Pourquoi les États-Unis font chuter délibérément le prix du pétrole

La Tribune publie chaque jour des extraits issus des analyses diffusées sur Xerfi Canal. Aujourd'hui, pourquoi les États-Unis font chuter délibérément le prix du pétrole
Olivier Passet, directeur des synthèses économiques de Xerfi. / DR

N'étant pas spécialiste du prix du pétrole, je vais m'autoriser ici une hypothèse iconoclaste. Pour avoir participé par le passé à des travaux de prospective, je me souviens du temps très peu lointain où les spécialistes débattaient avec passion des prix du pétrole. Ils n'étaient pas tous d'accord, sinon ce ne seraient pas des spécialistes, sur l'hypothèse où le timing du peack oil, moment où les possibilités d'extension de l'offre buteraient sur la finitude des ressources accessibles pour un coût et une technologie raisonnables. Mais cette rigidité programmée de l'offre, face à la montée des émergents énergivores ne pouvait que provoquer à moyen terme une montée inexorable des prix vers des sommets, 100, 200, voire 250 dollars le baril.

Dans l'autre camps, il y avait les techno-optimistes, persuadés que le peak de demande devancerait le peak d'offre, et que la montée des prix au voisinage de 100, qualifierait toute une série d'énergies de substitutions, moins rentables, mais renouvelables, et que ce déplacement de la demande tuerait dans l'œuf le scénario du peak oil, stabilisant les prix. Ce qui est certain, c'est que la réalité a pris à contre-pieds tous ces raisonnements et que personne n'a vu venir ce qui se dessine aujourd'hui : un effondrement du prix du pétrole, sans véritable changement de la structure de la demande, et avant même que des énergies de substitution rentables ne fasse irruption sur le marché.

Les explications a posteriori foisonnent !

Ralentissement des émergents, irruption des pétroles et gaz non conventionnels, stratégie délibérée des Etats-Unis de fragiliser leurs principaux concurrents, dont la Russie, l'Arabie Saoudite, le Venezuela  et l'Iran etc. Si l'on ajoute à cela les phénomènes d'amplification liés aux jeux spéculatifs des Hedge funds,  on parvient assez aisément à rationaliser l'impensable, il y a encore quelques années, pour ne pas dire trimestres. Mais lorsque l'on observe la stratégie américaine délibérée de déstabiliser les prix, notamment les décisions récentes de rallonger la durée de vie des centrales nucléaires, de mettre en vente une partie de leurs réserves stratégiques (5 à 10 millions de barils par an), d'autoriser les exportations de pétrole, on peut se demander d'où vient ce zèle à asphyxier l'offre ?

Et c'est là que j'aimerais émettre une hypothèse qui va au-delà des arguments géostratégiques habituels. Et si les États-Unis tuaient volontairement la poule aux œufs d'or noir empoisonné et qu'ils jouaient volontairement le coup d'après. Que signifierait en effet pour l'économie américaine de se cramponner à leur place de leader dans une vieille énergie fossile, vouée tôt ou tard au déclin et d'optimiser leur rente pétrolière, conventionnelle et non conventionnelle :

  • 1/ Ce serait entériner une dynamique, où la hausse des prix du pétrole, au lieu de qualifier les énergies renouvelables, ne fait que flécher les investissements (y compris la R et D) vers les sources non conventionnelles incompatibles avec les objectifs de réduction des gaz à effets de serre.
  • 2/ Ce serait exposer l'économie américaine à un syndrome de la maladie hollandaise, où la rente énergétique freinerait la relève industrielle sur de nouvelles positions d'avenir.
  • 3/ Ce serait continuer à armer les fonds souverains du Golf, qui luttent contre leur propre syndrome hollandais en phagocytant le capital déjà installé dans les pays avancées.
  • 4/ Ces serait offrir un nouvel espace de jeu spéculatif pour la liquidité mondiale.

Saper le prix des énergies carbonées et casser leur rentabilité devient ainsi, à l'encontre de tous les raisonnements qui avaient cours jusqu'ici, le meilleur aiguillon pour orienter la R et D vers les énergies nouvelles, vers lesquelles s'engagent dès à présent la moitié des nouveaux investissements. Et lorsque l'on sait à quel point les États-Unis ont l'obsession du leadership dans les domaines d'avenir, la clé de la stratégie américaine est peut-être à rechercher de ce côté. Fidèles à leur ligne de conduite industrielle, first mover takes all, il n'est pas exclu que ce que les Américains recherchent avant tout, c'est d'assoir leur leadership sur les énergies de demain et de ne pas se laisser piéger dans l'économie d'hier, avec beaucoup plus de coûts à terme, que d'avantages.

