Pourquoi il est encore trop tôt pour condamner la direction de Danone

OPINION. La création ex-nihilo d'un nouveau modèle de croissance demande l'abnégation des investisseurs et la patience des observateurs. Surtout en période de crise mondiale. Par Noel Labelle, consultant, expert en information économique.
Emmanuel Faber.
Emmanuel Faber. (Crédits : Reuters)

Danone traverse une période agitée. Alors que le fleuron de l'agroalimentaire français doit faire face à la crise économique et sanitaire, sa direction apparaît sous la pression constante de fonds activistes depuis l'annonce, en novembre dernier, d'une série de mesures drastiques, destinées à maintenir la compétitivité du groupe.

Pour rappel, le PDG Emmanuel Faber a affiché dans ce plan un objectif de croissance des ventes de 3% à 5% à moyen terme, tout en évoquant une ambition de marge opérationnelle, comprise entre 15% et 20%. Un premier palier a même été fixé pour 2022, avec le passage de la barre des 15%.

En clair, Danone a promis de se restructurer, une telle augmentation de la la marge opérationnelle (MOP) ne pouvant se faire sans douleur.

Créer de la valeur en la partageant avec tous

La nouvelle a choqué les observateurs car elle semble en totale contradiction avec les objectifs « sociaux, sociétaux et environnementaux» introduits dans les statuts de l'entreprise en juin dernier, après un plébiscite des actionnaires. Le groupe était alors devenu la première société française cotée à se doter du statut d'«entreprise à mission», comme le permet la loi Pacte. Elle tranche également avec le projet porté par Emmanuel Faber de transformer Danone en une «B. Corp». Cette certification, délivrée à quelque 3.500 sociétés dans le monde par un organisme américain, traduit la volonté de l'entreprise de créer de la valeur en la partageant avec tous, notamment ses salariés. Difficilement compatible, dans l'opinion publique, avec une restructuration à grande échelle.

Pour rajouter à l'ambiance, ont été rendues publiques les pressions sur le groupe de la part de fonds activistes, le britannique Bluebell Capital Partners et l'américain Artisan Partners. Dans une lettre adressée le 19 novembre 2020 aux administrateurs, Bluebell Capital (dont la participation au capital de Danone n'est pas précisée) critique fermement la performance boursière de la société sous la mandature actuelle et demande la tête d'Emmanuel Faber.

Cette information porte un éclairage ambigu sur les turpitudes du groupe depuis l'automne. La présentation du plan d'adaptation stratégique le 23 novembre, soit quatre jours après la rédaction de la lettre de Bluebell, apparaît dès lors comme une riposte directe à cette offensive, esquissant ainsi la caricature d'Emmanuel Faber en homme sans convictions, prêt à renoncer à ses engagements humanistes aux premières pressions venues du monde la finance. Qu'importe que ce soit fondé, seule compte l'image du moment...

dias : l'impossibilité de commenter le long terme

La politique éditoriale de l'instantané s'est imposée comme norme dans les médias, tous devenus «permanents». Cette exigeante périodicité n'offre malheureusement plus les perspectives nécessaires pour appréhender une action au long cours. Malgré les apparences, les choix portés par la direction de Danone ne cherchent à répondre ni aux modes sociétales du moment, ni aux injonctions immédiates des actionnaires. Ils tentent de trouver la stabilité nécessaire pour pérenniser une activité dans un environnement particulièrement incertain.

L'évolution du cours de la valeur Danone sur les vingt dernières années permet de comprendre pourquoi un changement radical de modèle s'imposait et pourquoi les décisions prises ne sont pas une simple réaction hâtive à la lettre de Bluebell Capital.

Emmanuel Faber a opté pour des choix innovants et forts. Personne ne sait encore s'il a raison mais tous peuvent comprendre que les ajustements seront nécessaires. Parce qu'un plan doit toujours s'adapter aux réalités. En période de crise mondiale, la création ex-nihilo d'un nouveau modèle de croissance requiert plus que jamais l'abnégation des investisseurs et demande la patience des observateurs.

En intervenant sur une autre échelle de temps, les fonds activistes et les médias faussent cette perception. Quitte à berner la part influençable des investisseurs, à déformer les angles jusqu'aux attaques personnelles, ou à faire le jeu de prédateurs financiers, pour qui la déstabilisation s'avère toujours rentable.

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