Pourquoi l'ENA reste indispensable

Non, il ne faut pas fermer l'ENA, et les arguments en faveur de cette réforme radicale ne tiennent pas la route. Par Nathalie Loiseau, directrice de l'ENA

La Tribune a publié récemment un texte signé de Bertrand Venard, Professeur de Stratégie chez Audencia Nantes Ecole de Management intitulé : « Une vraie réforme de l'ENA : sa fermeture ». Ce texte appelle de ma part les commentaires suivants :
J'ai le plus grand respect pour le savoir et en particulier pour celui des professeurs d'université à une seule réserve près : qu'ils connaissent le sujet sur lequel ils s'expriment et qu'ils ne s'aventurent qu'avec prudence en dehors de leur champ de compétence. Ce n'est malheureusement pas ce qui ressort du texte que vous avez publié.

Jugements hâtifs

Monsieur Venard évoque en effet de façon péremptoire une école qu'il ne connait pas mais qu'il critique sur la base de données erronées et de jugements hâtifs. Quelques exemples :
- L'auteur méconnait les réformes entreprises depuis trois ans à l'ENA et reproduit au présent des critiques qui n'ont plus lieu d'être. Il affirme ainsi, en s'appuyant sur un ancien rapport de jury, que le recrutement des élèves de l'école se ferait sans aucune consigne sur les compétences et les qualités attendues des futurs serviteurs de l'État. Or depuis trois ans, les jurys s'appuient au contraire sur un référentiel de compétences qui comporte quatre grands domaines (éthique, compétences liées à l'action, à la relation, à l'intelligence des situations) et qui sont décrites notamment dans le rapport du jury des concours 2013. Le rapport étant accessible sur le site internet de l'ENA, il est dommage que Monsieur Venard ne s'y soit pas référé.

- L'auteur, pourtant professeur de management, a une lecture très personnelle du budget de l'ENA. Il déduit en effet du budget global de l'école (42 M€ en 2014) ce qu'il pense être le coût unitaire d'un élève (265 000€ par an, en effet un record !). Ce faisant il omet les missions exercées par l'ENA au-delà de la formation initiale des hauts fonctionnaires français, qui sont nombreuses : rémunération des stagiaires des cycles préparatoires, missions de coopération internationale, formations de cadres et d'élèves français et étrangers aux questions européennes et préparation aux concours européens, formation continue de hauts fonctionnaires français et étrangers....L'ENA ne se résume pas à deux promotions annuelles d'élèves hauts-fonctionnaires.

Éviter la sélection par l'argent

S'agissant de ces derniers, outre le fait qu'à la différence des universités, l'école supporte intégralement le coût de ses concours d'entrée, on notera également qu'elle rémunère ses élèves, contre leur engagement à servir deux ans dans la Fonction publique d'Etat, mais aussi qu'elle les envoie en stage une année durant, partout à travers le territoire ainsi qu'à l'étranger. Si Monsieur Venard souhaite connaitre le coût annuel d'un élève de l'ENA, il lui suffit de se référer à la loi de finances qui le mentionne. Il est d'environ 80 000 euros. A la différence des écoles de commerce par exemple, ni l'inscription au concours, ni la scolarité, ni les stages ne sont payants pour les élèves, ce qui évite toute sélection par l'argent.

Des différences sensibles avec les universités américaines

C'est aussi l'un des points qui différencie l'ENA d'une université comme Harvard et sa célèbre Kennedy School of Government, où les droits d'inscription pour une seule année universitaire atteignent 49 000 dollars. On ajoutera en outre que l'ENA et les universités américaines peuvent difficilement se comparer en termes de formation à l'administration publique, puisque le système des dépouilles américain repose sur le renouvellement de toute la haute administration à chaque changement de majorité, là où la France a fait le choix d'une haute fonction publique spécifiquement formée aux métiers qu'elle est appelée à exercer et tenue à un devoir de neutralité.

