LA TRIBUNE - Quel est l'impact de la crise sanitaire du Covid-19 sur les ventes de vins de Bourgogne ?
LOUIS-FABRICE LATOUR - La viticulture a effectué un recul en bon ordre. On ne s'est pas trop mal sortis de la période de confinement et de la crise sanitaire. Les vraies difficultés économiques sont apparues en juin chez beaucoup de producteurs. Le négoce est en recul de 15% en cumul depuis le début de cette année. La Bourgogne est la région française la plus dépendante du marché de la restauration. Les cafés, hôtels, restaurants représentent plus d'un tiers de notre activité, et la reprise n'est pas là.
La Bourgogne a réalisé 49% de ses ventes de vins à l'export en 2019. Après cette campagne record, allez-vous plonger dans la crise en 2020 ?
Le recul de nos exportations devrait atteindre 15% avant le début de l'été. La Bourgogne a dépassé 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires à l'export en 2019. Nous souffrons terriblement sur nos deux principaux marchés : les États-Unis, qui représentent un quart de nos exportation, et le Royaume-Uni.
Pour les mêmes raisons ?
Non. Depuis l'automne dernier, les États-Unis ont décidé d'imposer une taxe de 25 % sur les vins français. Nous sommes les victimes collatérales d'un conflit commercial entre Boeing et Airbus. C'est une décision politique, qui risque d'être renouvelée pour six mois au-delà de la date limite prévue le 18 août. Sur ce marché, en valeur, nous prévoyons de chuter cet été de 35%. Au Royaume-Uni, la situation est différente. Les restaurants qui se fournissent habituellement en vins de Bourgogne n'ont pas ouvert début juin, comme les restaurants français ont pu le faire en sortie de crise sanitaire. Nos vins les plus chers, les grands crus, sont très dépendants de ce circuit de vente.
Quelles sont les appellations les plus touchées par la crise ?
Sur le marché domestique, la demande est restée importante pour nos appellations régionales. Les chablis à prix raisonnables se vendent bien. Le Corton, notre grand cru le plus accessible en rouge, aussi. Mais d'une façon générale, l'économie des grands crus tourne au ralenti. Nous avons eu la chance de réaliser un grand millésime en 2018. Ces bouteilles arrivent sur le marché. Elles pourraient atténuer la crise. En général, on se comporte mieux que la Champagne, le Bordelais et l'Alsace. Nous n'avons pas l'intention de distiller pour écouler notre surproduction.
À long terme, quelles sont les conséquences prévisibles de cette crise ?
Nous avons deux années de stock en moyenne. C'est un bon équilibre. Quand nous sommes entrés dans la crise, nous avions le vent en poupe à l'export : 10% de croissance en un an !
Nous nous trouvions en meilleure forme que la plupart des autres vignobles dans le monde. Je suis optimiste pour le millésime 2020. On attend une très belle récolte, précoce. La vigne n'a jamais été aussi belle. La crise précédente, en 2009, a eu une violence inouïe, mais elle n'a duré qu'une seule année. Cette fois, c'est moins violent. Nous sommes doublement pénalisés aux États-Unis par les taxes et la crise sanitaire, et c'est bien parti pour durer.
La Fédération des exportateurs de vins et spiritueux a demandé un fonds de compensation en dédommagement des conséquences de l'affaire Boeing-Airbus. Malheureusement, nous ne croyons plus à un règlement rapide. Les réunions bilatérales prévues dans le cadre de l'OMC n'ont pas eu lieu. Si l'aéronautique est en recul, le vin pourrait devenir le premier excédent de la balance commerciale. C'est la seule chose dont on peut se réjouir.
Les grands équilibres économiques du vin de Bourgogne risquent-ils d'être déstabilisés ?
L'hectare en Bourgogne est le plus cher parmi tous les vignobles français. Cela peut se chiffrer en millions d'euros sur certains grands crus comme le Montrachet. Mais le marché est stable, partout en Bourgogne, avec 1,5% des surfaces qui changent de propriétaire chaque année. Malgré cela, il y a de la demande et les taux sont bas.
La crise peut-elle, selon vous, attirer de nouveaux investisseurs ?
Il n'y a pas d'obsession à rester entre soi. Les financiers comme Pinault, Moët Hennessy ou Bouygues sont déjà présents. Ils sont là pour exploiter et s'inscrire dans la durée. Les rentabilités à long terme vont demeurer très faibles.
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