Pour un syndicat des Freelancers

[Rencontres économiques d'Aix] Comme chaque année, le Cercle des Economistes donne la parole aux étudiants. Cette année, le concours portait sur le thème « Imaginez votre travail demain ! ». Voici la copie de Léa Nora, Sciences Po Paris, 18 ans.

Métro, boulot, dodo. Chômage. Stress. Salaires. Pression. Compétition. Compétitivité. Productivité. Efficacité. Flexibilité. Du matin au soir, nous entendons ces mots. Ils nous évoquent le travail ou plutôt le monde qui l'entoure : le marché du travail. De plus en plus, nous avons l'impression que le travail est lié aux notions de pénibilité, de fatigue. Penchons- nous juste un instant sur l'étymologie du mot. Le mot « travail » vient du latin tripalium, « instrument de torture ». Le travail serait donc la torture ?

Pour une jeune étudiante comme moi, travail rime avant tout avec opportunité et défi. Je n'ai que 18 ans et il me reste encore plusieurs années avant de finir mes études. J'ai encore le temps de penser à ce que je pourrai faire plus tard. C'est un âge où l'on peut rêver, avoir de l'ambition et des aspirations. Pour ceux déjà entrés depuis longtemps dans la vie active, le mot travail n'aura sans doute pas la même dimension. Pourtant, s'il y a bien une chose à laquelle je crois, c'est que l'on peut être heureux en travaillant. L'étymologie nous induirait donc peut-être finalement en erreur, c'est en tout cas à espérer pour l'avenir du travail.

Lorsque j'imagine mon travail de demain, plusieurs choses me viennent à l'esprit. Je pense tout d'abord à un travail plus social et éloigné des grands discours axés sur la performance toujours plus importante des salariés.

Comme le disait Albert Jacquard, « L'oisiveté est, dit-on, la mère de tous les vices, mais l'excès de travail est le père de toutes les soumissions ».

Ne devenons pas soumis au travail, ce serait une régression de notre civilisation. Il doit être vu, au contraire, comme un moyen d'émancipation et d'affirmation de soi-même. Le travail peut contribuer à notre bonheur, mais pas n'importe quel travail, ou plutôt pas le travail dans n'importes quelles conditions. Comme le dit sagement Candide à la fin du conte de Voltaire, « il faut cultiver notre jardin ». En cultivant son jardin, métaphore du travail, il est possible d'atteindre une forme de bonheur et de s'éloigner de la pénibilité de notre quotidien. Mais qu'en est-il lorsque le travail ne nous permet pas, ou plutôt ne nous permet plus, d'éloigner de nous les maux du quotidien ? Pour répondre à cette question, il est normal que notre société évolue en proposant de nouveaux modes de travail, en rapport avec nos besoins.

Pour se plaindre de son travail, encore faut-il en avoir un. Le premier problème qui se pose est donc celui de la recherche d'emploi. Le marché du travail d'aujourd'hui semble totalement opaque et pas assez flexible. L'un des premiers points sur lequel il convient de se pencher est donc celui de la transparence sur le marché du travail.

La courbe de Beveridge pose clairement le problème de l'appariement sur le marché du travail. Des agences d'aide à la recherche d'emploi existent. Certains domaines sont demandeurs d'employés, mais il existe une asymétrie informationnelle trop importante qu'il faut à tout prix corriger. Pôle emploi est aujourd'hui décrié : pas assez de conseillers pour faire face à « l'armée industrielle de réserve » (les chômeurs) selon la formule de Marx, un suivi inefficace pour la plupart. Ne serait-il pas temps, à l'ère du numérique, de prendre cette problématique de transparence et d'information du marché à bras-le-corps ? Une immense base de données à l'échelle nationale dans un premier temps, puis même européenne, devrait être créée. Cette plateforme numérique serait le lieu principal de rencontre entre employé et employeur. Au lieu d'envoyer des dizaines de CV par jour, les personnes recherchant un emploi n'auraient qu'à créer un seul et unique dossier qui serait transmis aux entreprises du secteur concerné. Du côté des entreprises, il leur serait possible, via ce site, de poster toutes leurs annonces d'emploi en spécifiant les profils recherchés.

Lorsqu'on a trouvé un emploi stable, d'autres problèmes nous touchent. Se pose le problème de la considération de l'employé au sein de l'entreprise. La structure hiérarchique actuelle au sein des lieux de travail est étouffante et les salariés ne se sentent pas considérés à leur juste valeur. C'est en réponse à ce problème que de nouvelles entreprises ont vu le jour, ce sont les entreprises libérées. Ces dernières années, de nombreuses entreprises ont mis en place de nouvelles organisations du travail, dans le but souvent de redresser leur bilan financier sur la mauvaise pente. L'entreprise de biscuits Poult (Montauban), le groupe Chrono Flex à Nantes, ou encore Favi en Picardie en sont des exemples. Ces entreprises ont en commun d'être « libérées », autrement dit les salariés y sont libres et responsables d'entreprendre toutes les actions qu'ils estiment les meilleures pour la compagnie. L'organisation traditionnelle pyramidale du monde du travail n'est plus aussi pertinente qu'elle ne l'était et des transformations sont donc visibles chaque jour pour mettre fin à ce cadre hiérarchique et rigide par excellence.

