Tête de Turc

SÉRIE D'ÉTÉ POLITIQUE-FICTION - ÉPISODE 7/8. Dans un "House of Cards", version Macron, La Tribune raconte cet été en huit épisodes sous la plume de Marc Endeweld (*), les secrets du quinquennat sous la forme d’un récit mêlant la fiction et la réalité pour montrer comment le président de la République, élu sur la volonté d’un renouvellement de la vie politique et d’un « dépassement » des clivages, se prépare malgré son impopularité à rééditer le « coup » de 2017 en étouffant à petit feu ses adversaires, droite, gauche et écolos... Aujourd’hui, Emmanuel Macron et Donald Trump comparent leur « État profond » lors d'une conversation.
(Crédits : dr La Tribune)

Si Emmanuel Macron est inquiet, ce n'est pas par rapport à la situation française. Durant son séjour au fort de Brégançon, le jeune président s'est surtout préoccupé des événements internationaux. Car ça pète de tous les côtés, même si les médias français en parlent finalement assez peu. Des sujets pas assez vendeurs pensent sûrement les patrons des chaînes dites « tout info ». Sauf quand le chef de l'Etat décide du jour au lendemain de se déplacer à Beyrouth après la terrible explosion : là, les images de sa visite tournent alors en boucle. « Avec ta chemise blanche, tu étais magnifique », lui a même assuré Brigitte après ce coup diplomatique.

C'est pourtant dans les coulisses que tout se joue. Au Liban, Macron était accompagné de deux proches connaissances : Samir Assaf, un haut cadre dirigeant du groupe HSBC, et Rodolphe Saadé, le PDG et directeur général de la compagnie maritime CMA CGM. Ces deux franco-libanais connaissent le chef de l'État depuis assez longtemps. Le premier a même organisé en septembre 2016 un dîner de fundraising à Londres pour sa future campagne présidentielle. Quant à CMA CGM, elle s'est alliée en février dernier au groupe MSC pour faire une offre au gouvernent libanais afin de reprendre la gestion du port de Beyrouth. Car c'est un site clé pour le réseau de transport mondial de conteneurs.

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Voilà pour le business. Pour l'heure, ce qui préoccupe le plus le président français, c'est son homologue turc qui multiplie les provocations en Méditerranée orientale et en Libye. Depuis que Macron a donné une interview à The Economist en novembre 2019, Erdogan est devenu l'ennemi public numéro 1 dans sa tête. « Pourquoi Donald Trump a laissé faire sur ce dossier le département d'Etat et le Pentagone ? » se demande chaque jour Macron. Une fois n'est pas coutume, le jeune président s'est laissé surprendre en pleine crise du Covid-19 : alors que toutes les télés du monde braquaient leur projecteur sur l'épidémie et la Chine, « l'Etat profond » américain décidait de jouer discrètement la carte turque contre les intérêts européens.

Quelques semaines plus tard, désormais installé au fort de Brégançon, Macron essaye d'interroger le président Trump lors d'un entretien téléphonique. Trump : « Manu, tu vois, moi, j'ai un vrai Etat profond contre moi. Toi, je me souviens que tu avais dénoncé l'été dernier l'Etat profond du Quai d'Orsay face à tes diplomates. Ces pauvres petites choses ! Je ne t'ai pas cru à l'époque, tu surjouais. Moi, j'ai vraiment des opposants au coeur du système. Et ces opposants ont décidé de me faire chier sur le moyen-Orient et la Libye. Désolé mon gars, mais j'avais d'autres chats à fouetter pendant ce temps là, et c'est vrai que j'ai laissé faire... Ils ont décidé de soutenir Erdogan et le gouvernement de Tripoli contre Haftar en Libye, et toi, eh bien, tu t'es retrouvé dans l'impasse ». Macron :  « Et ça continue Donald ! J'ai beau avoir remis plusieurs fois Erdogan à sa place, rien n'y fait. Comment tu ferais toi ? Comment tu vois les choses ? »

