil de l'ère moderne n'avait connu une telle dépression-. Il en sera de même pour la Russie, où l'activité reculerait encore de 1,7% en 2016... Bref, à voir les prévisions de croissance, l'heure n'est pas aux réjouissances.

 Chine: pas de hard landing

Mais ces chiffres portent surtout la trace de la chute d'activité des mois écoulés, et ne disent pas grand 'chose de l'avenir. Si l'on cherche au contraire des indicateurs avancés, l'heure est au contraire au rebond. A tel point que les indices des directeurs d'achat (PMI) pour l'ensemble des émergents sont aujourd'hui supérieurs à ceux des pays industriels, considérés globalement. Plusieurs facteurs contribuent à ce redressement. Ne serait-ce que la dissipation des inquiétudes entourant encore les pays émergents voilà quelques mois.

Ces inquiétudes concernaient d'abord la Chine. Or la situation se stabilise, au sein de la deuxième économie mondiale. « La crainte d'un « hard landing » de l'économie chinoise est derrière nous », souligne Christian Déséglise, Managing Director chez HSBC, responsable des banques centrales et des fonds souverains. Les autorités chinoises font tout pour écarter un tel scénario catastrophe d'une chute de la croissance, qui pourrait être due à la baisse -avérée- de l'investissement dans les secteurs en surcapacité (charbon, extraction du pétrole et gaz naturel, métaux ferreux et non ferreux... ). Elles ont ainsi relancé la construction, qui soutient désormais l'activité.

La fin du dollar fort

Ensuite, le dollar fort, qui faisait partie des sujets de préoccupation, a cessé de monter. La hausse du billet vert -et donc la baisse des devises des émergents- contribuait à diminuer le rendement des investissements. Le mouvement s'est inversé.
Enfin, -et ce changement n'est pas pour rien dans l'arrêt de la hausse du dollar-, la Banque centrale américaine, la Fed, a décidé de ne pas augmenter les taux d'intérêt aussi vite que prévu cette année, et elle laisse entrevoir une remontée des taux très lente, par la suite. Or c'est la perspective d'un relèvement assez brutal des taux qui avait largement contribué à la crise récente des émergents, en faisant refluer les capitaux vers les Etats-Unis. Ce changement de la stratégie « d'exit », comme il est dit sur les marchés, est fondamental: la sortie de la politique monétaire très accommodante, mise en œuvre depuis 2008 et la crise financière, sera très graduelle. Il est même imaginable que les taux d'intérêt restent assez faibles aux Etats-Unis, beaucoup plus longtemps que prévu.

Ainsi, les pays émergents vont pouvoir assouplir leur politique monétaire. Les banques centrales y avaient relevé les taux d'intérêt afin de stopper la fuite des capitaux, mais l'effet déprimant sur les économies y avait été immédiat. Au Brésil, notamment, la marge pour une baisse des taux d'intérêt est considérable, estime HSBC.

Les prix des matières premières remontent

Et surtout, les prix des matières premières ont cessé de baisser, qu'il s'agisse du pétrole, bien sûr, dont on sait que les cours ont bondi depuis le point bas de janvier (+87% pour le brent), et pas seulement. La hausse des prix des matières premières agricoles est sensible depuis trois mois. Le cours du soja est au plus haut depuis deux ans, celui du sucre grimpe régulièrement. Les matières premières industrielles sont aussi à la hausse. Ainsi, le cours de l'argent a bondi de 27% depuis janvier, celui du platine de 14%.

Or c'était là l'un des principaux handicaps des pays émergents, comme l'expliquait l'économiste Patrick Artus, interviewé par La Tribune en octobre dernier.

« Ces pays émergents se trouvent enferrés dans un véritable cercle vicieux, leur crise est auto-entretenue » soulignait-il. « L'enchaînement fatal est celui-ci : la valeur de leurs exportations chute en raison de la baisse des prix des matières premières. Il en résulte une forte dégradation de leur balance commerciale, puisque ces pays exportent surtout des matières premières. Du coup, le taux de change s'effondre par rapport au dollar. Cela alimente le mouvement de sortie de capitaux. Pour renverser la vapeur, les autorités augmentent les taux d'intérêt, ce qui a surtout pour effet de déprimer l'investissement. La croissance s'en trouve encore affaiblie, tout comme la capacité d'exporter autre chose que des matières premières. D'où une nouvelle dégradation de la balance commerciale et la hausse des taux d'intérêt... ».

De ce cercle vicieux, les pays émergents sortent actuellement, notamment grâce à la hausse des prix des matières premières. Leurs balances commerciales se rétablissent. HSBC prévoit une réduction du déficit au Brésil, en Inde et en Turquie, notamment. Leurs devises, qui ont beaucoup baissé, ne sont plus surévaluées. Plus besoin, donc, de taux d'intérêt prohibitifs pour les défendre. Les taux devraient baisser fortement, notamment au Brésil. Un mouvement qui devrait permettre le redressement de l'investissement.

Ivan Best

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