Taxe You Tube : quand on prête trop à la fiscalité

Pourquoi l'idée d'une taxe You Tube strictement française ne tient pas la route. Par Bruno Alomar, économiste*

La fiscalité est opiniâtre, c'est là son moindre défaut. C'est ainsi qu'il faut considérer, parmi les nombreux avatars liés au Projet de Loi de Finances rectificative 2016, la remise sur le métier de la fameuse taxe « You Tube ».

 Pour mémoire, cette taxe de 2% sur les revenus publicitaires des sites mettant à disposition des videos sur Internet avait été écartée une première fois il y a un mois, après des débats assez houleux. Le gouvernement avait en particulier souligné la faiblesse du rendement fiscal escompté (2 millions d'euros). Dans sa forme, elle présente des similitudes avec la taxe sur les revenus publicitaires proposée en 2010. Elle n'est pas sans lien avec les préconisations de la Mission d'expertise de la fiscalité du numérique de Collin et Colin (janvier 2013).

 Emblématique des limites de la fiscalité

Bien sûr, ses promoteurs assurent que ses défauts ont été corrigés, prenant en compte les critiques émises plus tôt dans le processus législatif. Ce projet de taxation est emblématique des limites que rencontre la matière fiscale, à plusieurs égards.

 Premièrement, il n'est pas inutile de s'interroger sur le principe même du recours à la taxe. Les parlementaires, toujours avides de mettre en œuvre le pouvoir normatif, sont systématiquement frappés d'un réflexe pavlovien qui les pousse à toujours tout fiscaliser. Est-il permis de rappeler ici que l'augmentation continue des prélèvements obligatoires dans notre pays a surtout eu pour effet de décourager l'initiative et, au final, de brider la croissance ?

 Un texte mal ficelé

Deuxièmement, la question, redoutable, de la complexité. Comme souvent, la mise en œuvre d'une telle taxe poserait une série de difficultés, dont ses promoteurs ne semblent pas - ou insuffisamment - conscients. Il s'agirait de traiter de la mise mise à disposition de vidéos au profit de personnes non assujetties à la TVA, établies ou ayant leur résidence habituelle en France. Un français à l'étranger visionnant des vidéos entrerait-il dans le champ de la taxe ? Un salarié visionnant une vidéo dans le cadre de son travail serait-il concerné ? De même, s'agissant des redevables, dans quelles conditions exactes ceux-ci seraient amenés à collecter et à reverser cette taxe lorsqu'ils ne sont pas établis en France ? Ce texte, mal ficelé, pose d'autres questions complexes, à telle enseigne que son principal effet, comme trop souvent, sera de faire les délices des fiscalistes. A moins que le simple affichage, puisqu'il est clairement question de taxer les grandes entreprises américaines du numérique, n'y suffise...

 Quelle coopération européenne

Troisièmement, un tel texte pose évidemment la question de la coopération au niveau européen. La Commission Juncker s'est donnée parmi ses dix priorités l'établissement du Digital Single Market (DSM). A ce titre, la Commission s'est lancée dans un vaste chantier, qui, s'il est loin d'être sans reproches, a pour principal intérêt de placer la régulation du numérique au niveau qui est le sien : celui de l'Europe. Il est évident que la multiplication des initiatives nationales du type taxe You tube joue clairement contre la constitution pourtant nécessaire d'une situation de concurrence homogène au niveau européen.

Plus largement, l'adoption d'une telle « taxe You Tube » (qui pourrait également s'appeler « taxe dailymotion ») doit être replacée dans le cadre plus général de l'état du secteur numérique en France et en Europe. En la matière, chacun convient que non seulement la France et l'Europe sont en retard, mais que ce retard est d'autant plus dangereux que le numérique innerve désormais tous les secteurs de la vie économique. Dans un tel contexte, il est urgent de repenser de manière globale les raisons pour lesquelles l'économie numérique a tant de mal à se développer sur notre sol et pourquoi, sauf rares exceptions, les inventeurs français et européens sont irrésistiblement attirés vers les Etats-Unis.

La mise en place de taxes unilatérales, uniquement appliquées par la France, n'aura que pour effet certain de brider cette l'initiative créatrice sur notre territoire, ou de l'évincer au profit de l'étranger. Les pouvoirs publics devraient, au contraire, se poser la question de favoriser l'émergence des géants numériques de demain, en prenant en compte l'ensemble des conditions qui déterminent l'attractivité d'un territoire et qui y favorisent l'initiative.

Bruno Alomar, économiste, enseigne l'économie et les institutions européennes à Sciences Po

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Commentaire 1
à écrit le 02/12/2016 à 10:56
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Alors qu'il serait tellement facile de leur faire payer les taxes et impôts dus mais bon comme on en fait cadeau à nos multinationales françaises on ne préfère pas trop mettre le doigt sur ce constat d'injustice fiscale flagrant. Démocratie ? DTC

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