La cristallerie Lalique, une renaissance dopée à la finance suisse

SÉRIE D'ÉTÉ - ÉPISODE 3/5. Les métiers du luxe en Alsace. La manufacture de cristal Lalique a bénéficié de 30 millions d'euros d'investissements depuis sa relance par son nouveau propriétaire suisse. Les diversifications des métiers et des débouchés ont porté leurs fruits.
Production à la cristallerie Lalique (Wingen-sur-Moder)
Production à la cristallerie Lalique (Wingen-sur-Moder) (Crédits : Olivier Mirguet)

René Lalique, le bijoutier Art nouveau, n'en croirait pas ses yeux. 135 ans après le lancement à Paris de sa première collection de joaillerie, et 100 ans après son implantation industrielle en Alsace, le créateur prête son nom à une marque "lifestyle" qui signe des produits de décoration d'intérieur, du parfum, du mobilier et exploite même, depuis peu, des restaurants ! Le responsable de cette métamorphose est suisse. Son nom est Silvio Denz. "Depuis 2008, ma vision a été de diversifier l'activité et d'associer la marque à un art de vivre à la Française", confirme le président de Lalique Group, désormais coté en bourse à Zurich.

Il y a douze ans, l'entreprise Lalique était moribonde. Philippe Richert, président du conseil régional d'Alsace, souhaitait entretenir la mémoire et le patrimoine artistique de son créateur, arrivé dans la région après la première guerre mondiale. Silvio Denz, amateur des flacons de parfum dessinés par René Lalique, a été contacté pour prêter ses collections à un musée local. De fil en aiguille, il a pu racheter l'entreprise au groupe Pochet, son précédent propriétaire, qui venait d'accumuler une décennie de pertes et de soucis financiers.

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L'usine de Wingen-sur-Moder, dans le nord de l'Alsace, demeure l'un des fleurons industriels qui ont prospéré dans le verre et le cristal de part et d'autre du massif vosgien. Avec Baccarat, Daum et Saint-Louis, Lalique forme un mini-cluster alsaco-lorrain. Depuis le départ de Pochet, les promesses d'investissement ont été tenues au bénéfice de l'organisation industrielle de la manufacture. Les capacités ont été augmentées, la marque s'est développée et le réseau de distribution s'est étendu à Shanghai, Singapour, Paris, Londres, Zurich, Beverly Hills ou New York. L'hôtellerie-restauration est une nouvelle activité depuis 2015. "Nous exploitons trois hôtels-restaurants en France, dont deux étoilés au guide Michelin, et allons bientôt ouvrir un restaurant Lalique en Ecosse, dans la distillerie The Glenturret que Lalique Group a racheté à 50% l'année dernière", annonce Silvio Denz.

Le cristal à chaud, comme le miel sur la cuiller

Le pédigrée financier de la maison-mère a facilité les investissements à Wingen-sur-Moder : 30 millions d'euros en douze ans. En complément des levées de capitaux propres, l'usine a fait appel à des emprunts bancaires et à des leasings financiers. Depuis 2008, ses effectifs n'ont pas évolué. 245 salariés se répartissent entre la production, la logistique et la fabrication d'outillages spécifiques. En 2010, un four électrique a remplacé les précédents fours à pot, autorisant une production en coulée continue. "Le cristal contient du sable, des sels, du plomb et du bore. Sa température de fusion est atteinte à 1.365 degrés. Il convient de maîtriser ces températures avec une précision de cinq degrés", détaille Denis Mandry, directeur d'usine. Les métiers "à chaud" paraissent impressionnants. Le cristal est cueillé manuellement dans le four, comme le miel sur la cuiller, puis lentement refroidi. Mais ces postes, sur lesquels deux meilleurs ouvriers de France ont développé leur savoir-faire à Wingen-sur-Moder, ne représentent qu'un quart des effectifs. Le travail du cristal à froid, en aval, mobilise une vingtaine de métiers complémentaires et quatre autres meilleurs ouvriers de France : taille, retouche, gravure, traitement des surfaces, polissage. Le polissage s'effectue à la pierre ponce, avec des roues en chiffons, et le gravage à la main. "La masse salariale représente plus de 50 % de nos coûts de fonctionnement", confirme Denis Mandry. La production représente 800 pièces différentes pesant entre quelques grammes et une centaine de kilos. Le contrôle qualité se veut implacable : une pièce sur deux part à la poubelle pour un problème d'affinage du cristal, de casse ou de gravure.

Le sens du marketing de Silvio Denz a relancé Lalique dans son environnement concurrentiel. "Le renouveau tient aux collaborations avec des marques, artistes et designers prestigieux, ce qui nous permet de moderniser l'image de la maison et d'augmenter sa notoriété. Nous avons réalisé des collaborations avec Damien Hirst, Zaha Hadid, Terry Rodgers, Anish Kapoor, Elton John, le whisky The Macallan, McLaren, la vodka Beluga, les pianos Steinway & Sons", détaille le propriétaire. Dès les années 1920, les créations de René Lalique étaient déjà diversifiées, allant des parfums aux bijoux, mascottes de voiture, pièces architecturales et œuvres d'art. L'entreprise est devenue dépendante des marchés mondiaux du luxe, fortement impactés par la crise du Covid. "Le confinement décrété à l'échelle mondiale nous a contraints à fermer nos points de vente, nos établissements hôteliers et gastronomiques, et il a eu un impact majeur sur notre commerce de gros. La tendance négative s'est inversée depuis la levée progressive des restrictions, mais un retour à un niveau de ventes de l'avant crise dépendra de la reprise des marchés. L'évolution aux Etats Unis, en Russie, en Inde et dans certains pays européens demeure incertaine", prévient Silvio Denz. En 2019, le chiffre d'affaires s'est établi à 81 millions d'euros.

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