Les entreprises libérées ont largement montré leur efficacité ces dernières années. La communication avec la hiérarchie se fait plus facilement et les employés se sentent valorisés puisqu'ils ont la liberté d'apporter leur contribution personnelle à la société pour laquelle ils travaillent. Les décisions concernant le fonctionnement interne de la compagnie sont souvent prises par les employés eux-mêmes, constitués en petits groupes, qui réfléchissent ensemble à une amélioration permanente de leur cadre de travail. Ces entreprises libérées semblent être les firmes du futur et elles enregistrent une croissance insolente. Les salariés sont plus efficaces lorsqu'ils disposent de plus de liberté dans la façon de gérer leur travail et qu'ils sont moins contrôlés.

Généraliser ce principe à toutes les entreprises n'est pas toujours possible et ne se fait pas forcément facilement. Cependant, au vu des performances et de la compétitivité de ces organisations, l'entreprise libérée pourrait bien être le futur du monde du travail. Le travail de demain devrait se faire dans ces mêmes conditions de confiance et de valorisation des employés qui ne peuvent ainsi que mieux contribuer à la réussite de leur boîte.

La considération au sein de son lieu de travail est une chose. L'organisation de son temps de travail en est une autre. Nous aspirons de plus en plus à organiser notre temps de travail comme nous le souhaitons et à pouvoir se défaire des horaires contraignants. En conséquence, de nouvelles formes de formes de travail se développent au sein des entreprises comme le télétravail. De nombreux débats animent cette question. Au sens de l'article 46 de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à l'allègement des démarches administratives, il s'agit d'une « forme d'organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l'employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon régulière et volontaire en utilisant les technologies de l'information et de la communication dans le cadre d'un contrat de travail ou d'un avenant à celui-ci ». Doit-il être généralisé dans les secteurs où cela est possible ? Ne serait-ce pas une perte d'efficacité pour les entreprises ? Comment contrôler que les salariés effectuent leur travail ?

Le télétravail semble être un bon moyen de concilier vie privée et vie professionnelle, temps de travail et temps « social ». Plus généralement, cela nous amène à nous interroger sur la place que le travail doit avoir dans notre vie. Pour les salariés ayant des enfants notamment, le télétravail est une réelle opportunité. Il permet de travailler depuis chez soi et d'avoir ainsi plus de temps pour sa vie de famille, tout en travaillant au moment où on le souhaite. Le télétravail se fait sur la base du volontariat, les salariés préférant travailler au bureau en ont donc la possibilité.

Il existe, au dire des salariés, des désavantages au télétravail. Dans cette configuration, le salarié doit en effet être disponible les soirs et les weekends, alors même que le but recherché est un gain de temps au profit de sa vie personnelle et de ses loisirs. Reste à savoir à quel point les entreprises jouent le jeu du respect du temps de repos de leurs employés, en leur faisant confiance sur la gestion de leur temps de travail.

Pour l'entreprise, le télétravail permet une optimisation de l'espace au sein des bureaux, une diminution des frais de transport et, de façon plus générale, des coûts de fonctionnement de l'entreprise. L'idée est de ne plus définir le travail en termes d'horaires, mais plutôt en termes d'objectifs pour les salariés. Le télétravail semble de plus en plus envisagé puisqu'il a fait l'objet d'un accord national interprofessionnel (ANI), négocié par plusieurs partenaires sociaux en juillet 2005. Il est également entré dans le Code du travail en mars 2012.

Pour un monde du travail de demain plus compétitif et plus respectueux de l'articulation des temps « sociaux » et des temps de travail, le télétravail paraît être une solution à étudier de plus près, voire même à développer et adapter aux besoins de chaque entreprise dans les années à venir. Allant encore plus loin que le télétravail, certaines formes de travail s'affranchissent totalement du cadre de l'entreprise. C'est le cas du freelance et de l'entreprenariat qui permettent une nouvelle forme d'individualité du travail.

