Tractations politiques et alliances électorales sont-elles éthiques ?

DECRYPTAGE. Les alliances stratégiques en politique sont perçues comme des manquements éthiques vis-à-vis des citoyens-électeurs, renforçant le sentiment de désaffection envers le politique. Par Caroline Gans Combe, OMNES Education
La nomination d'Elizabeth Borne, ministre du travail, le 16 mai 2022 comme première ministre alimente déjà les critiques à l'encontre du Président et des diverses stratégies électorales à l'approche du scrutin législatif.
La nomination d'Elizabeth Borne, ministre du travail, le 16 mai 2022 comme première ministre alimente déjà les critiques à l'encontre du Président et des diverses stratégies électorales à l'approche du scrutin législatif. (Crédits : POOL)

Depuis l'échéance présidentielle se joue un psychodrame aux mille visages qui pourrait faire sourire s'il n'était problématique : d'un côté les fuites répétées autour du remaniement qui a mis bien du temps à venir, d'investitures de proches collaborateurs du pouvoir, de l'autre la mise en œuvre à marche contrainte d'un accord électoral autour de la nouvelle union populaire devenue écologique et sociale.

Ces tractations (du latin tractatio, de tractate, traité), c'est-à-dire ces négociations pour aboutir à une entente dans le cadre du fait politique - donc relatives à l'organisation et l'exercice du pouvoir - paraissent faire abstraction du déléguant de ce pouvoir : le corps des citoyens. Celui-ci n'est considéré que du point de vue d'une unique logique : comment obtenir au maximum son assentiment à cet instant donné de messe électorale. Serions-nous alors dans une situation telle qu'évoquée par Spinoza ou « la paix et la liberté des citoyens » seraient en passe d'être violées par les pratiques d'une classe politique sensée porter leurs aspirations ?

Il parait opportun de s'interroger à l'heure ou la confiance en l'institution politique n'a jamais été aussi faible alors même que l'appétence pour la chose publique demeure portant forte dans notre pays.

La rupture éthique comme fondement de l'abstention ?

Au-delà des pantalonnades médiatiques et de leurs conséquences quant à l'existence d'une gauche de gouvernement au sens mitterrandien du terme - celle qui « s'attaque au réel en servant l'idéal (de modernité ») et ne recycle pas des révolutionnaires des années soixante ou des penseurs altermondialistes de la première décennie de notre siècle - ou le spectacle des déceptions, dissidences annoncées et actes de népotismes de ces derniers jours, se pose la très sérieuse question de la manipulation de l'offre politique et électorale, et ce faisant de l'éthique de telles pratiques.

Il y a ainsi une sorte de schizophrénie partagée par toutes les couleurs politiques à d'un côté s'inquiéter de l'abstention lors des phases de vote, et de l'autre à donner en spectacle des attitudes qui motivent cette même désaffection (autoritarisme, non-respect de la parole donnée notamment).

Et ce, d'autant plus que ces acteurs politiques ne peuvent ou ne veulent proposer d'autre réponse à cette problématique que la nécessité d'un changement de régime. Une posture à réfuter, car cela les dédouane en tant que corps social d'une quelconque responsabilité dans la montée de l'abstention.

Des exemples de « mauvaise foi »

En effet, à titre d'exemple, la sempiternelle référence à la loi électorale - et notamment la barrière des 12,5 % des inscrits pour être présent au second tour - comme justification aux tractations électorales semble un alibi de mauvaise foi pour au moins deux raisons.

Tout d'abord ce taux est récent. Il a été introduit par la loi du 19 juillet 1976 et ne constituait pas la volonté première du constitutionaliste qui s'était contenté en 1958 d'introduire un plancher de 5 % des suffrages exprimés.

De plus, s'agissant justement d'une loi, une autre aurait pu la défaire, ce qu'aucun député de quelque appartenance politique qu'il soit n'a proposé depuis un demi-siècle, y compris lorsqu'il a été réintroduit tel que en 1990 après l'épisode de proportionnelle partielle des années 80. Il y a pourtant, parmi les pourfendeurs du régime actuel, et nonobstant le renouvellement exceptionnel de 2017, certains qui étaient déjà en poste à l'époque.

Dans ce contexte, peut-on parler de rupture éthique ?

La pratique éthique appliquée au contexte politique

Avant d'aborder cette question, il convient peut-être de rapidement évoquer ce que devrait être l'offre politique et notamment la pratique éthique appliquée au contexte politiquePaul Ricœur tout comme John Rawls rappellent qu'une offre sur ce sujet se doit d'être juste et représenter l'ensemble des palettes de sensibilités dans lesquelles peuvent se reconnaître les citoyens. Ils insistent ainsi sur la nécessité de pluralisme.

En outre, cette représentation ne doit pas être fictive. Il ne s'agit pas ici de présenter les symboles d'une ouverture (un peu de diversité de genre, d'origine ethnique, de parcours professionnels...) comme autant de trophées, mais que les contenus du message porté soit en adéquation avec ces porteurs. La dichotomie d'un discours est toujours destructrice de confiance et vecteur de désengagement.