L'absence de cors enseignant?

Monsieur Venard s'émeut par ailleurs de l'absence de corps enseignant permanent à l'ENA et en tire la conclusion que l'école serait inférieure aux établissements d'enseignement supérieur que lui-même fréquente. Ce faisant, il méconnait deux réalités:
- La première s'appuie sur le profil des élèves de l'ENA : tous rejoignent l'école après un minimum de 5 ans d'études supérieures, parfois beaucoup plus. Ils ont donc bénéficié des enseignements les plus stimulants. Leurs connaissances et leurs capacités à apprendre ne font aucun doute et sont testées au moment du concours d'entrée.
- L'ENA est une école d'application où des praticiens en prise avec le réel et le terrain viennent partager avec les élèves leur savoir-faire, leur expérience et leur réflexion.

Contrairement aux établissements dotés d'un corps professoral permanent, l'école peut à tout moment choisir les enseignants les plus à jour, les plus adaptés aux besoins et les plus ouverts à l'innovation. Et contrairement aux universités, qui y sont résolument hostiles, les intervenants sont tous évalués par les élèves, ce qui permet à l'école d'assurer en permanence l'excellence de son vivier d'enseignants. Il n'y a de ce fait aucune situation de rente pour celui ou celle qui enseigne à l'ENA...

S'agissant de la démocratisation de l'entrée à l'ENA, je partage le constat d'une représentativité insuffisante de la société française. Mais est-ce l'apanage de la seule ENA, si l'on constate que seuls 23% des jeunes d'une même classe d'âge obtiennent une licence et que le vivier de candidats dans lequel nous puisons (bac + 5) n'est déjà lui-même que très peu représentatif de la diversité sociale ? Si notre système éducatif a pris la forme d'un entonnoir, n'est-ce pas en amont qu'il faut concentrer nos efforts plutôt que de s'étonner hypocritement de la sélection sociale et culturelle qu'il produit ? C'est d'ailleurs la conclusion à laquelle Monsieur Venard aboutit lui-même.

Le modèle français salué

C'est sur la base de ces constats erronés, de ces informations incomplètes que l'auteur conclut à la nécessité de fermer l'ENA, au moment même où, partout à travers le monde, la question de la qualité du recrutement et de la formation des hauts fonctionnaires fait débat et où le modèle français est salué comme l'un des plus convaincants.
Mais sans doute aurait-il fallu s'intéresser au sujet autrement que de manière superficielle et à l'emporte pièces pour en avoir la plus petite idée.


Nathalie LOISEAU

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Commentaires 19
à écrit le 18/06/2016 à 18:17
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Ce qui me surprend souvent dans les réactions, c'est leur grande médiocrité. Une volonté de dénigrer sans argumenter, qui relève de la brève de comptoir. On peut ne pas être d'accord avec la directrice de l'ENA, mais force est de reconnaître qu'elle ...

à écrit le 22/11/2015 à 16:43
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le plus grave n'est pas là, le plus important n'est pas le cout d'un élève ou leur sélection sociale mais bien l'idée qu'une école pour les hauts cadres de l'Etat ne pouvait plus produire que des hommes et des femmes hautement conformistes, tristemen...

à écrit le 20/11/2015 à 16:13
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Cette dame devrait savoir qu'Audencia est une école de commerce. Donc elle commet une erreur en disant que c'est un universitaire qui a fait l'étude.

à écrit le 20/11/2015 à 14:49
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L'ENA ne forme pas des administrateurs, mais des spécialistes des relations publiques. D'où la mauvaise qualité des responsables publics qui en sont issus. D'ailleurs elle ne forme quasiment pas, se contentant de piloter un concours calqué sur l'ens...

à écrit le 20/11/2015 à 14:08
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La directrice de l'ENA qui défend l'ENA. Bon, comme elle est aussi issue de Sciences Po, on aura bientôt un article à la gloire de cette école. Ceci s'appelle un publi-reportage comme pour les voitures ou l'immobilier...

