Plaidoyer pour la sous-traitance industrielle

OPINION. Le dernier rapport des députés Fasquelle et Sommer (2019) se consacre à une étude dont on ignore s'il faut la qualifier d'utopique ou de téméraire. Dans la mesure où pour la plupart des analystes, si le corps bouge encore, le pronostic vital est engagé, et pour les autres, la messe est dite. Toujours est-il que l'industrie française (et notamment la sous-traitance) n'échappe pas aux grandes mutations de ce début de siècle. Par Thierry Charles, directeur des affaires juridiques chez Allizé-Plasturgie(*).
Thierry Charles.
Thierry Charles. (Crédits : DR)

Le 26 juin 2019, le rapport d'information sur les relations entre les grands donneurs d'ordre et les sous-traitants dans les filières industrielles des députés Daniel Fasquelle & Denis Sommer [rapporteur] était présenté devant la Commission des Affaires économiques de l'Assemblée nationale.

Un nième rapport sous forme de « plaidoyer pour la sous-traitance industrielle » qui fait lui-même suite au précédent rapport de Martial Bourquin, sénateur du Doubs sur les « relations entre donneurs d'ordre et sous-traitants dans l'industrie » (à l'origine des évolutions législatives de la loi Hamon du 17 mars 2014) et du fameux rapport « Volot » sur le dispositif juridique concernant les relations interentreprises et la sous-traitance du médiateur des relations inter-industrielles et de la sous-traitance en 2010. Aux mêmes maux les mêmes remèdes !

Fiscalité inadaptée

Pour mémoire , rappelons qu'à l'occasion du Midest [Marché International pour la Diffusion Européenne de la Sous Traitance.] en 2004, le Comité Nationale de la Sous-traitance (CENAST) lançait déjà un cri d'alarme sur l'avenir « gravement menacé » de la sous-traitance industrielle française :

« A quoi servira-t-il de s'ouvrir à de nouveaux marchés, aussi prometteurs soient-ils, si l'outil de production a disparu ? Il faut que la France continue à produire. Elle a besoin pour cela d'un réseau d'entreprises sous-traitantes puissant et dynamique. »

Outre que les rapporteurs de l'époque craignaient déjà que la production disparaisse à terme si elle n'était pas soutenue et si les délocalisations se poursuivaient, ils stigmatisaient une fiscalité inadaptée, la dégradation des relations avec les donneurs d'ordre, la multiplication des pratiques abusives, une régulation désordonnée et l'absence de soutien financier.

Ainsi, ce nouveau rapport de 2019 se consacre à une étude dont on ignore s'il faut la qualifier d'utopique ou de téméraire. Dans la mesure où pour la plupart des analystes, si le corps bouge encore, le pronostic vital est engagé, et pour les autres, la messe est dite. Toujours est-il que l'industrie française (et notamment la sous-traitance) n'échappe pas aux grandes mutations de ce début de siècle.

« On croit fabriquer des automobiles, on fabrique une société », écrivait dans les années 1960 Bernard Charbonneau.

Elle n'échappe pas non plus au mouvement général des idées, puisque les rapporteurs parmi la vingtaine de propositions retiennent l'idée d'aider les sous-traitants à s'approprier la technologie de la « blockchain » en incitant les donneurs d'ordre à mettre en place des outils numériques à géométrie variable dans lesquels les sous-traitants pourraient plus facilement s'intégrer.

Soupçon permanent du retard avec l'Allemagne

En janvier 2010, l'ampleur du succès des « Etats Généraux de l'Industrie », dont le projet était de redonner à la France une véritable « ambition industrielle », avait déjà profondément renouvelé le débat. L'industrie était à nouveau ressentie comme un impératif, et la sous-traitance y prenait toute sa part, pour y revenir 10 ans plus tard stigmatisant les mêmes causes à défaut d'en célébrer les premiers effets ! C'est bien connu, le Président Georges Pompidou le déplorait dans les années 1970, les Français n'aiment pas leur industrie.

