Pourquoi certains réfugiés deviennent-ils des entrepreneurs à succès, et d'autres non  ?

OPINION. Comment expliquer le succès que rencontrent les entreprises créées par des réfugiés, qui ont tout laissé derrière eux (relations humaines comprises) et disposent de compétences parfois inadaptées aux pays d'accueil ? Nous avons exploré leurs façons spécifiques d'aborder le processus entrepreneurial. Par Yi Dragon Jiang, Caroline Straub, Kim Klyver et René Mauer (*)
(Crédits : JON NAZCA)

« Narenj », ou « orange » en Arabe, est le nom que Nabil Attar a donné au restaurant qu'il a ouvert à Orléans en 2018. Ingénieur de formation, il a fui la guerre en Syrie avec sa famille jusqu'à arriver en France, où le statut de réfugié leur a été accordé. Désormais propriétaire d'un restaurant prospère, Attar est devenu la figure emblématique du « réfugié devenu entrepreneur » pour le HCR (Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés). Comment a-t-il fait ? La réponse tient dans une combinaison de plusieurs facteurs : sa passion pour la cuisine, le réseau qu'il s'est construit grâce au Refugee Food Festival et sa volonté de se construire une nouvelle vie.

Ces facteurs, qui peuvent être identifiés de façon formelle comme les « connaissances » (cuisine), la « motivation » (volonté de repartir de zéro) et les « réseaux sociaux », sont précisément ceux que nous explorons dans notre étude sur les réfugiés entrepreneurs. Pourquoi cette recherche ? L'entrepreneuriat n'est peut-être pas pour tout le monde, mais il représente indubitablement un enjeu crucial pour l'intégration dans le marché du travail des millions de réfugiés dans le monde (26 fin 2020).

L'entrepreneuriat après un traumatisme

La littérature académique postule qu'au fil de la vie et des expériences, les entrepreneurs accumulent des capacités cognitives (imagination, connaissances, motivation) et développent des réseaux sociaux en continu, qu'ils peuvent ensuite exploiter pour produire des opportunités. Des évènements de vie tels que le décès d'un proche ou le risque de violences, sont toutefois susceptibles de perturber leur parcours entrepreneurial. En raison de ce type d'évènements perturbateurs survenus dans leur pays d'origine, les réfugiés se lancent dans l'aventure de la création d'entreprise sans bénéficier de l'avantage de connaître le marché local. En outre, ils peuvent se retrouver isolés si leur maîtrise de la langue est limitée.

Et pourtant, nombreux sont ceux qui parviennent à créer des entreprises prospères. Même dans des environnements extrêmes tels que le camp de Zaatari, en Jordanie, les réfugiés ont créé plus de 3.000 startups officieuses qui génèrent 13 millions de dollars par mois.

Les quatre modèles d'entrepreneuriat chez les réfugiés

Nous avons tenté de comprendre comment ils pouvaient devenir entrepreneurs malgré de telles perturbations, identifiant quatre modèles qui indiquent la probabilité qu'un entrepreneur passe d'une étape à la suivante, la séquence d'actions qui l'amène à progresser entre ces différentes étapes, et la continuité du processus :

  • Blocage au niveau de la conceptualisation

Certains participants ont imaginé de multiples idées d'opportunités mais n'ont pas entrepris beaucoup d'actions pour leur donner vie. Par exemple, un Syrien avait imaginé une puce de traduction et d'encaissement automatique pour les chariots de supermarché, mais il a abandonné cette idée faute d'avoir trouvé un conseiller et un investisseur.

  • Focalisation et manque d'itération

Dans ce second groupe, les participants avaient un petit nombre d'idées bien définies et ont suivi un processus essentiellement linéaire et fixe, de la conceptualisation à la concrétisation puis à la mise en œuvre. Ils n'ont pas essayé de revenir à une étape antérieure pour améliorer la viabilité de leurs idées.