à écrit le 20/11/2015 à 13:43
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L'ENA est LE symbole du déclin économique et de l'écroulement total des valeurs sociétales de la France, symbole de la naissance de la catégorie des travailleurs pauvres, symbole de l’épanchement massif de la misère qui débouche sur l'autre épancheme...

à écrit le 20/11/2015 à 13:41
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"Éthique, comportements liés à l'action, à la relation et à l'intelligence des situations" ! Et le sens de l'intérêt général ou est il ? la richesse culturelle, où est elle demandé ? C'est avec ces manques flagrants que ces énarques rentrent avec 300...

à écrit le 20/11/2015 à 12:48
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Ducat, phidias et les autres .... En accablant les énarques de tous les maux de notre pays vous oubliez ou vous ignorez que cela est principalement la faute des politiques qui ont abdiqué depuis longtemps ce pourquoi ils sont élus : la défense de l'i...

à écrit le 20/11/2015 à 12:14
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Rien ni personne n'est indispensable ici. Quand une école, ENA soit elle, coûte un bras aux contribuables, pour qu'ensuite ils repaient une seconde fois, voire plus, pour réparer les erreurs commises par les énarques en place, mieux vaut la fermer (...

à écrit le 20/11/2015 à 11:44
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C'est sur elle n'allait pas dire le contraire. Normalement on ne scie pas la branche sur laquelle on est assis.

à écrit le 20/11/2015 à 11:39
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Un plaidoyer pour soi, qui n'étonnera personne. L'Ena n'était pas, en soi, une mauvaise idée : Former des fonctionnaires au service de l'Etat. Le problème est que les élèves ont rapidement compris qu'il était plus lucratif et plus intéressant de se f...

à écrit le 20/11/2015 à 10:14
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La directrice de l'ENA est inaudible, non crédible, uniquement imprégnée de la culture arriérée erronée obsolète de l'ENA. Les Français constatent chaque jour, durant ces 20 dernières années, les dégâts engendrés par les stupidités des diplômés de...

à écrit le 20/11/2015 à 9:11
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L'Ena est une fabrique d'apparatchiks, et la France est le dernier pays soviétique de la planète. Cette dame ne peut pas s'en rendre compte : elle à l'intérieur du système.

à écrit le 20/11/2015 à 9:11
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Ce n'est pas tant l'existence que la gestion de l'ENA qui est en cause. Outre son coût, je prendrai un seul exemple : il m'a été impossible de charger le formulaire d'inscription et la seule réponse que j'ai eu de la responsable du service est que ce...

à écrit le 20/11/2015 à 7:56
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Très bel article d énarques !!! Utilisation des chiffres car toutes les écoles ont des actions exterieur et tentative de nous expliquer que oui mais non ils ont changé (depuis miterand où on voulait la fermer on nous raconte la même histoire ) L E...

le 20/11/2015 à 9:42
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Revoyez votre orthographe , je ne suis pas fonctionnaire mais travailleur indépendant et j'arrive à faire la distinction entre une entreprise et une administration publique , les deux ont un but différent , la première de dégager des profits ,la sec...

à écrit le 20/11/2015 à 7:43
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L'ena est une caste, dans un système de castes propre aux élites, qui se cooptent, se couvrent, s'arrogent autant de privilèges qu'ils le peuvent. Ce n'est pas propre à cette fabrique à hauts fonctionnaires, imbus d'eux mêmes, maladivement carriéris...

le 20/11/2015 à 9:46
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Tout à fait d accord , il s agit d une caste

le 20/11/2015 à 9:50
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Précision important ;l'actuelle directrice de l'ENA n'est pas énarque !! "système de castes" Je pars de l'idée que notre classe dirigeante est composée de hauts fonctionnaires, de politiques, et du monde des affaires .Maintenant si vous regardez leu...

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