Pénurie de papier : les journaux tirent la sonnette d'alarme

En raison de la pénurie de papier, la situation de certains quotidiens est très tendue. Certains groupes de presse ont été informés par leurs fournisseurs de possibles suspensions des fournitures de papierd 'ici fin 2021.Tendu depuis le début de l'année, l’approvisionnement en papier blanc pour le livre et les magazines devrait rapidement s’améliorer. C’est du moins ce qu’ont annoncé certains experts lors du dernier congrès des imprimeurs qui s'est tenu fin septembre dans le Loiret.
Avec des stocks qui s’épuisent de plus chez les imprimeurs et les éditeurs, on s’achemine vers une économie du livre de courts à moyens tirages, analyse Pascal Bovero, directeur général de l’Uniic.
"Avec des stocks qui s’épuisent de plus chez les imprimeurs et les éditeurs, on s’achemine vers une économie du livre de courts à moyens tirages", analyse Pascal Bovero, directeur général de l’Uniic. (Crédits : Reuters)

Les quotidiens nationaux et régionaux vont-il manquer de papier d'ici la fin de l'année entraînant leur non-parution ? La question est sérieusement posée par l'Alliance de la presse d'information générale (Apig). A ce titre, l'organisme professionnel des éditeurs a interpelé la Direction générale des médias et des industries culturelles (Dgmic) au ministère de la Culture. Objectif, tirer le signal d'alarme face à une pénurie de papier journal dont la probabilité s'accentue. D'ores et déjà, deux groupes de presse régionale, Est-Bourgogne Rhône Alpes (Crédit Mutuel) et Publihebdos (Ouest France) ont été informés par leurs fournisseurs de possibles suspensions des fournitures de papier d'ici fin 2021. Sans compter une nouvelle hausse probable des prix en janvier 2022, sans doute de 15%. Ils se sont déjà envolés de 30% au premier semestre. Malgré des contrats en général sur une durée de deux ou trois ans, la visibilité économique mais aussi les tarifs seraient donc largement remis en cause pour les éditeurs.

Réorientation vers le e-commerce

Deux paramètres se conjuguent pour expliquer ces fortes tensions sur le marché du papier journal pour les quotidiens et les hebdomadaires régionaux. D'une part, la baisse continue des tirages depuis une décennie a poussé les grands fournisseurs scandinaves de la presse française, essentiellement le norvégien Norske Skoge, ainsi que les finlandais UPM et Stora enso, à réorienter leur production vers le papier « brun » destiné à la filière carton. La Confédération française de l'industrie des papiers, cartons et cellulose (Copacel) s'est faite l'écho de cette nouvelle stratégie dans un rapport daté de février. A la clé pour les producteurs de papier, la fourniture d'emballages aux géants du e-commerce, Amazon notamment, dont le développement est lui exponentiel.

Les fournisseurs habituels de la presse se recentrent aussi sur les produits d'hygiène comme les mouchoirs et le papier toilette. Conséquence, la fabrication de papier journal, issue à 70% de matière recyclée, a diminué drastiquement depuis cinq ans. En désorganisant les approvisionnements en papier et en boostant le e-commerce, la crise sanitaire entre mars 2020 et juin 2021 a encore aggravé le phénomène de raréfaction du papier journal. Signe clair des difficultés de la filière, la Société des Papiers de Presse, coopérative d'achat pour la PQR et la PQN, a été déficitaire de 700.000 euros pour 53 millions de chiffre d'affaires réalisé en 2020. La reprise mondiale, active depuis depuis trois mois, contribue enfin à chahuter le secteur du fait de la forte demande qu'elle génère.

Dans ce contexte de plus en plus incertain pour les éditeurs de quotidiens nationaux et régionaux, les papetiers pourraient donc se voir imposer par les pouvoirs publics la fourniture de papier vis-à-vis de ces clients spécifiques. « A l'instar des mesures de blocage des prix de l'énergie annoncées par le Premier ministre Jean Castex, l'obligation de fournir du papier afin d'assurer les tirages des journaux est une hypothèse envisageable, a fortiori avec l'élection présidentielle, assure un éditeur de quotidien. L'information fiable qu'ils véhiculent contribuent clairement au maintien de la démocratie, surtout dans un contexte de développement exponentiel des Fake news ». Période oblige, le pouvoir politique surveille désormais comme le lait sur le feu une éventuelle pénurie de papier journal.

Pic atteint pour le livre ?

La situation semble en revanche s'améliorer du côté du papier blanc (offset ou bouffant), utilisé par l'industrie du livre et la presse magazine. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la tension sur les approvisionnements s'est traduite au premier semestre par la hausse des délais de livraison de deux à quatre semaines en moyenne, et par des augmentations de prix de 10 à 25%. De ce fait, nombre de petits éditeurs de livre, qui ne disposent pas de stocks de papier contrairement aux gros, ont dû repousser les parutions prévues à la rentrée de septembre en fin d'année, voire début 2022. Les éditeurs de magazines ont aussi été en limite de rupture pour l'impression de certains titres. Lors du 16e congrès de l'Union nationale des industries de l'impression et de la communication (Uniic), représentant 750 imprimeurs et 85% des recettes en secteur (cinq milliards d'euros), qui s'est tenu le 29 septembre à Malesherbes au siège du groupe Maury, les professionnels ont toutefois été rassurés par Philippe Chalmin. Spécialiste reconnu des flux de matières premières, cet économiste a ainsi estimé que « le pic de tension de l'approvisionnement était derrière les imprimeurs, et que, nonobstant la forte demande chinoise en pâte à papier, la fluidification de ce marché était en cours ».

Reste que les soubresauts constatés avec acuité en 2021 dans l'approvisionnement en papier des éditeurs de presse et de livres met en lumière le résultat d'une décennie de désindustrialisation sur la filière papetière et de l'imprimerie dans l'Hexagone. Dernier producteur de papier journal installé en France, La Chapelle Darblay, détenu par le finlandais UMP, maintient avec difficulté son site normand près de Rouen. Le constat est à peine plus reluisant à l'autre bout de la chaîne, côté imprimeurs. « On récolte aujourd'hui les fruits de ce que la France a semé depuis dix ans, tempête Hubert Pédurand, président du groupe d'imprimeries Laballery et Floch, basé à Clamecy dans la Nièvre. Près de 1.500 imprimeries, soit 34% du parc, ont disparu sur ce laps de temps, entrainant la suppression de près de 21.000 postes soit 37% des effectifs ». Face à une industrie papetière de plus en plus concentrée au niveau mondial, imprimeurs et éditeurs peinent ainsi à peser dans un bras de fer qui s'emballe à chaque crise.

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Commentaires 3
à écrit le 12/10/2021 à 16:24
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Bref! Quand il n'y aura plus électricité pour "s'informer", on ne pourra même pas tirer la sonnette d'alarme! Donc, prévoyez large!

à écrit le 12/10/2021 à 16:18
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Bref! Quand il ni aura plus électricité pour "s'informer", on ne pourra même pas tirer la sonnette d'alarme! Donc, prévoyez large!

à écrit le 12/10/2021 à 8:03
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"l'organisme professionnel des éditeurs a interpelé la Direction générale des médias et des industries culturelles" "Non mais oh ça va pas de nous réveiller brutalement comme ça !" ^^

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