La marqueterie Spindler, en hommage à l'Art nouveau

SÉRIE D'ÉTÉ - ÉPISODE 2/5. Les métiers du luxe en Alsace. L'art de la marqueterie a connu son heure de gloire à la fin du XIXème et au début du XXème siècle, avant de retomber dans l'oubli. La famille Spindler a conservé ce savoir-faire en orientant son modèle économique, fragile, vers l'architecture d'intérieur.
Jean-Charles Spindler dans son atelier de marqueterie d'art à Saint-Léonard (Bas-Rhin)
Jean-Charles Spindler dans son atelier de marqueterie d'art à Saint-Léonard (Bas-Rhin) (Crédits : Olivier Mirguet)

Collectionner des essences de bois précieux en guise de palette d'artiste. Dessiner, couper et coller pour former de minutieux assemblages. La marqueterie Spindler est née en 1893 dans le hameau de Saint-Léonard, à l'abri de l'ancienne collégiale des chanoines de la cathédrale de Strasbourg. Cette cour pittoresque offrait un lieu adapté pour la création artistique, avec sa cour intérieure à colombages, son atelier ombragé et ses grandes baies vitrées. L'entreprise n'a jamais quitté ses ateliers initiaux. Elle entretient son savoir-faire comme on conserve un patrimoine vivant.

La technique de la marqueterie consiste à assembler des placages de bois précieux à des fins de décoration. Elle a été développée au XVème siècle par les ébénistes italiens et en France jusqu'au XVIIIème siècle. Puis elle est tombée dans l'oubli. L'Art nouveau et les industries d'art ont favorisé sa renaissance et une nouvelle apogée, avec l'attrait d'un public éclairé pour la matière et la décoration. Charles Spindler a su en profiter : en 1900, ses grands ensembles de mobilier étaient présentés à l'exposition universelle de Paris. Sept ans après la création de son entreprise, c'était déjà la consécration. Son fils Paul a été influencé par la photographie. A la manière d'un reporter, il a intégré dans es compositions des scènes de la vie alsacienne. Dans les années 1930, la famille Spindler s'est liée avec la famille Bugatti, dont elle a aménagé la grande maison en Alsace. Paul Spindler a été marqué par l'oeuvre du sculpteur Rembrandt Bugatti, le frère d'Ettore. Jean-Charles Spindler, troisième génération aux commandes depuis 1975, exprime sa propre sensibilité dans des tableaux, des fresques marines ou de monumentales abstractions, à base de bois rares : des feuilles de placage en loupe d'Amboine, importées d'Indonésie. Pour trouver sa clientèle et débusquer de luxueuses villas à décorer, il se déplace jusqu'en Californie, ou en Russie.

L'attente d'un repreneur

L'entreprise de Saint-Léonard est l'une des dernières spécialistes de la marqueterie, un art qui reste prisé chez certains architectes d'intérieur. Dans les années 1950, à sa plus grande époque, la maison de Saint-Léonard a compté jusqu'à 15 salariés. Ils ne sont plus que quatre aujourd'hui et Jean-Charles Spindler, 72 ans, n'a pas trouvé son successeur désigné. "Tout pourrait s'arrêter du jour au lendemain", confirme l'entrepreneur qui se décrit en "homme-orchestre". "J'ai trois métiers : la technique, le dessin et la prospection commerciale", estime-t-il. "Il n'y a pas de repreneur mais je ne suis pas pressé. Nous avons été contactés par des financiers. Cela ne m'intéresse pas. Il y a même des clients qui ont voulu racheter l'entreprise".

La clientèle se partage entre les collectionneurs et les décorateurs d'intérieur. La galerie aménagée à Saint-Léonard, à portée de vue de l'atelier, accueille les acheteurs privés et des flâneurs en tous genres, attirés par l'odeur des bois rares. "Michel Lucas, l'ancien président du Crédit Mutuel, avait l'habitude de venir pour trouver une respiration lorsqu' il s'estimait trop stressé. Son chauffeur l'attendait à l'extérieur", se souvient Jean-Charles Spindler. La marqueterie collabore avec une galerie d'art aux Etats-Unis, à Carmel. Mais elle n'est pas représentée à Paris, et Jean-Charles Spindler ne fréquente pas les salons d'art. Parfois, pour satisfaire la demande d'un client, il faut tout chambouler. Les marqueteurs ont concentré tous leurs efforts sur ce panneau de 13 mètres destiné à une villa dans la Silicon Valley, représentant dix mois de travail ininterrompu. Récemment, ils ont décoré l'hôtel Mandarin Oriental à Boston, l'hôtel Four Seaons à Doha, le lobby du Four Seasons à Prague, fourni des panneaux de décoration pour une villa décorée dans l'esprit des architectes Greene and Greene, en suivant les préceptes du mouvement Arts and Crafts. Et aménagé pour un discret propriétaire l'intérieur d'un yacht J Class, à la façon des luxueux voiliers des années 1930. Les oeuvres anciennes de Charles et Paul font l'objet de spéculations. Elles se retrouvent parfois chez Christie's ou chez Sotheby's.

L'avenir s'écrit seulement en pointillés. En 2008, déjà, tout a failli s'arrêter. "Après la crise, ça a été la débandade", raconte Jean-Charles Spindler. "Nous avions un client qui habitait dans le même immeuble que Madoff, qui nous a fait perdre 100 000 euros. On s'est rattrapés en se tournant vers la Russie. Un intermédiaire chinois nous a aidés en commandant une soixantaine de tableaux pour un entrepreneur local du BTP". Les grosses commandes assurent le train de vie de l'entreprise. "Le chiffre d'affaires est inférieur à 500 000 euros et cela n'a aucune importance", juge Jean-Charles Spindler. Quatre enfants composent la quatrième génération. L'un d'eux s'est lancé dans la production de confitures, une autre fait du cinéma. L'histoire peut vraiment finir en pointillés.

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