Santé, mutuelles, que veulent vraiment les Français ?

La France a besoin de son système mutualiste, les candidats à la présidentielle vont finir par le comprendre. Par Jérôme Boucher, Directeur Général de France Mutuelle

L'un des avantages d'une campagne pour l'élection présidentielle, aussi agitée soit-elle, c'est qu'elle permet, au moins une fois tous les cinq ans, d'aborder de vrais sujets, ceux qui touchent au plus près les Français dans leur vie de tous les jours.

Parmi ces sujets vitaux, pas si nombreux que cela, figure bien évidemment la santé.

En la matière, au-delà des divergences politiques, il faut rappeler une vérité utile : en matière de santé, ce sont les Français qui paient l'intégralité des dépenses de santé !

  • Soit au travers des impôts et contributions sociales pour financer la sécurité sociale qui, à son tour, prendra en charge entre la moitié et les trois quarts de ces dépenses.
  • Soit via une contribution plus ou moins importante passant par les assureurs complémentaires : la mutuelle (comme il est de coutume de le dire !)
  • Soit directement du porte-monnaie pour payer ce qu'on appelle le « reste à charge ».

Pour les plus démunis, via les aides d'Etat financées par les impôts et taxes : CMU, ACS...

 Comment financer le système?

La question posée indirectement aux Français en matière de santé avec cette élection est simple : puisque c'est vous qui, in fine, allez tout payer, comment voulez-vous répartir ces trois compartiments ? Comment voulez-vous financer le système de santé ? Comment voulez-vous couvrir les coûts de structures, les coûts aléatoires des risques, les coûts des médicaments ?

Pour répondre à cette question, un petit rappel s'impose. Si les mutuelles existent dans ce paysage et sont même les plus anciens organismes complémentaires, c'est parce qu'elles ont vu le jour pour pallier les manques de prise en charge de l'État. Elles disposent en outre d'un grand avantage : les mutuelles sont des regroupements de personnes. Elles fonctionnent sur le principe de solidarité et de responsabilisation.

La fonction d'un assureur, c'est d'assurer toute forme de risque en dégageant une marge pour rétribuer les capitaux investis.

La fonction d'une institution de prévoyance (IP), autre acteur de ce système français de santé, né, lui, du monde paritaire, c'est celle d'assurer le risque collectif : les entreprises tant en prévoyance des risques plus ou moins lourds que la santé.

La fonction d'une mutuelle à la base, c'est de protéger la santé de la personne, de l'individu.

Ces trois acteurs sont donc à la fois différents et concurrents dans l'univers des assureurs complémentaires. Et cette concurrence a abouti avec le temps à une situation déséquilibrée. Les assureurs, qui doivent rémunérer du capital, se concentrent logiquement sur les risques les plus réduits donc les plus rentables, et en matière de santé notamment sur les personnes jeunes, en bonne santé, dotés de bons moyens qu'ils ciblent avec détermination.

Les IP, eux, en faisant jouer le paritarisme et l'influence des syndicats ont pris une place très significative sur le marché des entreprises que les dispositifs de désignation ont renforcées...

Il n'est plus resté aux mutuelles que de s'occuper du reste du marché à savoir les personnes isolées, les retraités, et celles en moins bonne santé ou en moins bonne santé financière.

Pour les mutuelles, une activité de moins en moins rentable

Leur activité est donc de moins en moins rentable d'autant que pour garantir la sécurité des opérations et leurs bonnes fins, les régulateurs européens ou français demandent des efforts accrus aux opérateurs assurantiels qui se traduisent par des coûts de mise en œuvre et des capitaux de plus en plus conséquents.

Nos décideurs ont donc choisi de faire bouger les choses dans la direction la plus habituelle pour eux, enseignée dans ces cénacles qui forment nos futures élites fonctionnaires, « big is beautiful ».

Une des traductions opérationnelles de ce fameux adage « je perds sur chaque client mais je me rattrape sur la totalité » ferait sourire jusque dans les cours d'école.

Ils ont donc encouragé sinon poussé à la fusion entre organismes de même genre, assureurs, institutions de prévoyance et mutuelles. Ainsi, en une dizaine d'années, nous sommes passés pour les mutuelles de près de 1500- ce qui était sans doute excessif - à moins de 200 aujourd'hui. Cette course à la taille devait aboutir à renforcer la solidité et la rentabilité du système et notamment du secteur mutualiste. L'essor du digital vient mettre du charbon dans la machine. Le numérique devrait permettre de réduire les effectifs, d'automatiser les process, de faire des gains de productivité.

Le digital ne fait pas tout

Sur le papier, tout cela est parfait. A un détail près qui fait la différence entre un plan et la vie réelle : où est l'humain dans tout ça ? La santé, c'est d'abord, et aussi à la fin, une personne, une personne qu'il faut soigner, protéger et aider à se protéger. En la matière, le digital ne fait pas tout, la taille ne fait pas tout. Il faut mettre un visage face à un autre visage. On peut imaginer tous les robots du monde mais la qualité de l'écoute, la perception des signaux faibles, l'empathie sont aussi des éléments clés d'un système de santé satisfaisant pour les Français...sauf à vouloir une société totalement déshumanisée ordonnancée autour de critères de sélection, ce que, je crois, personne de sensé ne souhaite.

Bien sûr, il faut des marges pour pouvoir financer un système à visage humain, il faut une gestion serrée, réduire le nombre de centres de gestion, adapter sa force commerciale à son marché, embaucher les profils et talents adaptés, se doter d'une informatique performante et évolutive.

Supplément d'âme

Dans les réflexions en cours des différents candidats à l'élection présidentielle, il est important de souligner que la France a besoin de son système mutualiste. Il lui apporte ce supplément d'âme qui était la volonté de ses pères fondateurs et que la logique administrative et comptable a fini par lentement éroder. Mais la préservation de cet esprit particulier au service des femmes et des hommes, et non de la simple rémunération du capital et du retour sur investissement, implique de lui conserver un visage humain. Qui peut croire que ce serait le cas demain avec un paysage limité à une petite dizaine d'acteurs mutualistes géants dans notre pays ? Qui peut penser qu'en comptant chacun des millions de clients, ils pourront leur délivrer un service personnalisé et non standardisé ? On ne s'occupe pas bien d'une vieille dame malade par téléphone en considérant que chaque seconde passée avec elle est une seconde perdue et que l'échange ne doit pas dépasser les deux minutes. Le mutualisme en santé, ce n'est pas cela. C'en est même l'inverse.

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