Chanel, la bonne fée des Tanneries Haas

SÉRIE D'ÉTÉ - Les métiers du luxe en Alsace (5/5). Rachetée en 2018 par l'un de ses fidèles clients, la maison de luxe Chanel, la tannerie alsacienne va augmenter ses capacités de production.
Jean-Christophe Muller, directeur général des Tanneries Haas à Mittelbergheim (Bas-Rhin)
Jean-Christophe Muller, directeur général des Tanneries Haas à Mittelbergheim (Bas-Rhin) (Crédits : Olivier Mirguet)

Peau brute, tripe, wet-blue, crust, fini : à chaque étape de la transformation en cuir de la peau d'animaux, la tannerie impose son vocabulaire et ses techniques immuables. Les méthodes des tanneurs évoluent rarement et quand elles se modernisent, c'est en douceur. Les Tanneries Haas, installées depuis 1842 au bord du même ruisseau à Mittelbergheim (Bas-Rhin), s'apprêtent à connaître une révolution avec l'appui de la maison Chanel, client de référence et actionnaire depuis 2018. "Nous allons construire une nouvelle installation de 15 000 mètres carrés sur un terrain de six hectares, voisin immédiat de notre tannerie", confirme Jean-Christophe Muller, directeur général de cette entreprise de 110 salariés. Après six générations en 176 ans, faute de succession dans la famille, c'est lui qui a décidé de céder l'entreprise à Chanel, l'un de ses clients de référence depuis 1985.

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L'investissement à venir est évalué à 10 millions d'euros. Il permettra de faire face aux nouvelles contraintes réglementaires et d'automatiser la production. "Nous sommes à l'étroit dans nos murs. La production stagne depuis quatre ans", confirme Jean-Christophe Muller. Degermann, une plus petite tannerie (25 salariés) établie dans le village voisin à Barr, a elle aussi été intégrée par Chanel. Les deux unités pourront fusionner dans les nouveaux locaux. Le chantier ciblait initialement une mise en service en 2023. Mais il a pris du retard pour cause de crise post-Covid. "L'Asie est primordiale pour notre clientèle et nos marchés sont dépendants de la reprise des voyages intercontinentaux", temporise Jean-Christophe Muller. L'augmentation de capacités est pourtant bienvenue, dans un contexte où la demande de cuirs de qualité est supérieure à l'offre : si ils veulent accéder à des pièces premium, les entreprises clientes des Tanneries Haas doivent accepter d'acheter, dans le même lot, des pièces moins qualitatives. "25 % des peaux que nous achetons peuvent aller vers du cuir lisse pour la maroquinerie, qui est le plus cher à la sortie de la tannerie. Notre art consiste à bien vendre les 75 % restants", confirme Jean-Christophe Muller.

Hermès est aussi client

Le chiffre d'affaires des Tanneries Haas s'établit à 40 millions d'euros, dont un tiers réalisé avec Chanel. Hermès achète un autre tiers de la production. "Toutes les maisons de luxe sont clientes", reconnaît Jean-Christophe Muller, soumis par certains à des accords de confidentialité. Par familles de produits, la maroquinerie représente 80 % des débouchés. La chaussure est à 10 %. Le solde se répartit entre la sellerie, le prêt-à-porter, les bracelets de montres et le cuir de décoration.

Les équations économiques des Tanneries Haas ne permettent pas d'atteindre une forte rentabilité. "Avec 2 % de résultat net, nous sommes contents", commente Jean-Christophe Muller, qui s'est accordé avec Chanel pour "continuer de gérer l'entreprise et fonctionner comme avant". Les peaux, du veau exclusivement, proviennent d'élevages et d'abattoirs en France (85 %) et aux Pays-Bas (15 %). Le prix d'une peau brute (2,6 mètres carrés environ) fluctue actuellement autour de 80 euros. Pour la rendre imputrescible et pour la conformer aux exigences (grain, couleur, résistance mécanique) des clients, un process complet dure six semaines. Chaque peau est prise en mains entre 80 fois et 100 fois : la refendeuse sépare la fleur de la croûte du cuir, avant que la dérayeuse n'en précise l'épaisseur, entre 0,5 millimètre et 2,4 millimètres. Un deuxième tannage confère au cuir ses caractéristiques mécaniques. Vient ensuite le lissage de la fleur, un étirement qui s'apparente à un lifting. Un séchage lent produira un cuir souple. Un séchage brutal donnera un cuir plus rigide. L'entreprise a engagé une équipe de neuf coloristes, capables de produire toutes les nuances possibles. Un cuir peut compter jusqu'à 15 passages en teinture. Des contrôles qualité s'insèrent à chaque étape, en lumière naturelle. Au bout du compte, le cuir est vendu entre 50 euros et 160 euros le mètre carré.

"On ne tue pas un seul animal pour avoir sa peau. Nous sommes une industrie de recyclage des déchets de l'agro-alimentaire", argumente Jean-Christophe Muller, conscient de la montée en puissance d'une forme de contestation contre le cuir animal. Les nouvelles installations permettront de recycler davantage l'eau des process (200 mètres cubes par jour) et d'améliorer la traçabilité : à terme, les Tanneries Haas pourront garantir l'origine de chaque peau. En attendant, la production, jusqu'à 440 000 mètres carrés par an, va se poursuivre à flux tirés. La tannerie à Mittelbergheim ne possède aucun stock de produits finis. Tout est vendu.

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Commentaire 1
à écrit le 07/08/2020 à 14:01
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Il y a beaucoup de recrutements dans les métiers de la mode en ce moment, mais manque de de piqueuses, de monitrices, la plupart des formations ont disparu, une des dernières par l'afpa niveau bac pro de très bon niveau se trouve dans la Loire, logem...

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