Il est aisé de constater que la situation actuelle est déficiente dans tous les domaines.

Pluralisme de façade ?

En effet, la mise en place factice de clauses de non-concurrence ou les sensibilités s'effacent au bénéfice d'une pseudo-efficacité électorale ou encore le maintien d'un pluralisme illusoire, pointillisme politique de façade porté par les micros partis devenus plus des leviers financiers que l'expression de différences notables, battent en brèche la visibilité des sensibilités diverses.

Ces derniers, comme Horizons ou encore Jeanne (proche de Marine Le Pen) occupent en effet la place que devraient prendre les nouveaux centres de décisions multiples. Comme ils ne portent pas une réelle diversité, ils ne permettent pas une approche différente des modes de gouvernements.

En cela, ils interdisent l'émergence d'un renouveau des mécanismes de gouvernances fondés notamment sur la pluralité des centre de décisions autrement dit d'un polycentrisme démocratique moderne.

De même, on observe une appétence à « la moisson » de figures sociales sensées devenir l'incarnation dans les organisations politiques - gouvernements ou comités de campagne - des attentes supposées des citoyens, exprimées par exemple, et pour le quinquennat qui nous occupe, lors de la convention citoyenne pour le climat ou le grand débat ?

Il est pourtant avéré que cette approche reste vaine tant que s'opposent ou se contredisent le programme de chaque parti et la présence de ces portes-drapeaux d'un nouveau genre : on ne citera à ce titre que l'épiphénomène de la réforme des retraites. Elle mène, là aussi, à la désaffection et, plus grave encore, montre à quel point le nouveau monde politique demeure hanté par l'ancien.

Mais au-delà de ce constat bien connu, la séquence présente risque finalement d'éloigner les citoyens plus dramatiquement encore de l'envie de vote tant elle apparaît comme contrainte : insensible dans l'attente forcée d'un côté, irascible dans l'urgence imposée de l'autre. Pourtant violence et urgence sont peut-être les moteurs de l'histoire au sens d'Eric Weil mais en aucun cas les piliers de la confrontation à la réalité de gouvernement : combien de projets ont été abandonnés une fois leurs hérauts aux affaires, à commencer par une certaine réforme électorale...

L'abstention, l'expression d'une crainte ?

Cette persistance d'une maltraitance des politiques entre eux - maltraitance programmatique, opérationnelle, parfois même verbale ou physique - marque l'électeur car elle est comprise comme la démonstration que cette attitude - une fois la phase électorale passée - pourra effectivement se retourner contre lui, réalisant ainsi le lien entre la maltraitance liée au manque de considération humaine et celle vécue dans la non-réalisation des promesses politiques.

Il y a de ce fait dans la désaffection actuelle à l'égard du vote, non un désintérêt mais un mélange d'effroi et de désespérance car son utilité dans un tel contexte n'est plus nécessairement perçue.

L'abstention serait alors l'expression d'une crainte à l'égard d'une grande partie du monde politique et non d'une absence d'adhésion à l'idéal de démocratie. Or, méta-analyses et scénarios d'acceptation et de confiance proposée par l'intelligence artificielle montrent que tout crédit alloué à une organisation politique s'effondre dès lors que les personnes qui la composent tentent des passages en force.

Les conservatismes « ilots de cohérence »

À défaut de prise en compte sérieuse de ces déséquilibres systémiques, il ne reste plus alors que « quelques ilots de cohérence », constants depuis des lustres dans leurs discours, auxquels se rattacheraient les citoyens désorientés : les conservatismes les plus extrêmes.

À l'heure de grands bouleversements paramétriques que sont l'agression de Ukraine et le réveil corollaire des démocraties, il y a une réponse avérée à apporter à ces craintes : l'empathie comme essence de la démocratie.

Si les politiques français dans leur pratique se montraient plus bienveillants au sens de l'exemple donné par l'actuel Président américain, ou encore la Nouvelle-Zélande, peut-être les électeurs reprendront-ils le chemin des urnes.

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Par Caroline Gans Combe, Associate professor Data, econometrics, ethics, OMNES Education.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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Commentaires 3
à écrit le 19/05/2022 à 7:43
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" bienveillants au sens de l'exemple donné par l'actuel Président américain,..." Sérieux ? Une ineptie parmi tant d'autre dans cet article, prendre en exemple Biden ?

à écrit le 18/05/2022 à 9:16
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Mais..., le but de nos jours n'est pas de récolter un maximum de votes en leur faveur mais simplement d'éviter que l'adversaire en obtienne! C'est pervers parce le vote blanc n'est pas reconnue, entre autre!

à écrit le 18/05/2022 à 9:03
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Oui mais c'est une pierre de plus dans un mur qui fat des centaine de kilomètres carré. Faites comme tous les répliquants, parlez plutôt de l'opinion de ceux qui regardent au minimum 8h par jour la télévision.

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