Réforme de la protection sociale complémentaire : n’oublions pas Louvois !

Au moment où le ministère des armées va lancer la réforme de la protection sociale complémentaire (PSC), il faut avoir en tête le fiasco du système de paye des militaires Louvois. La complexité du système d'information à mettre en œuvre pour la PSC incite à bien se souvenir des enseignements de la crise Louvois pour ne pas réitérer les mêmes erreurs. Par Jean-Michel Palagos, ancien directeur des ressources humaines (DRH) du ministère de la défense, ancien directeur adjoint du cabinet du ministre de la Défense et ancien PDG de Défense Conseil International (DCI).
« On savait pourtant qu'un nouveau système d'information ne s'improvise pas et ne se décide pas pour de purs motifs dogmatiques » (Jean-Michel Palagos, ancien directeur des ressources humaines du ministère de la défense, ancien directeur adjoint du cabinet du ministre de la Défense et  ancien PDG de Défense Conseil International)
« On savait pourtant qu'un nouveau système d'information ne s'improvise pas et ne se décide pas pour de purs motifs dogmatiques » (Jean-Michel Palagos, ancien directeur des ressources humaines du ministère de la défense, ancien directeur adjoint du cabinet du ministre de la Défense et ancien PDG de Défense Conseil International) (Crédits : DR)

A partir de 2012, le ministère de la défense a connu un fiasco considérable avec l'échec d'un projet majeur dans le domaine des systèmes d'information : le système de paye Louvois. Il n'en sortira que progressivement à partir de 2014, en ayant recours à des cabinets de conseil extérieurs entrainants des surcoûts considérables. Le ministère n'a enfin résolu ses problèmes qu'au bout de plusieurs années.

Au moment où les administrations vont engager des réformes importantes, dans le domaine des systèmes d'information relatifs à leurs personnels, il faut avoir Louvois à l'esprit. C'est tout particulièrement le cas du ministère des armées qui s'engage dans un projet majeur, la protection sociale complémentaire de ses personnels civils et militaires, de leurs familles et de ses retraités. La maîtrise du système d'information qui supportera ce projet, tant sur le plan de la fiabilité que sur celui de la sécurité des données, est un enjeu qui devra se nourrir de l'expérience Louvois.

La protection sociale complémentaire (PSC) est une réforme qui vise, à partir de janvier 2025, à renforcer la couverture complémentaire des agents publics, en offrant une meilleure prise en charge des frais de santé non couverts par la sécurité sociale. Elle reposera sur un contrat collectif par administration, à adhésion obligatoire. Le prestataire choisi par appel d'offre devra être en mesure de gérer toutes les situations au moyen d'un système d'information complexe et fortement sécurisé.

Son succès, ou son échec, seront une référence pour les autres ministères qui devront à terme s'engager à leur tour dans des projet de protection sociale complémentaire de leurs personnels.

Louvois, un fiasco

On a pris conscience de l'échec de Louvois lorsque des épouses de militaires, dont certains étaient engagés en opérations en Afghanistan, sont venues à Paris pour expliquer qu'on ne les écoutait pas, que la solde de leur conjoint n'était plus versée, qu'elles se retrouvaient frappées par un interdit bancaire. Et dans certains cas, à l'inverse, des erreurs aboutissant à des trop versés, se traduisaient par des demandes de remboursement sans délai auprès des familles, ce qui les mettait dans une autre forme de difficultés.

Lorsqu'un problème de système d'information touche ainsi aux personnes, on a franchi la limite de l'acceptable. Ne l'oublions pas, veillons dans les administrations publiques à ce que ça ne se reproduise pas. De quoi s'agit-il ? Louvois, ou logiciel unique à vocation interarmées de la solde, était censé être un calculateur destiné à automatiser le système de paye de militaires. Ce fut donc un fiasco. Les militaires s'en souviennent.

