Pré-enquêtes de concurrence préliminaires à gogo sur l’IA générative : que lui reproche-ton (déjà) ?

ANALYSE. C’est au tour de l’autorité de concurrence française de lancer une enquête sur l’intelligence artificielle, et cela après les États-Unis, la Commission européenne et la Grande-Bretagne. Comme pour toutes les autres enquêtes, il s’agit d’éviter le fait accompli : voir les mastodontes de la high tech, Microsoft, Google et Amazon préempter le marché de l’intelligence artificielle générative avant que les législations appropriées ne soient mises en place. Par François-Valéry Lecomte, (CEO Belfius Asset Management), et Charles Cuvelliez, Université de Bruxelles, Ecole Polytechnique de Bruxelles et Belfius Banque
(Crédits : Reuters)

Les USA ont ainsi lancé une pré-enquête ciblée contre Microsoft, Amazon et Google qui avaient pris des participations dans deux sociétés emblématiques de l'AI générative :  Open AI (ChatGPT) et Anthropic. En filigrane c'est notamment la force de frappe dans le cloud des trois premiers qui offre un avantage concurrentiel irrattrapable qui est visée.

Dans le questionnaire qui soutient sa propre pré-enquête, l'autorité de la concurrence française prend plus de hauteur : au-delà d'une grande puissance de calcul et de l'accès à de gros volumes de données pour entraîner les modèles, y a-t-il d'autres éléments qui brideront ou brident déjà la concurrence ? Il peut s'agir de compétences ou d'infrastructures spécifiques, voire de certaines certifications.

Cette puissance de calcul peut-elle se trouver en interne (à quel coût et quel délai) dans l'entreprise ou seul le cloud, qui fournit tant de la capacité de calcul que de stockage,  peut la lui fournir. S'oriente-t-on vers un modèle open source ou propriétaire pour les ressources utiles à l'IA générative, qu'il s'agisse du stockage, des bases de données vectorielles ou des fameuses cartes GPU qui ont fait rentrer NVIDIA dans le club très fermé des big techs ?

L'autorité de concurrence sous-entend ici qu'on devrait pouvoir avoir ses données dans un cloud, mais les exploiter par IA via un fournisseur qui n'a aucun lien avec le cloud ? D'accord, mais il faut pour cela que les données soient accessibles par un tiers et qu'elles ne soient pas sous un format propriétaire, un problème qui n'est pas neuf avec les clouds (portabilité entre cloud).

Les données, le Graal ou pas ?

Parlons-en des données : les modèles d'IA générative peuvent-ils se contenter de données publiques ou non, et de quel type : texte, image ou plus sophistiqué encore : vidéos et enregistrements sonores. Si les données et les modèles d'IA sont en accès libre (on imagine parce qu'imposé par la régulation), est-ce de nature à réduire d'éventuelles barrières à l'entrée ?

Les entreprises interrogées dans la pré-enquête sont aussi amenées à se prononcer sur les contraintes que font peser certaines catégories de données sur l'entrainement des modèles d'IA. C'est le cas des données personnelles ou liées à la santé. Par nature, ces données ne peuvent être partagées, et donnent donc un avantage concurrentiel à son propriétaire pour développer des modèles d'IA adaptés.

Paradoxalement, dans ce cas, la légitime protection des données peut permettre à ses propriétaires de développer sans concurrence une nouvelle position dominante dans un marché adjacent.

Les compétences techniques....

Les compétences techniques peuvent aussi faire l'objet d'un monopole : les acteurs actuels de l'IA ont-ils des arguments cachés ou des atouts qui les feront toujours attirer des spécialistes ? On imagine ici un environnement attirant et émulant ou des salaires mirobolants. Peut-être y a-t-il dans leurs contrats une clause de non-concurrence qui empêcherait ces spécialistes de travailler pour les concurrents.

S'il y a bien des prises de participation de grands acteurs sur des startups de l'IA, aucune n'atteint les seuils de contrôle de concentration. Faut-il alors revoir les règles qui régissent l'intervention des autorités de concurrence nationale ou européenne ? Il est vrai que contrairement aux secteurs plus traditionnels, que les législateurs avaient en tête lorsqu'ils ont structuré la plupart des législations sur la concurrence, les secteurs du digital et de l'AI fonctionnent très différemment. Les positions dominantes ne s'établissent plus à coup de méga fusions, mais par la mise sous contrôle d'éléments clés de l'écosystème, et cela souvent avec un coup d'avance sur le législateur.

Est-ce donc à dire cette IA a une nature innovante différente par rapport aux autres innovations du numérique. L'IA Act aura-t-il un impact sur le fonctionnement concurrentiel du marché. Qu'en est-il aussi du Digital Market Act ?

L'enquête de la Commission européenne

L'enquête de la Commission européenne pose en substance les mêmes questions, mais souffle moins les réponses. La Commission a pensé à quelques questions originales tout de même. Elle se demande comment l'IA générative sera monétisée ou dans quelle mesure l'IA générative basée sur l'open source est déjà en concurrence avec l'IA générative propriétaire (aux mains des Big Techs). Elle demande aussi quel est le raisonnement, la raison pour un big tech d'investir dans une startup d'IA. Enfin, elle se pose aussi la question de savoir si le cadre réglementaire du droit de la concurrence de l'union européenne reste utile dans le cadre de l'IA générative ?

Ces enquêtes montrent en tout cas que les autorités de concurrence ne veulent plus se faire avoir et laisser les big techs déjà si ultradominants prendre en otage l'IA générative qui pourraient justement les bousculer dans leur monopole.

Au passage, les autorités fiscales peuvent également réfléchir à l'impact de l'intelligence générative. Dans la mesure où c'est un substitut au travail, ne s'agit-il pas dans ce cas de travail ? Et si oui, comment et où le taxer ? Bref, l'intelligence artificielle n'en a pas fini de nous faire réfléchir... Et on se réjouit que les autorités de la concurrence prennent le sujet à bras le corps.

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Commentaire 1
à écrit le 12/02/2024 à 15:19
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Laissez l'IA faire sa propre enquête; elle vous sortira un résultat indiscutable !;-)

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