  • Précipitation et retour à l'itération

Ces participants sont passés directement de l'idée à la mise en œuvre avant de revenir en arrière pour conceptualiser. C'est ce qui s'est produit, par exemple, pour une femme qui dirigeait autrefois une société de négoce en Syrie et qui a essayé de reproduire son succès en Suisse, à l'aide de ses anciens contacts syriens et avant d'avoir acquis une compréhension du marché local.

  • Mise en œuvre après des itérations préalables

Ces entrepreneurs ont fait plusieurs allers-retours entre les phases de conceptualisation et de concrétisation avant de s'arrêter sur une idée précise et de la mettre en œuvre. Ils sont ensuite restés concentrés sur cette phase jusqu'à ce que l'opportunité se soit transformée en un produit testé sur le marché.

La clé du succès : l'insertion dans le pays d'accueil

Pourquoi observe-t-on de telles différences entre ces modèles ? Nous avons découvert que le degré « d'insertion » de l'entrepreneur dans le pays d'accueil, par rapport à son pays d'origine, joue un rôle dans l'adéquation de ses capacités cognitives et dans son utilisation des réseaux. Par insertion, nous entendons la mesure dans laquelle l'individu s'ancre dans les normes culturelles d'un pays, ses valeurs et ses règles sociales. Ce concept est étroitement lié à la perception de la temporalité.

Dans le cadre du processus de formation d'opportunités, les entrepreneurs qui ont suivi les modèles 1 et 3 disposaient d'un accès rapide à des ressources et des contacts, ce qui leur a permis d'avoir des idées rapidement, mais ce n'était pas suffisant pour générer des opportunités utiles dans le contexte de leur pays d'accueil. Ces entrepreneurs étaient coincés dans le passé et avaient hâte de pouvoir rentrer en Syrie lorsque la situation serait redevenue stable.

Les entrepreneurs qui ont suivi le deuxième modèle, quant à eux, étaient bien insérés dans les deux pays, ce qui leur a permis de progresser. Toutefois, ils étaient déchirés entre le passé et le présent et la combinaison des informations obtenues auprès de leurs réseaux, dans leur pays d'origine et dans leur pays d'accueil, a finalement troublé le processus de prise de décision.

Enfin, les entrepreneurs qui ont suivi le quatrième modèle étaient plutôt bien insérés dans le pays d'accueil. Ils travaillaient sur des idées d'opportunités adaptées à leur nouveau contexte et exploitaient des contacts locaux. Attar illustre bien ceci car il a su, dans son restaurant, adapter sa cuisine syrienne aux palais français.

En conclusion, nos découvertes peuvent être utiles pour les réfugiés et les programmes d'assistance de l'Union Européenne. Les réfugiés doivent se concentrer sur l'obtention d'informations cohérentes sur les pays d'accueil, afin de pouvoir développer de nouvelles connaissances sur ce qu'ils peuvent faire dans ce nouveau contexte, et comment. Former les entrepreneurs aux compétences sociales et aux stratégies de développement de réseau, par exemple, serait bénéfique. Enfin, notre contribution sur l'importance de la temporalité s'applique également aux entrepreneurs non réfugiés qui font face à d'autres situations de perturbation, telle que la crise de la Covid.

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(*) Par Yi Dragon Jiang est professeur associé en entrepreneuriat à ESCP Business School. Elle s'intéresse aux défis rencontrés par les équipes au cours des processus de création de nouvelles entreprises, et le comportement des entrepreneurs en situation d'incertitude ; Caroline Straub est professeur de gestion des ressources humaines et de comportement organisationnel à la Haute école spécialisée bernoise ; Kim Klyver est professeur en entrepreneuriat à la University of Southern Denmark, ainsi que professeur adjoint à la University of Adelaide et chercheur invité à la Stockholm School in Economics et René Mauer est professeur d'entrepreneuriat et d'innovation à ESCP Business School (campus de Berlin).

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Commentaire 1
à écrit le 05/10/2021 à 23:18
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Ceci est un article à convaincre l’opinion public d’ accepter les réfugiés des pays en guerre . Combien de % réussissent et combien de % font des infractions qui mettent la vie d’ autrui en danger ?

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