RATP : un nouveau Président pour renouer avec les valeurs du service public

OPINION. La nomination de Jean Castex à la présidence de la RATP doit pouvoir être interprétée comme un signal positif. Par Pascal Auzannet, Consultant en stratégie des mobilités (*)
(Crédits : GONZALO FUENTES)

En confiant les rênes de l'entreprise publique, acteur majeur des déplacements dans le périmètre de la Métropole du Grand Paris (3,3 milliards de voyageurs annuel, 206 km de métro, 117 km de tramways, 4 700 bus) à un ancien Premier ministre, l'État stratège est-il de retour ? La question mérite d'être posée tant les enjeux sont immenses : la réussite de Jeux olympiques et paralympiques de 2024 (infrastructures de transports nouvelles, organisations des déplacements, sécurité...), l'urgence climatique, le développement des réseaux, l'ouverture de la concurrence des transports franciliens, notamment.

Alors que l'implication de l'Autorité organisatrice des mobilités, Île-de-France Mobilités (IDFM) a permis de très substantielles améliorations dans de nombreux domaines dont la modernisation et l'extension des réseaux (renouvellements des matériels roulants, bus, RER, Transilien, RER), la décarbonation (nouveaux bus propres...), la digitalisation de la billettique, la qualité de service grâce à des contrats plus contraignants avec les exploitants, d'importantes fragilités incombant à la RATP ont récemment été identifiées. La forte dégradation du réseau de bus en est le principal exemple.

Le réseau d'autobus à Paris et en proche couronne (3,5 millions de voyages quotidiens) s'est fortement dégradé consécutivement à un fort malaise social constaté sur la dernière période. Ainsi, faute de conducteurs, 26% de l'offre bus n'est pas réalisée, alors que pour les concurrents de la RATP, ce chiffre se situe entre 5 et 10%.

À ce constat, se rajoute une forte irrégularité et des vitesses commerciales très faibles. La vitesse des bus tant à Paris qu'en petite couronne n'a cessé de baisser depuis une vingtaine d'années : 9-10 km/h à Paris contre en 13-14 km/h en 2000 ; 14-15 km/h en proche couronne comparé à 18 km/h en 2000 (moyenne sur les réseaux publics en France : 17,6 km/h ; source : étude open data DG consulting). Cette aggravation est paradoxale compte tenu de la baisse du trafic automobile constaté : réduction de moitié à Paris depuis la fin des années 1990. Sur le territoire de la métropole, la baisse a été de 25 % entre 2001 et 2018. Il résulte de ce contexte un coût de congestion élevé (il faut davantage de conducteurs, de matériels roulants, de consommation d'énergie) estimé à 300 millions d'euros par an, supporté intégralement par le contribuable.

Cette faible vitesse commerciale, l'irrégularité et de fait la dégradation des conditions de transport affecte l'attractivité du bus et constitue une explication de la baisse de trafic constatée malgré des renforcements d'offres : entre 2008 et 2019, le trafic des bus à Paris a baissé de 13,8 % (donc avant effet Covid-19). Chiffre qui s'est malheureusement aggravé : -27 % depuis 2019 pour Paris et la proche couronne.

Il y a donc un travail à engager afin d'identifier les causes de cette dégradation et les conditions d'un retour à une situation normale : évolution des sites propres bus, respect/verbalisation de ceux-ci, stationnement, gestion des travaux sur voirie, priorité aux feux et régulation des trafics, impact des zones 30 applicables aux bus. Force est de constater qu'actuellement ce problème pourtant bien identifié ne bénéficie d'aucun pilotage.

D'autres dysfonctionnements existent

Le rythme sur l'automatisation du métro parisien est trop faible et mérite d'être revu à la hausse. Les effets positifs en termes de fiabilité, de qualité de service, d'agilité d'exploitation en cas d'incident, d'ajustement de l'offre et de sécurité sont considérables. L'automatisation participe également à résoudre les problèmes de saturation constatés sur les réseaux depuis de nombreuses années. Certes, la ligne 4 sera prochainement automatique (mi 2023). Mais il aura fallu attendre plus de douze ans après l'automatisation de la ligne 1, alors que l'enjeu était de transposer une technologie déjà éprouvée. L'automatisation de la ligne 11 pourtant annoncée a été abandonnée. Celle de la ligne 13, particulièrement saturée aux heures de pointe et ceci depuis de nombreuses années est aujourd'hui envisagée ainsi que les lignes 7, 8 et 9. Mais aucun calendrier n'est stabilisé à ce jour.

En complément de l'intérêt technique et économique de l'automatisation du métro parisien, il convient d'anticiper l'arrivée du futur métro du Grand Paris Express qui sera intégralement automatique, avec du matériel neuf et des espaces de qualité bénéficiant de toutes les technologies du digital (réseau mobile cellulaire, wifi...) offrant aux voyageurs une très bonne qualité de service. D'où le risque d'une coexistence dans l'aire de la métropole du Grand Paris de deux réseaux de métros avec un kilométrage équivalent, mais à « deux vitesses » avec des niveaux de qualité de service très différents. Avec pour conséquence pour l'actuel métro parisien de paraître « dégradé ».

Dans le même temps, sous prétexte de la préparation de la concurrence (fin du monopole programmé : 2024 pour les bus, 2029 pour le tramway et 2039 pour le métro et le RER), la RATP s'est engagée dans une transformation radicale avec un nouveau langage anglo-saxon (Business Unit, Ebit...) dont l'unique motivation est la réduction des coûts et la rentabilité financière. Ceci alors qu'il est de notoriété que les transports urbains sont une activité à très faible rentabilité, leur développement reposant depuis la Loi d'Orientation des Transports Intérieur (1982) sur une démarche d'efficacité économique et sociale. Et ce qui se passe actuellement sur le réseau de surface constitue une alerte forte sur les conditions de cette préparation de la libération des transports et à terme sur les pertes de compétences et d'attractivité dont la région capitale a besoin pour son développement.

L'engagement de la RATP vers plus de performance (le meilleur service au meilleur coût) est évidemment nécessaire. Ce sera un objectif de son nouveau Président. Mais une des conditions de la réussite sera d'impliquer l'ensemble des salariés et de renouer avec ses valeurs de service public.

Par le passé, l'implication de la RATP dans l'organisation des transports franciliens a permis des avancées significatives et reconnues dans les domaines de l'innovation, de la politique de la ville, du dialogue social. Son rôle pour la définition du futur métro du Grand Paris à été majeur et l'État et l'Autorité Organisatrice ont ainsi bénéficié d'une expertise pertinente. Il est donc souhaitable que tous les atouts de l'entreprise soient ainsi mis, à nouveau, au service de l'intérêt général.

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(*) Pascal Auzannet est Consultant en stratégie des mobilités, Ancien directeur du développement et de l'action territorial puis des RER de la RATP, ancien président de RATP smart systems. Il est l'auteur du livre : Les secrets du Grand Paris, gouvernance, mobilité et révolution numérique (Ed : Hermann ; 2020).



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