Trump : « Moi, je vois surtout un président qui n'a plus de stratégie. Et qui ne sait plus où donner de la tête. Mais surtout, je vois très bien pourquoi Erdogan te renvoie toujours dans la position d'un petit garçon. Car il a toutes les cartes pour se le permettre en plus ! Désolé Manu de te le dire aussi franchement, mais Erdogan a longtemps eu davantage de respect pour Tsipras que pour toi. Et après tu t'étonnes que vous n'arriviez pas à avoir l'avantage au sein même de l'OTAN... Laisse-moi rire. Mais je pense surtout que les services turcs et la CIA se connaissent très bien et se parlent, sans parler des Algériens ! ». Macron : « Que veux tu dire ? » Trump : « Tu le sais parfaitement ». Macron (sur la défensive) : « Non, non, je ne vois vraiment pas. Si tu préfères les insinuations, je préfère raccrocher et appeler Angela » Trump : « Ah non, pas elle, je la déteste. Les Allemands ont d'ailleurs appris à nous détester ces dernières années. Ils n'ont toujours pas digéré les écoutes de la NSA. Mais ils n'ont pas les couilles de mettre leurs forces dans la bataille, et de t'aider à constituer l'armée européenne de tes rêves... » Macron (soupirant) : « Je sais, je sais... » Trump (interrompant Macron) : « Bon, Manu, faut que je te laisse, CNN a encore fait un sujet sur moi. Ils parlent d'Epstein. Ils veulent vraiment ma mort, ils ont tous essayé, la Russie, et maintenant la pédophilie, incroyable ! Plutôt qu'Angela, tu devrais appeler ton nouvel ami Poutine. Lui, en vrai, c'est un chic type. Il joue carte sur table, à l'ancienne. Comme au bon vieux temps de la guerre froide... Le KGB, eux, ils savaient jouer à la loyale. Comme la mafia en Italie pendant la seconde guerre mondiale... Ils nous ont tant aidé ceux-là, on l'oublie toujours. Allez, Manu, bye bye ».

Décidément, le président Macron ne se fait toujours pas à ce Trump qui ose écourter les conversations sans y mettre plus de formes, le traitant finalement comme bien peu de choses. Quoi ? Lui, le président français ? Il imagine Mitterrand et Reagan, Mitterrand et Bush, Bush junior et Chirac. Ça, ça avait de la gueule. Sans parler de De Gaulle et Kennedy. Même quand Français et Américains se détestaient, il restait entre eux toujours la classe. Aujourd'hui, avec Trump, on se croirait au fast food de la diplomatie. « Et puis, comment Donald peut-il dire que je n'ai pas moi-même en France un Etat profond que je dois brider, remettre à sa place, si je veux faire avancer les dossiers tels que je les ai décidés ? » Macron n'a toujours pas digéré le clash qu'il a dû gérer au printemps dernier avec Jean-Yves Le Drian, son ministre des affaires étrangères. En plein mois de mai, la cellule diplomatique de l'Elysée avait pourtant fini de le convaincre de prendre ses distances avec le maréchal Haftar en Libye... alors même qu'il l'avait reçu à l'Elysée le 9 mars.

Mais durant plusieurs jours, Le Drian et ses équipes, fervents supporters d'Haftar, firent le siège de l'Elysée pour que le président revienne sur sa décision de lâcher le maréchal. La hache de guerre finit par être enterrée quelques jours avant le remaniement, au moment même où Trump reprend l'avantage face au Département d'Etat et au Pentagone sur les dossiers Erdogan et Libye. Macron peut de nouveau apparaître comme l'homme d'aucun clan, et se présenter au monde comme le grand médiateur. Enfin, le croit-il. En attendant, il doit de nouveau se coltiner la politique intérieure. Au moment du remaniement, il propose ainsi le poste du ministère de l'Intérieur à Le Drian. Mais celui-ci ose lui répondre par une fin de non recevoir : « Si je ne peux pas nommer mon propre directeur de cabinet, en l'occurence Cédric Lewandowski, qui m'avait accompagné, comme tu le sais, à la Défense durant tout le quinquennat Hollande, je préfère refuser. Je crois que tu le comprendras aisément ». Lewandowski, pour Macron, reste un épouvantail. L'homme qui a réussi à résister à Bercy et à Alexis Kohler quand il était le puissant directeur de cabinet à Brienne. « Voilà, ça, c'est l'Etat profond, n'est-ce pas ma chérie ? » Macron s'est en fait endormi sur sa table de travail, et il lance sa question en se réveillant. Il est pourtant seul dans son bureau du fort de Brégançon. À chacun ses obsessions.

>> Lire les épisodes précédents :

(*) Auteur de L'ambigu Monsieur Macron, puis de Le grand manipulateur, les réseaux secrets de Macron, Marc Endeweld tient depuis 2019 chaque semaine dans La Tribune une chronique Politiscope.

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Commentaire 1
à écrit le 28/08/2020 à 8:39
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POurtant John Bolton a écrit un bouquin contre TRump mais celui-ci n'a pas eu la publicité que je pensais qu'il aurait vu ne Trump bashing européen permanent sur notre continent, je ne comprenais pas pourquoi jusqu'à ce qu'un ami qui a lu ce bouquin ...

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