>> Plus de vidéos sur le site Xerfi Canal, le médiateur du monde économique

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Commentaires 18
à écrit le 18/02/2016 à 19:03
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Article de France 24: "L'Arabie saoudite et la Russie, le deux premiers producteurs de brut au monde, ont discuté du prix du pétrole à Doha, en compagnie du ministre qatari de l'Énergie et de leur homologue venezuelien. Ensemble, ils ont décidé de g...

à écrit le 15/02/2016 à 12:25
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Analyse partielle Oui, les green tech américains bénéficient de la situation; mais, non, les Etats Unis ne sont pas les organisateurs de la baisse des prix du pétrole. Article plus complet sur le sujet ici : http://ecometropolitaine.blog.lemonde....

à écrit le 14/02/2016 à 20:08
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Travaillant à Houston , je peux vous dire que le prix d'extraction est $5 le baril alors il y a encore de la large .... Renseignez vous un peu !!

le 14/02/2016 à 23:10
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Super, instruisez-nous donc. Expliquez-nous pourquoi de major du schiste comme Chesapeake Energy aperdu 90% de sa valorisation boursiere et pourquoi on en est a +- 25M$ de dette irrecouvrable dans le petrole de schiset ?

à écrit le 14/02/2016 à 18:56
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Vous avez peut-être raison,les US sont largement le premier producteur mondial et il ne semble pas que la baisse du baril les affecte beaucoup. Les producteurs de charbon sont en déroute ou sous le parapluie de la loi sur les faillites mais cela est ...

à écrit le 14/02/2016 à 16:17
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L'art de déséquilibrer ce qui est stable pour mieux dominer une situation incontrôlé!

à écrit le 11/02/2016 à 18:42
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@Onze 11/02/2016 11:30 Comme vous le soulignez, les EU n'ont aucune influence sur les cours du pétrole. La production aux EU n'a baissé que de 0.4 mbbl/pj en 2015. De nombreux puits ont été fermés et pour les puits restants, la production a probabl...

à écrit le 11/02/2016 à 13:19
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La chute des prix du pétrole ne peut pas être une stratégie économique made un USA a la fin d'un mandat présidentiel de Barack d'autant que les lobbys petrole US ont trop investi pour se prêter a une manoeuvre geo politique qui leur coûterait cher ....

le 11/02/2016 à 14:56
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Il est risqué d'imaginer une intelligence désintéressée ou de longue vue dans les décision politiques, académiques ou administratives, comme dans les réactions des acteurs de marchés. Les évènement géopolitqiues récents, hors Chine, Russie et Iran, m...

à écrit le 11/02/2016 à 12:25
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La chute des prix est due dans un premier temps aux US par leur production nouvelle avec la fracturation hydraulique. Cela pour soutenir leur mode de vie énergivore qui demande un baril moins cher avec un plancher à 70$ le baril qui est le coût d'ext...

à écrit le 11/02/2016 à 11:30
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Les Etats-Unis n'ont qu'une faible influence sur les cours du pétrole. Les principaux producteurs sont L'Arabie, les émirats du Golfe, le Venezuela et bientôt l'Iran, plus la Russie pour le gaz. De plus, la baisse des cours est une très mauvaise nouv...

le 11/02/2016 à 13:29
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Les US sont les 1er producteurs de petrole!!!

le 11/02/2016 à 16:10
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@ sim. Ils sont 2èmes, derrière l'Arabie séoudite. Mais vous avez raison, j'aurais du écrire "exportateurs" au lieu de "producteurs". Le poids de l'industrie pétrolière américaine ne fait d'ailleurs que confirmer qu'ils n'ont aucun intérêt à faire ba...

à écrit le 10/02/2016 à 10:15
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Pas faux ! Après avoir imposé le libéralisme au reste du monde, les USA sont en fait de fervents interventionnistes... C'est ça leur vrai longueur d'avance, des joueurs de poker avec des as dans les manches.

le 10/02/2016 à 19:04
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Imposé le libéralisme... On accepte le libéralisme depuis des années, l'économie est mondiale depuis des années. Cf par exemple la crise de 1929 presque 90 ans !!!

le 11/02/2016 à 14:22
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Il ne faut pas confondre économie mondiale et mondialisation. Les échanges internationaux existent depuis la nuit des temps. La mondialisation est une absence de barrières douanières, et une liberté absolue de circulation des capitaux. Pour résumé, c...

à écrit le 10/02/2016 à 9:52
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ca vise surtout a vider les caisses de poutine qui prend double peine; moins de rentrees d'argent et comme l'economie en depend, devaluation du rouble de 50% pour le reste si les americains etaient les champions du vert, ca se saurait

le 10/02/2016 à 12:19
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@Churchill: tout à fait d'accord ! et la baisse des prix vise aussi à ramener dans le rang les pays d'Amérique latine qui ont réussi à se débarrasser de leurs dictateurs imposés par les Américains dans les années 70. En cas de conflit, on voit bien q...

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