Pour aller de l'avant, les entreprises japonaises doivent oublier leurs succès passés

A la différence de firmes comme Apple qui savent aller de l'avant, les entreprises japonaises peinent à se réinventer. Par Pascal Nguyen, professeur de finance à Neoma Business School

Les derniers indicateurs macroéconomiques ne laissent planer aucun doute. Le Japon rencontre des difficultés à relancer durablement son économie. Au cours du dernier trimestre, le produit intérieur brut a reculé de 1,4% en rythme annuel. Sur l'ensemble de l'année écoulée, la croissance s'élève tout juste à 0.4%. A première vue, cette faiblesse semble résulter de la frilosité des ménages. Leur consommation a baissé de 1,2% alors que les entreprises se distinguent par le dynamisme de leurs investissements. Beaucoup d'analystes y voient la conséquence de la hausse de la TVA introduite en avril 2014 dans le but de réduire l'énorme déficit public.

Les marchés n'y croient plus

Derrière un discours volontairement optimiste, la Banque du Japon ne se faisait plus trop d'illusions. Prenant les devants, elle avait créé la surprise il y a deux semaines en décidant d'appliquer des taux d'intérêt négatifs sur les dépôts bancaires. Hélas, les marchés ne croient plus aux mirages de la politique monétaire. Non seulement les actions japonaises ont chuté, mais les obligations d'État ont vu leurs taux passer en dessous de zéro. Pour couronner le tout, les cambistes ont poussé la devise japonaise à la hausse au lieu de la vendre comme on aurait pu s'y attendre. Ceci ne va pas arranger les affaires des entreprises exportatrices.

Les entreprises conservent leurs profits

Bien qu'elles semblent avoir largement contribué à soutenir la croissance, les entreprises sont en réalité responsables de l'atonie de la consommation. Alors que leurs profits battent des records, grâce notamment à la faiblesse du yen, et qu'elles disposent d'une trésorerie abondante, les entreprises japonaises préfèrent conserver leur argent plutôt que de le partager avec leurs salariés. Et malgré un taux de chômage à seulement 3,3% et un déséquilibre du marché en faveur des demandeurs d'emploi, la progression des salaires reste modeste à seulement 0,6%. Pas de quoi emballer les ménages et les pousser à la dépense !

Pour quelle raison les entreprises japonaises sont-elles aussi frileuses ? Et ceci d'autant plus que l'évolution des taux de changes ces trois dernières années leur est favorable. L'explication la plus probable est qu'elles vivent avec la hantise de finir comme leurs consœurs Panasonic, Sharp et Toshiba. Il faut dire que ces dernières étaient leaders sur leurs marchés avant de voir leurs positions battues en brèche par la concurrence et de devoir leur salut à l'intervention des pouvoirs publics. S'il y a un risque, c'est là qu'il se situe.

Dans ce cas, ce n'est pas en comprimant les salaires que les entreprises assureront leur avenir. Un grand media japonais s'en est récemment fait l'écho en notant que les salaires proposés aux cadres supérieurs, particulièrement en matière de recherche et développement, sont plus élevés dans les pays asiatiques concurrents du Japon. D'où un problème évident pour attirer et retenir les meilleurs.

Comme Steve Jobs, refuser de s'attacher au passé

Une autre idée prometteuse serait de revoir la façon dont elles gèrent leurs équipes. A ce titre, la position intraitable de Steve Jobs constitue un exemple à méditer. Dans le dernier film qui lui est consacré, on voit Steve Wozniak interpeler son complice de la première heure juste avant le lancement en fanfare du Macintosh, le dernier né des produits d'Apple. Que lui demande-t-il ? Simplement que Steve Jobs adresse dans sa présentation un remerciement à l'équipe en charge de l'Apple II qui a fait le succès de la firme et génère l'essentiel de son cash-flow. Pourtant, Steve Jobs lui refuse sèchement cette faveur. Méchanceté gratuite de la part du patron d'Apple ? Non. Plutôt la conviction que l'attachement au passé, aussi glorieux soit-il, pourrait freiner l'entreprise dans son élan vers le futur !

Les entreprises japonaises peinent à se réinventer

Les entreprises japonaises se situent à l'opposé d'un tel trait de caractère. A l'image de la société civile qui les entoure, elles cultivent l'harmonie et sont imprégnées du souci de ménager les susceptibilités des uns et des autres. Chacun doit avoir une place honorable surtout s'il a beaucoup donné pour le groupe et même s'il n'a plus grand chose à apporter. Dès lors, on comprend que les entreprises japonaises aient du mal à faire table rase du passé pour mieux se réinventer.

Or, c'est en se séparant de ceux qui n'ont plus la capacité de porter les projets d'avenir pour s'appuyer sur ceux qui le peuvent, qu'elles auront une chance de les réaliser. On peut ne pas aimer Steve Jobs. D'ailleurs, celui-ci semble n'avoir rien fait pour se rendre agréable. Mais si Apple est devenue la plus grosse capitalisation boursière de tous les temps, c'est bien parce que son patron a su pousser ses meilleures équipes et écarter sans ménagement les moins bonnes.

Au Japon, on n'en est pas encore là. Pourtant, le pays devra certainement y venir, en commençant par les secteurs les plus exposés à la concurrence internationale. Car il est indispensable que l'innovation dont il a su faire preuve ne soit pas étouffée sous le poids de structures dépassées.

Pascal Nguyen est professeur de finance à Neoma Business School

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Commentaires 2
à écrit le 18/02/2016 à 21:56
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Les Japous , c'st des sauvages avec des arcs et des flèches. Leurs derniers succès datent de 50 ans. Et leur plus grande invention le magnétophone pour courir avec pendant le jogging. Le problème , surtout , c'est que les mêmes ont 40 de plus right...

à écrit le 18/02/2016 à 13:46
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Le dogme néolibérale est appliqué mondial, on n'augmente pas le pouvoir d'achat des ménages et pourtant on chouine parce que la crise économique s'approfondie chaque jour.

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