Pour en finir avec les banlieues, l’architecture et l’urbanisme du XXe siècle

Les plans « banlieue » se succèdent sans jamais aborder le sujet de l’architecture et ses relations avec la ville. Par Marc et Nada Breitman, architectes lauréats du Driehaus Prize 2018.
Marc et Nada Breitman.
Marc et Nada Breitman. (Crédits : DR)

La ville n'est pas un objet, ni une collection d'objets. La ville est un réseau de lieux insérés au sein de quartiers différents, identifiés par ses rues, ses squares, ses places. Elle est l'expression d'une culture. Paris n'est pas Londres, Bruxelles n'est pas Rome. Ces villes européennes ont un point commun, elles ont, inscrite dans l'épaisseur de leurs murs, une façon de vivre dans un environnement climatique et géographique. Elles ont aussi cette faculté à se transformer au rythme des évolutions économiques et sociales.

Lorsque des rues, des immeubles changent d'affectation, lorsque, au travers du temps les activités se déplacent, elles s'y adaptent. Mais force est de constater que les grandes villes historiques sont de moins en moins accessibles à tous. Sont apparues, au-delà de leurs faubourgs, des zones dites « suburbaines ». Elles sont le fruit d'une politique du territoire basée sur des principes issus de l'essor de la construction industrialisée et soutenue par un projet architectural né du Mouvement Moderne des années 1920.

Un vandalisme de l'espace public

Ses acteurs pensaient pouvoir se défaire des structures jugées trop complexes de la ville. La rue fut désignée comme insalubre, mère de tous les maux. Les architectes, à la suite de Le Corbusier, ont jugé la pensée nouvelle de la « tabula rasa », révolutionnaire. Ils y ont adhéré massivement, rendant toute contestation inaudible. Ce mouvement a pris appui sur le thème de l'invention, de l'avant-garde pour justifier l'abandon des lieux dits traditionnels : la rue, la place, le quartier. Les espaces se sont alors dilués dans une uniformisation sans caractère se nommant agora ou forum.

En résultent les banlieues, les « Bannies du lieu ». Barres et tours concentrent des espaces monofonctionnels, stigmatisant les habitants mis au ban. Le logement social est devenu un lieu d'expérimentation architecturale qui perpétue le projet des modernistes du siècle dernier avec des objets de plus en plus incongrus, aux formes improbables et hasardeuses, posés comme des bibelots sur une étagère. Ils procèdent d'un vandalisme de l'espace public auquel plus personne ne comprend rien. Ce sont des objets du passé, de l'ancien monde, d'un mouvement qui s'essouffle par la misère de sa production. Les plans « banlieue » se succèdent sans jamais aborder le sujet de l'architecture et ses relations avec la ville.

Donner forme et dignité aux banlieues

Le succès croissant des « projets urbanistes » qui réinventent la ville avec ses espaces connus (la rue, l'îlot, la place) est un espoir réel. Ni copie ni pastiche, ce sont des créations conçues en harmonie avec les typologies locales, les matériaux régionaux. Elles se réfèrent aux villes qui ont fait leurs preuves. Elles permettent aux « banlieues » de sortir de leurs carcans, de se doter d'un vrai centre-ville et d'une autonomie culturelle, économique et sociale organisée au niveau local.

L'objectif est de leur donner forme et dignité. Certaines villes ont totalement changé de paysage. Cité dortoir il y a à peine trente ans, Le Plessis Robinson est aujourd'hui une ville très attractive. D'autres villes s'engagent dans cette même voie, le Blanc Mesnil, Montfermeil, l'Haÿ-les-Roses ou encore Villeneuve-Saint-Georges. Beaucoup d'entre elles avaient été en 2005 le théâtre de violences urbaines. Aujourd'hui, leurs maires lancent des projets de reconquête qui mettent en lumière le rôle politique essentiel de l'élu local.

Habiter et vivre dans une ville décente

En 1973, le Prix Nobel de Médecine Konrad Lorenz analysait dans son livre Les huit péchés capitaux de notre civilisation la construction des banlieues. Il indiquait que si l'on compare la coupe histologique dans une tumeur maligne à un plan de banlieue on y trouve d'étonnantes analogies... A la lumière de ces propos, la démolition ou la transformation des banlieues appelées de façon usurpée cités ou quartiers, doit être une priorité de façon à effacer d'une façon ou d'une autre ce qui fut une erreur urbanistique.

Quelle que soit sa condition, chaque citoyen doit pouvoir habiter et vivre dans une ville décente sans discrimination sociale. Au moment où s'ouvre le débat sur les banlieues et le logement, il faut rappeler l'importance essentielle du cadre de vie. L'architecture urbaniste est aux avant-postes pour transformer en profondeur ces « bannies du lieu », pour qu'elles deviennent de réelles cités et des quartiers de ville et permettre ainsi que s'exerce le droit à la ville pour tous.

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Commentaires 6
à écrit le 17/07/2018 à 15:33
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Pour bien connaître les cités construites dans les années '70, je constate plusieurs gros problèmes : 1- une taille compliquant la "gouvernance bénévole" par les habitants : dans un petit immeuble, tout le monde "se connaît". Il est difficile de pas...

à écrit le 06/07/2018 à 6:11
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Ou habite t-il ce couple tres BC-BG ? Dans le 2, 5, 6 eme de Paris ? Qu'ils aillent conter leur philo aux exclus du 93 et autres.

à écrit le 05/07/2018 à 21:03
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les villes pour etre attractives refont de l'haussmanien, c'est à dire du classique. Le Corbusier et Nouvel ont été des architectes délinquants

à écrit le 05/07/2018 à 17:49
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C'est le même procéder d'explication qui ont amené les fameuses villes modernes qui ont donné malgré tout leurs défauts un vrai confort aux populations de l'après guerre, mais il tellement plus confortable et rationnel d'expliquer la décrépitudes act...

à écrit le 05/07/2018 à 17:48
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C'est le même procéder d'explication qui ont amené les fameuses villes modernes qui ont donné malgré tout leurs défauts un vrai confort aux populations de l'après guerre, mais il tellement plus confortable et rationnel d'expliquer la décrépitudes act...

à écrit le 05/07/2018 à 16:55
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Excellente idée que de faire témoigner des architectes qui, quand on voit l'état de nos villes et de nos campagnes, on peut bien se demander s'ils existent réellement, trop peu de décideurs faisant appel à eux. Par ailleurs une institution d'arch...

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