Un nouveau système d'information ne s'improvise pas

Dans le livre « diriger en ère de rupture » [1], écrit avec Julia Maris, on se demandait : « comment un ministère aussi organisé que celui de la Défense a-t-il pu connaître un échec aussi lourd de conséquences que celui du logiciel de paye Louvois ? Comment une organisation aussi rodée aux procédures de planification que celle des armées a-t-elle pu faire preuve d'une telle imprévision, en n'anticipant pas les risques inhérents à un projet majeur dans le domaine des systèmes d'information ? » A l'analyse, il nous est apparu que l'approximation, mais aussi une forme de dogmatisme et l'incompréhension de la complexité des systèmes d'information relatifs à une population militaires aux multiples facettes ne pouvaient qu'aller au fiasco.

On savait pourtant qu'un nouveau système d'information ne s'improvise pas et ne se décide pas pour de purs motifs dogmatiques. Il ne suffit pas de vouloir simplifier, de vouloir unifier, de vouloir réduire les coûts pour que ça fonctionne. Dès 1998 le professeur en management Robert Bell [2] s'était intéressé aux « péchés capitaux de la haute technologie » en analysant les sept erreurs les plus souvent constatées : l'abolition des contrôles, la construction avant la conception, la mainmise des fournisseurs, le non-partage des risques dans les contrats, la technologie politicienne, la fraude et la compromission, le secret.

Que n'a-t-on suivi ces analyses. Il fallait aller vite, en croyant qu'on pouvait ainsi réduire les coûts, sans même être en capacité d'appréhender la complexité des différentes situations. C'est ainsi qu'on a drastiquement réduit les effectifs des centres des gestion de la paye (CTAC) perdant ainsi des compétences quasi impossibles à reconstituer lorsque l'échec de Louvois fut patent.

Rien n'est simple

Le principal enseignement à retenir pour l'avenir, s'agissant de projets de systèmes d'information touchant à l'humain, c'est que rien n'est simple.

Alors, avant de s'engager à l'avenir dans cette voie complexe de la refonte de systèmes d'information touchant aux personnes, il faudra vérifier si on a les bonnes compétences techniques, si on a bien défini ce qu'on veut faire, si on aura un mieux pour les individus concernés, si on aura une maîtrise suffisante de la sécurité des informations recueillies, et si le prestataire choisi a réellement la capacité de porter un tel projet. Il faudra avoir la force de de se protéger des intérêts dogmatiques toujours sous-jacents à tout projet de changement majeur.

N'oublions pas Louvois !

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[1] Diriger ne ère de rupture, Brouillard et solitude, aux éditions Hermann

[2] Robert Bell, les péchés capitaux de la haute technologie, aux éditions du Seuil

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Commentaires 5
à écrit le 28/02/2024 à 17:42
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"si on a bien défini ce qu'on veut faire" C'est le plus important car dans le cas contraire, les meilleurs techniciens du monde ne feront pas de miracle...

à écrit le 28/02/2024 à 14:08
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Certains disaient qu'il aurait fallu simplifier les choses avant de vouloir les 'Louvoyer'. 1200 types de primes différentes, en espérant que tout puisse se gérer sans ennui, c'est du rêve, sauf peut-être à y consacrer un effort énorme [plus que prév...

à écrit le 27/02/2024 à 16:34
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"La maîtrise du système d'information qui supportera ce projet, tant sur le plan de la fiabilité que sur celui de la sécurité des données, est un enjeu qui devra se nourrir de l'expérience Louvois." J'y crois pas une seconde à cette fameuse sécuri...

à écrit le 27/02/2024 à 8:37
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"une population militaires aux multiples facettes" Aspect oriented programing... Decorateurs non pour la légion d'honneur mais pour la gestion des exceptions... nombreuses

à écrit le 27/02/2024 à 8:25
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Quand les néolibéraux à savoir les actionnaires milliardaires et leurs larbins politiciens auront dépecés tous les services publics pour les donner à leurs copains oligarques qui casseront tout car les privatisations depuis 30 ans sont des échecs d'a...

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