LA TRIBUNE - Vous venez de voter le budget 2023 du département de la Seine-Saint-Denis avec 457 millions d'euros d'investissements, soit 12,1% de plus par rapport à 2022. Alors que les dépenses d'énergie grèvent les budgets des collectivités locales, comment avez-vous fait ?
STEPHANE TROUSSEL - Grâce à la recentralisation au niveau de l'Etat du financement du revenu de solidarité active (RSA) depuis le 1er janvier 2022. Cela nous permet de retrouver de nouvelles marges de manœuvre et de prévoir pour 2023 des investissements à hauteur de 457 millions d'euros, ce qui est inédit pour notre conseil départemental. Cela nous permet notamment de flécher 46 millions d'euros vers notre nouvelle politique pour l'insertion des allocataires du RSA.
Dans le même temps, vous avez refusé, le 13 décembre, participer à l'expérimentation de « France Travail » lancée par l'Etat pour mieux accompagner les locataires du RSA. Pourquoi ?
Le RSA est un droit social. Je veux bien participer à une expérimentation, mais cette dernière ne doit pas s'appuyer sur des propos de campagne simplificateurs (lors de la dernière campagne, le président-candidat Macron avait déclaré vouloir conditionner le RSA à « l'obligation de consacrer 15 à 20 heures par semaine pour une activité permettant d'aller vers l'insertion professionnelle », Ndlr). Elle doit réellement accompagner les allocataires. Aussi, j'ai notamment posé comme condition que le conseil départemental reste maître de l'orientation de l'allocataire. A date, j'attends encore un retour de l'Etat sur les modalités précises de cette expérimentation.
Dans votre livre Seine-Saint-Denis, La République au défi (L'Aube, octobre 2022), vous écrivez d'ailleurs : « La gauche n'a plus de problème avec l'économie ». En quoi était-ce la peine de le rappeler ?
Malgré l'alignement des standards néolibéraux des années 1980-1990, je considère qu'après les Trente Glorieuses, il y a eu ce rouleau compresseur. Au mieux, vous y résistez. Au pire, vous vous coulez dans le moule. Dans le contexte actuel, ce modèle a montré ses limites entre explosion des inégalités, lutte contre le dérèglement climatique, casse des services publics, montée de l'extrême-droite et retrait civique de la population. Au moment où nous réaffirmons une forme de rupture à gauche, certains font croire que nous ne saurions pas gérer les choses. Nous avons déjà prouvé le contraire, en particulier dans nos collectivités.
Le fils et petit-fils de fonctionnaires communistes que vous êtes se déclare pourtant en faveur de l'économie de marché...
Je ne suis pas pour l'économie collectiviste, mais pour une économie de marché régulée dans ses principes. Il y a vingt-cinq ans, le Premier ministre Lionel Jospin a déclaré « Oui à l'économie de marché, non à la société de marché ». Les décennies qui ont suivi ont aggravé cette économie marchande. Alors que la Seine-Saint-Denis était un territoire industriel avec des villes entières comme La Courneuve, Aulnay-sous-Bois, Sevran, Aubervilliers et même Saint-Denis qui en vivaient, il s'est reconverti en site de l'économie tertiaire. Autour du Stade de France, la Plaine Saint-Denis a créé des emplois, mais cela n'a pas eu d'impact suffisant sur le taux de chômage. La nature des nouveaux emplois ne correspond pas forcément à la qualification des personnes du territoire.
Le département doit-il reprendre la compétence de développement économique - perdue en 2015 avec la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRé) ?
S'il est normal que la région, de par sa taille, ait un rôle stratégique d'aménagement du territoire, d'organisation des transports, de développement, je suis favorable à ce que le conseil départemental traite les questions de voirie, de disponibilité de terrains, et même de permis de construire. La Seine-Saint-Denis est certes un territoire déjà très dense, mais avec ses dessertes routières, autoroutières, ferroviaires, il a la capacité d'accueillir les usines du futur dont notre pays a besoin. Le 14 décembre, j'ai passé deux heures chez L'Oréal à Aulnay-sous-Bois. Savez-vous qu'il s'y produit 350 millions d'unités annuelles de parfums des plus grandes marques ? Que les flacons y sont remplis, sertis, emballés et empaquetés avant d'y être envoyés dans le monde entier - 93% d'export ? Des jeunes et des moins de jeunes y travaillent et sont davantage à l'image du département que certains cadres de compagnies d'assurance et de banques des bureaux hi-tech de la plaine Saint-Denis. Ne serait-ce que pour réussir les transitions démographique, écologique et numérique, il faut réinventer l'industrie.
