Vendre son entreprise pour partir à la retraite, c'est un peu caché, presque tabou », commentait récemment Marc Krzemianowski, président de la commission transmission reprise d'entreprise à la CCI Hauts de France, lors du dernier salon Transfair, organisé à Lille et dédié à la création-reprise. « Alors qu'une transmission, ce n'est pas la fin d'une entreprise, c'est une poursuite de l'activité, un maintien des savoir-faire et souvent un développement ».
Problème pour l'industrie nordiste qui a déjà du mal à recruter, 45 % des dirigeants sont âgés aujourd'hui de 57 ans et plus... mais « on ne compte que 17% de projets de transmissions parmi l'ensemble des entreprises de ce secteur », s'alarme Grégory Stanislawski, directeur des études CCI Hauts-de-France.
Que se passe-t-il ? Les chefs d'entreprise n'anticipent pas la retraite. Ou ne veulent pas y penser. « Notre étude a évalué à 1.200 le nombre d'industries à céder avec 3 projets sur 4 concernant des entreprises comptant d'1 à 10 salariés », calcule Grégory Stanislawski. « D'ici à cinq ans, ce sont donc un peu plus 13.000 emplois qui seront concernés, avec un enjeu très important de maintenir des savoir-faire très spécifiques et/ou des métiers très spécialisés sur le territoire ».
Enjeu majeur d'anticipation
« Nous avons en effet identifié cet enjeu majeur de faire réagir les chefs d'entreprise en amont de leur retraite : en effet, vendre une entreprise constitue un projet à la fois long et complexe », souligne Émeline Pavy, chargée de mission développement économique à la Direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) Hauts-de-France. « Le processus doit être démystifié, décomplexé : les chefs d'entreprise gagneraient à parler davantage de la prochaine transmission de leur entreprise, notamment auprès de leurs salariés et de leurs partenaires, afin d'offrir des perspectives et embarquer les futurs dirigeants ».
« En tant que chambre de commerce et d'industrie, nous sommes justement là pour accompagner les ventes et les achats d'entreprises », rappelle Marc Krzemianowski, président de la commission Transmission Reprise d'entreprise, « avec l'accompagnement individuel à la formation, la mise en relation cédants et repreneurs mais aussi avec le montage des dossiers de subvention et/ou de financements, en partenariats avec les avocats d'affaires et des experts-comptables ».
D'autant que la région Hauts-de-France possède un certain savoir-faire industriel, et qu'il existe quelques pépites qu'il aurait été dommage de voir disparaître. Comme Phildar, par exemple, entreprise de prêt-à-porter et de prêt-à-tricoter née à Roubaix. En 1943, c'est même Gérard Mulliez, fondateur d'Auchan, qui avait ouvert une première boutique baptisée Au Fil d'Art... « Ce n'est pas moi qui ai choisi cette entreprise à reprendre, c'est elle qui m'a choisie », résume son repreneur, Eric Vandendriessche, qui a notamment été directeur général de Camaieu, Pimkie ou encore Okaïdi.
12 millions pour Phildar
« J'avais été appelé au chevet de Phildar, pour mon expertise en repositionnement de marques. Sauf que suite de la pandémie de Covid, les anciens actionnaires ont décidé de jeter l'éponge ». L'opportunité était trop belle et Phildar est alors devenu Happywool, qui regroupe désormais les entités PP Yarns & Co, Phildar et Pingouin à Roubaix. « Avec mon associé Pierre-Jean Cayuela, nous nous sommes d'abord mis d'accord sur qui devait faire quoi. Ensuite, nous avons rencontré, en trois semaines, près de 75 potentiels financeurs. Nous avons au final récolté 12 millions d'euros pour transformer fondamentalement l'entreprise. Nous avons écouté ce que chacun de nos collaborateurs avait à dire. Et nous avons réécrit une belle histoire avec le fabriqué soi-même, la vente sur internet et le made in Roubaix. Nous sommes même devenus une entreprise à missions ».
Moins connue mais avec une longévité identique, Peignage Dumortier a également été reprise, alors que l'entreprise était en redressement judiciaire. « Ce que s'est passé chez Phildar en trois mois, il m'a fallu 14 mois pour le mettre en place », s'amuse Cédric Auplat, aujourd'hui à la tête de l'entreprise spécialisée dans le peignage de fibres naturelles et du convertissage de fibres synthétiques, qui exporte à 95%. « Mon cédant, c'était donc un mandataire judiciaire, qu'il a fallu convaincre de mon projet, après avoir fait un état des lieux, un audit, une évaluation du passif, etc. », comment le chef d'entreprise, qui reconnaît la chance d'avoir été bien accompagné « par un expert-comptable, un avocat, un ancien banquier qui m'a présenté au monde financier régional et la CCI dans ma démarche Rev3, 3e révolution industrielle ». Pourquoi une industrie ? « Parce que j'ai toujours eu l'ambition de reprendre une entreprise industrielle : après des études d'ingénieur, tout mon parcours professionnel, pendant près de 20 ans, a été orienté vers cette finalité », conclut le repreneur.
Bâton de pèlerin et conviction
Autre parcours, tout aussi ambitieux : celui de Thierry Huret, aujourd'hui président de Qualiservice, entreprise spécialisée en conditionnement à façon, en co-packing et en logistique basée à Cambrai. Indépendant ayant travaillé longtemps en grande distribution, « j'ai fait croître des entreprises, j'ai même été patron d'une filiale de 350 salariés et un jour, j'ai eu envie de faire grandir ma propre société ».
« Nous avons depuis changé la nature de l'entreprise : si nous y sommes arrivés, c'est d'abord et avant tout parce que nous étions bien préparés. En 2018-2019, j'ai réussi à tout faire financer ce projet de 40 millions d'euros par une seule banque, sans caution personnelle et avec une garantie à 50 % par la BPI. Un repreneur doit avoir de la conviction pour aller prendre son bâton de pèlerin et convaincre. » Reste à trouver des candidats à la reprise, donc. Dans la région Hauts-de-France, 37.500 entreprises seront à céder d'ici cinq ans, dont 1.200 industries. A qui le tour ?
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