Transformation digitale : ces entreprises aveugles qui font fausse route

Les entreprises s'engagent dans le digital sans prendre en compte les transformations sociales. Par Laurent Sussereau, PDG de Yuman

La plupart des entreprises s'engagent aujourd'hui - phénomène qu'on a déjà pu observer avec le e-commerce dans la deuxième moitié des années 90 - dans de vastes projets de transformation. Elles voient le vent du digital à la fois comme une menace et en même temps comme un levier pour optimiser leur performance globale par d'autres formes d'organisation et de nouveaux canaux de création de valeur.
Comme dans les années 90, force est de constater que les entreprises se jettent une fois encore dans l'aventure du digital en imaginant les solutions techniques et technologiques qui leur permettront de gagner cette nouvelle course. Or, plus encore qu'il y a 20 ans, l'enjeu n'est ni technique ni technologique.
C'est d'abord et avant tout un changement de paradigmes, la technologie n'étant que l'une des manifestations de ce monde nouveau - comme l'appellent la plupart des prospectivistes.

Un changement sociétal profond

Nous sommes dans un changement profond de société, un changement de la place de l'individu dans le collectif : au moyen âge, l'individu était à la forme impersonnelle, le « On » avec une loi édictée par la religion, une catégorie sociale définie par la caste et un lien de cœur avec la terre natale. Puis graduellement, à partir de la renaissance jusqu'au XIXème siècle avec le commerce et la révolution industrielle, une classe intermédiaire apparaît (bourgeoisie). L'individu devient « Nous », avec l'État qui fait loi, une catégorie sociale définie par le travail et le lien de cœur devient la famille.
La deuxième moitié du XIXème siècle voit se produire plusieurs faits marquants qui vont changer le rapport individu/collectif : la démocratisation du miroir qui permet de se voir, l'apparition de la photo avec Niepce ou encore des penseurs et philosophes annonçant la mort de Dieu ou remettant en cause le rapport au travail. Le XXème siècle devient l'ère du « Je », de l'individualisme, avec la psychanalyse, le développement de la mobilité individuelle... Dans ce monde du « Je », le marché fait loi, la catégorie sociale est donné par l'avoir (ce que je possède et consomme) et le lieu de cœur est avec « Moi» comme chantait J. Dutronc.

Une accélération des changements

La deuxième moitié du XXème siècle se caractérise, elle, par une accélération de changements de paradigmes scientifiques ouvrant de nouvelles perspectives. Cela aboutit - entre autres - au développement de l'informatique qui permet en 1959 aux soviétiques d'envoyer les premiers un satellite dans l'Espace et en 1969 à Armstrong de marcher sur la Lune.
Pour la première fois l'humanité peut avoir une photo de la planète : la conscience planétaire apparaît se traduisant par l'art Pop  et le début de la pensée écologique dans les années 70.
Dans la fin des années 80, marquée par les balbutiements d'internet et la chute du mur de Berlin, se dessine alors une nouvelle conscience, celle d'un monde global, relié et responsable où l'homme serait un citoyen du monde. Nous sommes, ni dans le « Je », ni dans le « Nous », nous entrons dans « l'articulation du Je-Nous », un monde où la valeur ne sera ni dans le « Je », ni dans le Nous mais dans le trait d'union, dans le lien, la relation. Certains l'appellent « Social Relationship Economy », avec de grandes questions qui trouveront leurs réponses dans le futur : qu'est ce qui fera loi ? Qu'est ce qui donnera la catégorie sociale, quel sera le lien de cœur ?


D'autres formes d'entreprises et d'économies

Dans ce changement sociétal, ce sont toutes les règles du jeu qui changent : tous nos repères classiques, de la vision du monde, à la façon d'imaginer les entreprises et de faire des affaires. La troisième révolution industrielle comme l'appelle Rifkin, est en route. Les business models fondés sur la mise en relation sont différents, les organisations sont agiles, les pratiques managériales n'obéissent plus aux mêmes logiques, les clients se comportent différemment...

Si la technologie est la partie visible, elle n'est qu'une partie infime de la question de l'adaptation des entreprises qui tentent de tirer leur épingle du jeu dans ce paysage transformé. La partie invisible est celle qui sous-tend l'ensemble et qui est à l'œuvre : un changement de mentalité, de mode de vie et un rapport au monde nouveau, paradoxal, exigeant, émergent et imprévisible.

Les entreprises qui cherchent à s'adapter et à anticiper ce monde en pensant que l'entrée est par la mise en place de solutions technologiques font fausse route. Elles sont souvent guidées par des directions habituées à contrôler le visible et restent totalement aveugles face à l'invisible qui émerge devant elles.

Pour un autre monde

La transformation Digitale n'est pas une transformation numérique. C'est avant tout une transformation de la culture, des mentalités et des pratiques. Il y a une prise de conscience individuelle et collective au sein des entreprises où la création de valeur repose désormais sur la relation, le collaboratif, le « Ensemble ». C'est l'union et l'inclusion des différences au service du bien commun.
La transformation digitale est ce changement de paradigme si simple et si difficile : passer du « Oui mais » au « Oui et», une gestion écologique des paradoxes et l'union des différences pour vivre ensemble.

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Commentaire 1
à écrit le 18/06/2015 à 17:09
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Je ne connaissais pas M. Sussereau. Bravo ! Je suis tout à fait d'accord avec ce que j'ai compris de sa vision de notre "évolution". J'ai plus de 70 ans, et mon métier m'a obligé —et j'ai toujours aimé ça— à étudier les rapports entre humains (co...

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