Comment expliquez-vous dans ce cas que la Seine-Saint-Denis reste « particulièrement pauvre » ?
C'est tout le paradoxe : nous sommes l'un des départements les plus créateurs d'emplois et d'entreprises, mais nous avons un taux de chômage et d'allocataires du RSA parmi les plus élevés. Nous maintenons donc nos liens avec les chambres consulaires - commerce et industrie (CCI), des métiers et de l'artisanat (CMA)... - pour favoriser l'attractivité et l'identité territoriales ainsi que l'emploi local. Le conseil départemental est en outre chef de file sur l'insertion et monte des dispositifs de formation pour mettre en adéquation la création d'emplois et les habitants.
Les Séquano-Dionysiens développent des nouvelles formes d'entrepreneuriat social, aimez-vous à répéter. Est-ce que ce sera suffisant pour inverser la tendance ?
L'entrepreneuriat social permet de faire face à ces problèmes de chômage en plus d'inventer un nouveau modèle. Nous avons trop de jeunes diplômés mais qui ont des difficultés à s'insérer. Alors que notre territoire est très jeune, si ce n'est le plus jeune de France, ce phénomène est aggravé par des discriminations liées à la couleur de peau, à la religion - réelle ou supposée -, à l'adresse... Je plaide donc pour qu'en fonction de leurs contraintes, de leurs choix, de leur taille, de leurs investissements vis-à-vis de l'extérieur, les entreprises s'engagent dans un pacte. Du temps de la présidence de François Hollande, j'ai beaucoup contesté le pacte de responsabilité et le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) qui ont rapporté 40 milliards d'euros aux grandes entreprises sans contreparties suffisantes sur les conditions de travail, l'emploi et les salaires. Les petits entrepreneurs séquano-dionysiens payent, eux, plein pot leurs impôts...
Qu'attendez-vous de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur les retombées économiques et sociales des Jeux olympiques et paralympiques ?
Ce sera un outil supplémentaire pour en faire l'évaluation, mais je préfère vous dire surtout ce que j'attends des Jeux. Je suis en effet très exigeant, et en permanence, sur la réussite du projet, et en particulier les trente ans suivants en termes d'héritage. Quand la flamme s'éteindra, les habitants de Seine-Saint-Denis ne se retourneront pas vers Anne Hidalgo ou Tony Estanguet, mais c'est à moi et aux autres élus locaux qu'ils viendront demander des comptes sur les équipements sportifs, les aménagements urbains et les logements. Nous nous sommes battus auprès de la Société de livraison des ouvrages (Solideo) pour une charte, tant est si bien que 184 entreprises de Seine-Saint-Denis ont déjà obtenu des marchés. Notre département est également le premier bénéficiaire des clauses d'insertion sociale. De même que pour les 2,5 milliards d'euros de marchés du Comité d'organisation (Cojo), celui-ci a accepté d'organiser des réunions d'information. Par exemple, à Saint-Denis avec Plaine Commune sur la sécurité pour candidater et s'organiser. Et ce sans parler de toutes leurs attentes en matière hôtelière, de restauration ou de logistique et dont une grande partie des marchés vont se lancer en 2023.
Jamais un territoire n'a reçu et ne va recevoir autant d'investissements privés et publics en si peu de temps...
La Seine-Saint-Denis est à la croisée des chemins. Toutes ces transformations de bâtiments, de transports ou de voiries vont rendre nos territoires plus accessibles et donc renforcer leur attractivité économique. J'ai le souci majeur qu'il n'y ait pas deux Seine-Saint-Denis, l'une qui en bénéficie, l'autre qui reste à la traîne. Nous devons faire la démonstration ici de la cohésion et de l'harmonisation.
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