D'ailleurs, la France a-t-elle jamais eu une politique industrielle digne de ce nom, s'interrogeait le Premier ministre Jacques Chaban-Delmas en 1970. Le constat de ce baron du gaullisme était déjà cruel : « Fragile économiquement [...], la France prend du retard sur les grandes nations industrielles [...]. [La société] est bloquée par l'état de notre économie [...]. Et elle est malade des insuffisances de notre industrie. »

Le soupçon permanent de retard par rapport à l'industrie allemande a toujours entaché son image. Au demeurant, les français ne savent pas eux-mêmes qu'ils ont été une grande nation industrielle. Dans une sorte de complexe, probablement lié à nos défaites militaires, qui furent d'abord mécaniques (souvenons-nous que De Gaulle plaida en vain dans son ouvrage : « Vers l'armée de métier », en faveur de la motorisation de l'armée), nos compatriotes considèrent que l'Allemagne est « La » nation industrielle en Europe.

Rôle de précurseur

Ce n'est qu'en partie vrai, car historiquement, la France a produit au début de l'ère industrielle davantage d'ingénieurs.

Dans les commencements de l'automobile, les Français ont joué un rôle de précurseur, grâce à Panhard et Levassor, à la famille Peugeot et même à Michelin. Nicolas Sarkozy, « le président des usines », comme il aimait à se définir, rappelait d'ailleurs, dans le discours prononcé le 4 mars 2010 à Marignane, à l'occasion de la conclusion des Etats Généraux de l'Industrie (EGI) : « La France, avec la Grande Bretagne, a été pionnière de la révolution industrielle. Denis Papin, Nicéphore Niepce, Clément Ader, Gustave Eiffel, Marcel Dassault, nos grands inventeurs, nos capitaines d'industrie, et des milliers de familles d'ouvriers anonymes ont écrit de grandes pages de notre histoire de France et fondé la France industrielle ».

Perçue depuis Colbert comme une éternelle mineure sous tutelle, incapable de se développer sans le soutien permanent de l'Etat, deux points ont sans doute entravé notre capacité de développement : le mépris du commerce et de l'argent. Sans entrer dans une analyse de « l'éthique protestante et l'esprit du capitalisme » de Max Weber (tant il est vrai que l'économie est d'abord une culture nourrie d'histoire), on doit considérer que les allemands sont probablement aussi bons commerçant qu'industriels.

Quant aux Anglais et aux Américains, ils ont su très tôt se doter de moyens financiers, facilitant leurs conquêtes, alors que la France en est encore à prôner une plus forte mobilisation des investisseurs institutionnels au bénéfice de l'industrie [voir l'exemple « Manurhin », leader mondial de la machine de cartoucherie ou l'éternel débat autour des délais de paiement].

Ce qu'il y a derrière l'idée de "fin de l'industrie"

Aujourd'hui, avec la crise, on ne la croit plus capable, au sein de nos élites, de créer des emplois ni même de les conserver. On a ainsi vu se développer la thématique de la « fin de l'industrie », autour de l'idée que le politique semblait voué à accompagner avec résignation « l'exode des fabriques », quand il ne défendait pas parfois les vertus du « sans usines ». Mais, ne nous y trompons pas, au-delà de ce focus autour de la sous-traitance industrielle, c'est bien la pérennité de l'industrie française dans son ensemble, en raison d'un incorrigible gallocentrisme, qui risque demain d'être remise en cause face à la concurrence des pays émergents, et avec comme principale conséquence d'ouvrir une nouvelle période d'exode industriel, sans doute la dernière.

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L'AUTEUR

Thierry Charles est directeur des affaires juridiques chez Allizé-Plasturgie, docteur en droit, et membre du Cercle Montesquieu.

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Commentaires 2
à écrit le 30/06/2019 à 9:40
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Oui enfin tous les constituants de base de l'usine lors de la seconde moitié du 20ème siècle ont été inventé aux états unis, Amplificateur Opérationnel, Transistor, Thyristor, processeur numérique, les langages informatique, aujourd'hui l'IA, les com...

le 30/06/2019 à 20:20
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Pourriez vous nous transmettre votre commentaire en anglais svp, peut être qu'on arrivera à comprendre le sens et où vous voulez en venir...

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