Ces deux systèmes se sont développés de plus en plus ces dernières années. L'avènement du numérique fournit d'avantage de possibilités aux personnes souhaitant devenir freelancer ou autoentrepreneur. Le salariat perd de sa superbe, et en particulier pour les nouvelles générations qui ne se voient pas forcément passer leur vie clouées à un bureau, alors que le numérique permet tant de créativité, d'innovation. Cependant, il existe aujourd'hui clairement une inadéquation entre nos institutions et ces formes d'emploi modernes, appelées à se développer de plus en plus et à concurrencer le salariat. Selon l'experte en technologies Carlota Perez, les économies ne parvenant pas à mettre en place des institutions adaptées aux nouvelles formes d'emploi sont vouées à l'échec et ne pourront pas créer d'emplois massivement. Dans le cas des freelancers se pose la question de l'institution de la sécurité sociale. Il n'existe pas aujourd'hui en France de sécurité sociale pour les freelancers. Cela a deux conséquences majeures : tout d'abord, de nombreux salariés qui auraient souhaité se lancer dans l'auto-entreprenariat ou le freelance n'osent pas, préférant la sécurité que leur procure le salariat en termes de sécurité sociale. Ensuite, les freelancers sont exposés à de nombreux risques (ne pas pouvoir se loger car ils ne disposent pas forcément de fiches de paie régulières, etc.) et s'en trouvent ainsi restreints dans leur travail au quotidien.

Aux États-Unis pourtant, face à la vague grandissante de freelancers, Sarah Horowitz a créé un syndicat qui leur est dédié, appelé « Freelancers Union » et chargé de défendre leurs droits sur le marché du travail, mais également de leur procurer une assurance maladie. C'est un modèle que la France devrait suivre. Le travail de demain, quelle que soit la forme qu'il puisse prendre, ne doit pas perdre sa dimension sociale.

Nous avons étudié jusqu'à maintenant les formes du travail et leurs mutations actuelles. Toutefois, il serait incomplet d'aborder les problématiques de ce sujet à notre époque sans les lier à celles de l'environnement. Nous sommes aujourd'hui en 2015 et depuis plusieurs années, nous avons tous pris conscience des dangers qui menacent notre planète. L'un des grands travers du capitalisme est sans aucun doute d'avoir puisé de manière bien trop importante dans nos ressources et d'avoir détruit toute une partie de l'environnement par là même occasion. Mais à l'heure de la prise de conscience, les problématiques liées à l'énergie et au monde du travail doivent absolument être prises en compte.

La transition énergétique est une piste primordiale. L'idée est de changer progressivement notre système énergétique actuel, basé principalement sur des ressources fossiles, pour aller vers un système et un bouquet d'énergies renouvelables. Cette transition est nécessaire et plus nous la retardons, plus il sera difficile d'y parvenir. Elle représente aux yeux des gouvernements des contraintes en termes de coûts et provoquera forcément du mécontentement auprès des entreprises utilisant les énergies actuelles (pétrole, charbon...). Mais c'est précisément dans de tels moments qu'un gouvernement doit savoir faire preuve de courage et avoir une vision de long terme pour son pays et, plus globalement, pour le monde. Il est vrai que la transition énergétique pourrait mettre fin à des milliers d'emplois en détruisant de nombreux secteurs, notamment dans le domaine industriel.

Cette transition est avant tout une opportunité pour l'économie. Elle permet le développement de nouveaux secteurs d'activité, de nouvelles technologies et de nouvelles entreprises désireuses d'investir dans une énergie propre et durable. Ce chantier vers une économie plus verte se traduira de facto par des créations d'emplois en quantité importante. Après tout, la transition énergétique peut être le début d'un nouveau cycle économique. Il s'agit d'une « destruction créatrice » d'emplois. Si les conséquences de la transition énergétique sont positives sur le long terme, se pose tout de même la question du rôle de l'Etat et des partenaires sociaux pour accompagner ces mutations en douceur. Cette transition est nécessaire, mais pour ne pas qu'elle se fasse dans une douleur trop importante, il revient aux partenaires sociaux et à l'Etat d'accompagner les entreprises en difficulté, voire de subventionner dans un premier temps ces énergies vertes pour permettre peu à peu leur démocratisation. Il sera du rôle des syndicats, main dans la main avec l'État, de proposer par ailleurs des formations adaptées aux salariés afin qu'ils puissent retrouver un emploi, soit dans les nouveaux secteurs créés, soit dans d'autres secteurs de l'économie toujours compétitifs.

Je m'adresse pour finir à l'ensemble des dirigeants politiques et économiques. Jeunes étudiants que nous sommes, nous avons envie de croire en l'avenir, de penser qu'à notre tour, nous pourrons avoir un travail que nous aimons et dans lequel nous nous épanouissons. Est-ce une utopie ? Peut-être. Mais ne pas y croire, ce serait baisser les bras trop facilement en prenant comme prétexte l'ampleur du chantier qui nous attend. Nous devons croire au travail de demain, en particulier à une époque où tous les progrès semblent permis. Comme le dit la maxime, Labor omnia vincit improbus, c'est-à-dire « un travail acharné vient à bout de tout ». Il est donc grand temps de suivre cet enseignement et de nous mettre au travail pour que notre travail de demain soit celui auquel nous rêvons, celui auquel nous aspirons tous.

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